Fut-ce la recommandation prononcée par Guillaume Tell à son fils alors qu’il plaçait une pomme destinée à être transpercée par une flèche ?
L’art chez l’archer, c’est d’être capable de bander au bon moment et à bon escient. Et Luke McCall n’a pas totalement assimilé les conseils de son père. Il est tétanisé au moment de décocher sa flèche et cet incident va le plonger dans le désarroi et couter la vie à son père. Mais auparavant effectuons un retour de dix-sept ans en arrière.
Souvent un couple se forme entre collègues de travail, entre deux personnes qui se rencontrent lors d’une soirée organisée par des amis conjoints ou lors d’un mariage, dans un dancing, ou tout autre événement festif. Entre Owen McCall et Kate, leur rencontre fut consécutif à un accident de chariot dans un supermarché. Normal, Owen est pilote de stock-car et les accrochages entre véhicules, cela le connait. Il leur suffit d’un repas pour sceller leur carambolage et de faire plus amplement connaissance, repas au cours duquel ils échangent leurs adresses, leurs souvenirs d’adolescents, leurs mésaventures professionnelles ou amoureuses, leurs impressions et entamer une complicité qui ne fera plus défaut.
Owen a été coureur automobile, construisant ses voitures avec un ami, a eu un accident qui l’a amené à rompre avec sa petite amie, puis il a été blessé à l’épaule par un concurrent vindicatif et atrabilaire, Teddy Hicks, dont depuis il n’a pas eu de nouvelles. Actuellement il dirige une concession automobile.
Kate a vécu une jeunesse tranquille, se montrant une joueuse de tennis en devenir jusqu’à ce qu’un genou déclare forfait. L’envie de voyager la tenaillant, elle s’engage dans les Peace Corps et est envoyée au Guatemala afin d’enseigner l’anglais aux gamins. Elle se lie d’amitié avec une autochtone laquelle désire rejoindre son mari aux USA et qui surtout résiste aux avances d’un chef de la police locale. Mais c’est Kate qui va subir les affres du policier et de ses hommes, et elle parviendra à leur fausser compagnie en les abattant avec leurs propres armes. Puis retour au pays rejoindre Jake son fiancé du moment avec lequel depuis elle a rompu.
Cinq mois plus tard Owen et Kate concrétisent leur union par un mariage et il ne faut que quatre mois supplémentaires pour que Luke débarque au foyer. Seize ans plus tard, Owen emmène son fils pour une partie de chasse dans un chalet qu’il possède sur la péninsule de Leelanau, en lisière de forêt et du lac Michigan. Ils partent à la recherche d’un grand cerf à queue blanche et lorsqu’Owen parvient à débusquer l’animal, Luke doit armer son arc et tirer. Seulement l’appréhension l’étreint et l’accident est inévitable. Owen décède, Kate perçoit un héritage de deux millions de dollars mais Luke se replie sur lui-même. Il délaisse l’école, s’enferme dans son chagrin, s’adonne à l’alcool et à la drogue.
Jake, l’ancien petit ami de Kate sort de prison, ayant purgé une peine pour cambriolage et il doit trouver du travail et fournir une adresse. Alors il décide de revenir à Détroit chez sa sœur qui est technicienne ongulaire (en langage courant manucure) et retrouve ses copains de méfaits. Hicks, celui qui s’est coltiné avec Owen, le monde est petit, Dejuan et son amie Céleste, l’intellectuelle et l’égérie de la bande. Jake rencontre Kate par hasard (qui fait bien les choses) et il espère renouer avec elle. Surtout pour palper l’héritage ? Pas forcément, quoique. Seulement ses compagnons lui démontrent qu’il vaudrait mieux qu’ils s’associent pour empocher l’argent, d’autant qu’il leur est redevable d’une grande part d’un casse précédent. Et bien évidemment les choses vont mal tourner.
Peter Leonard a reçu de son père en héritage le sens de la dérision aussi bien dans les descriptions des scènes d’action que dans les dialogues, tout en gardant un sérieux dans la construction de l’intrigue et dans l’ensemble de l’histoire. Les moments forts, durs, noirs, flirtent avec l’humour goguenard. Ainsi lors de la rencontre inopinée entre Kate et Owen, par chariot interposé, l’échange verbal qui s’ensuit donne le ton et ne manque pas de saveur.
Je ne vous connais pas, dit Kate.
On vient de faire connaissance, non ?
Vous pourriez être un violeur.
Je pourrais même être républicain.
Ce dialogue badin est placé comme une vignette amusante, mais d’autres conversations prennent un tour plus sérieux et même politique, mais toujours exprimé à l’emporte-pièce. Le père de Céleste était un raciste qui avait tenté d’inculquer à sa fille la haine de tous ceux dont le sang n’était pas à cent pour cent aryen. Peine perdue car elle vit avec un Noir. Elle a longtemps fréquenté les Nations aryennes sous l’influence paternelle, mais s’en est détachée et lorsqu’elle essaye d’expliquer ce moment de son adolescence à Teddy, celui-ci est complètement perdu.
- Ce qui m’ennuyait le plus, chez les Aryens, c’est que personne n’avait le sens de l’humour. Ils étaient tous graves et guindés. Même si mon père disait souvent : Tu sais quel est le livre le plus court du monde ? Et il répondait : Les capitaines de vaisseau nègres que j’ai rencontrés. Et il éclatait de rire. Il trouvait ça vachement drôle.
Teddy parut troublé.
- J’avais envie de lui dire que j’avais un livre plus court encore : Un siècle d’humour aryen. Il n’avait qu’une page.
- Comment un livre peut avoir qu’une page ?
Lui arrivait-il de piger quoi que ce soit ?
Evidemment le lecteur qui lit cet échange au premier degré peut penser à une banale conversation raciste, mais il s’agit bien d’une diatribe envers la résurgence du nazisme aux Etats-Unis tout en mettant l’accent sur la bêtise de Teddy qui personnifie l’Américain moyen.
J’ai relevé aussi, dans un autre domaine, un petit papotage qui ne manque pas chez une coiffeuse, mais je ne vous en dis pas plus, préférant vous laisser le plaisir de la découverte.
Peter Leonard ne démérite pas en prenant le relais de son père. Même s’il doit effectuer de petits réglages, parfois trop de coïncidences, il se trouve dans la bonne spirale. Evidemment on aurait pu s’attendre à un épilogue spectaculaire, mais la conclusion si elle est banale ou convenue n’en reflète pas moins une réalité à laquelle la vie nous a habitué. Point n’est besoin de forcer dans le superfétatoire pour conclure une histoire bien menée qui engendre la satisfaction de ne pas avoir perdu son temps.
Je vous invite aussi à prendre connaissance de l'avis de mon ami Pierre de Black Novel
Peter LEONARD : Ne tremble pas ! (Quiver – 2008 ; traduction de Daniel Lemoine). Editions de l’Archipel. 272 pages. 21€.