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Bienvenue dans la petite revue de la littérature populaire d'avant-hier et d'hier. Chroniques de livres, portraits et entretiens, descriptions de personnages et de collections, de quoi ravir tout amateur curieux de cette forme littéraire parfois délaissée, à tort. Ce tableau a été réalisé par mon ami Roland Sadaune, artiste peintre, romancier, nouvelliste et cinéphile averti. Un grand merci à lui !

Pascal DESSAINT : un entretien.

Dessaint.jpg

Lors de la parution aux éditions de L’incertain d’Une Pieuvre dans la tête, j’avais eu le plaisir de d’échanger une correspondance avec Pascal Dessaint afin de rédiger cet entretien qui a paru dans la revue 813 n°49 de décembre 1994. Portrait d'un écrivain au noir certain qui depuis a fait ses preuves.

 

Il paraît étrange que la naissance et la mort soient les seuls moments d’une existence dont on ne peut a priori garder aucun souvenir.

Une Pieuvre dans la tête, éditions de L'Incertain, réédition éditions Rivages, Rivages Noir N°363.

 

Pieuvre.jpgEntre ces deux extrêmes, l'homme vit, aime, souffre, combat pour un idéal, rumine une vengeance, procrée, tremble ou simplement traverse les ans comme il franchirait les rails sans regarder devant ou derrière lui. Le train de la vie le happe au détour, ne lui laisse aucune possibilité de recommencer, aucune échappatoire.

Toulouse est la proie d'un sinistre individu qui tue, dépèce, éventre, éparpille les membres de ses victimes aux quatre coins cardinaux se réservant le cœur, comme le toréador se réserve les oreilles et la queue de l'animal qu'il vient de passer au fil de l’épée.


Le commissaire Viorel Desbarrats et l'inspecteur Hugues Méliorat se dépêtrent au milieu de cette enquête, chacun perdu dans ses propres problèmes familiaux. Viorel sent son coupler se déliter sans qu'il sache vraiment pourquoi. Il aurait aimé ne pas avoir de descendance. Pourtant Sabine, son épouse, a enfanté d'un garçon. Un commissaire n'est pas poète, même plus amoureux, et il envisage avec une nostalgie sereine de tromper sa femme. Méliorat possède sa croix en la personne d'un frère à peine sorti de l'adolescence, au passé déjà lourd et qui pense entretenir dans sa tête une pieuvre aux tentacules carnivores.

 

L'enquête aurait pu n’être qu'un prétexte à mettre en scène des pieuvre.jpgpersonnages - des victimes de la vie ? - tout droit sortis d'un cerveau torturé. Mais la trame en prenant ses racines dans la mythologie se révèle tout aussi alambiquée que ces héros au quotidien que Pascal Dessaint fait évoluer avec un plaisir pervers.

Pascal Dessaint allie modernité et classicisme dans une histoire qui implique le lecteur, lequel se retrouvera peut-être dans l'un des personnages.

Un roman qui oscille entre philosophie et aventure et que tout auteur débutant rêve d'écrire, car il possède une touche particulière. Celle de l'écrivain qui jette sur le papier, comme le peintre projette sur sa toile, ses affres de la vie, sa créativité, ses doutes et peut-être sa part d'autobiographie. Sous le Noir se cache l'humour, et si l'on peut regretter que l'inspecteur Méliorat n'ait pas un prénom commençant par A, on peut penser que l'épilogue du commissaire Desbarrats n'est qu'un bon... de sortie.

Jeune, enthousiaste, sympathique, dégingandé, parfois en proie au doute, tel se présente Pascal Dessaint le Toulousain venu du Nord. Avec un premier roman (Les paupières de Lou) édité chez un “courageux petit éditeur de province”, Pascal Dessaint aborde la littérature noire tout en voulant se démarquer et faire de la littérature tout court. Suivent des nouvelles disséminées un peu partout, un recueil et un roman parus chez L'Incertain. Comme l'avenir ? Augurons que non, car il possède indéniablement une présence, un style, une envie d'écrire qui lui feraient abattre des montagnes.

 

En découvrant tes nouvelles ou tes romans, on a la certitude de lire quelque chose de différent, d'atypique. Tu incarnes l'auteur qui sort des sentiers battus.

J'aime quand tu dis que je sors des sentiers battus. Ça me confirme dans la seule intention que j'ai en écrivant : produire une littérature qui me ressemble vraiment, qu’elle soit mon intime reflet. Ce que je redoute en tout, c'est la tricherie, sous toutes ses formes. Dans la vie il convient d'être sincère, pour ne pas dire authentique, mais aux autres d'en juger... C'est peut-être pour cela que l'on dit souvent que j'écris des livres singuliers, atypiques... C'est, je crois, parce que je ne me donne aucune limite, dès lors aucune concession au genre, ni même à soi-même... Je me définis ainsi comme un intuitif et non comme un technicien, je me laisse guider par mon seul instinct - lorsque mon instinct me quittera, il sera alors temps de changer de métier...

 

Chaque auteur, consciemment ou non insère, tout au moins dans ses premiers romans, une part d'autobiographie. Cela est-il vrai pour la Pieuvre ?

Je suis en chacun des personnages, pleinement et ce n'est pas un hasard (mon intention première avant de l'écrire) que ce soit un livre sur la décomposition et la recomposition permanentes, à chaque instant au quotidien, des êtres et des âmes.

 

Es-tu ce qu'on pourrait définir comme un écorché vif ? 

Dessaint-et-Picouly.jpgPeut-être ... Torturé, sûrement... car si j'ai une qualité dans la vie, c'est bien celle de ne pas me faire de cadeau. J'aime me regarder bien droit dans le miroir, quitte à ce que ça me fasse mal, très mal... Je suis une crapule romantique.

Ce roman aborde le thème actuel du serial killer mais en même temps se réfère à la mythologie. Une alliance entre le moderne et l'ancien, l'ouverture et le classicisme, le rêve et la réalité, et en fil conducteur la famille en faille, comme une faillite.

Tout tourne autour de ce thème : Demay et ses anagrammes, Méliorat et son rêve d'étoile de mer, Viorel et ses souvenirs, Proserpine et son passé, les corps en morceaux qu'on aimerait recomposer, ce à quoi on ne parvient pas, soit dit en passant, etc. En un sens il s'agit d'un livre métaphysique avant d'être un psycho-polar, appellation que je revendique cependant. Inutile donc de préciser que j'ai mis longtemps à mijoter mon délit! L'histoire devait être l'illustration “métaphorante” de mes préoccupations métaphysiques, je marchais sur des œufs. Ainsi, pendant longtemps, je me suis accroché à du concret, j'ai creusé le mythe de Perséphone (qu'on l'appelle Proserpine dans la mythologie romaine m'arrangeait bien), - sache à ce propos que l'ultime ramification du mythe antique (Zagreus), je l'ai découverte en même temps que mon personnage! - et que ça m'a conforté alors (cette découverte m'a grisé, de la vraie magie) dans le bien-fondé de ma démarche et de l'orientation que j'avais donnée au roman. Puis je suis allé sur les lieux, j'ai agi à la manière d'un metteur en scène, repérages, graphiques, photographies, etc.

U mythe de Perséphone abordait le thème de l'inceste et j'ai décidé aussi de donner cette orientation au livre. Je voulais que ce soit une approche non conventionnelle, et je crois que ça l'est. Les rapports de Proserpine avec son père, ceux plus ambigus de Méliorat avec son frère (scène de la douche)... et quand l'épilogue règle ses comptes avec tous ces personnages, alors ça devient vertigineusement glauque.

 

Les oiseaux, le milan plus particulièrement apportent un second fil conducteur inattendu à cette histoire.

Tout simplement, je fus ornithologue de terrain pendant plus de dix ans, et je le suis encore à mes heures. Ceci explique cela, l'expérience professionnelle, toujours... Attribuer cette vocation à Desbarrats me semblait intéressant, le vol du milan reflète assez bien sa psychologie et contraste avec toute cette horreur autour de lui et puis il ne faut pas oublier une chose, le milan me permet de faire le lien entre Desbarrats et Proserpine, il fallait donc que Desbarrats soit ornithologue, je n'y coupais pas.

 

Parle-moi un peu de toi puisque tu viens d'évoquer l'une de tes expériences professionnelles.

Né à Dunkerque le 10 juillet 1964, je suis le sixième 10-jours.jpgenfant d'une famille modeste. Mon grand-père maternel était pêcheur d'Islande, mon grand-père paternel mineur, je ne les ai pas connus. A 14 ans, mon père est descendu lui aussi au fond de la mine, où il a travaillé jusqu'après la guerre. Ma mère nous a élevés : elle nous a appris l'essentiel ! Ça peut paraître bizarre, mais d'une certaine façon la littérature est entrée dans ma vie par la chanson.

Mes parents écoutaient Berthe Sylva, Damia, Mouloudji... mes frères Reggiani, Brassens, Ferré... Je pleure dans la cour du collège lorsqu'un copain m'apprend la disparition de Jacques Brel. Grâce à Brel dont je découvre alors la vie, j'apprends que “le talent, c'est d'avoir envie de faire quelque chose... ” A cette époque, mon frère Gérard est victime d'un grave accident de voiture: plus de deux ans d'hôpitaux dont de longs mois dans le coma. Traumatisme. Première confrontation avec la mort. Je deviens un enfant silencieux, pudique et secret. Je lis L'Oiseau bariolé de Jerzy Kosinski et Ravage de Barjavel. On aurait dû à ce moment-là contrôler mes lectures ! Car peut-être suis-je né alors à la littérature et que ce contexte explique dès lors mon penchant pour le noir... Mon professeur de français, Gérard Lebrun (devenu un ami et un conseiller depuis), m'encourage à écrire. Cependant, on m'oriente en seconde C car je veux devenir vétérinaire ! Si je reconnais que les mathématiques m'ont appris la discipline, et plus tard à bien structurer mes livres, ce n'est pas mon truc. J'écris des chansons pour des amis musiciens, des centaines de poèmes, publie des recueils cosignés avec mon frère Eusèbe, qui me donne le goût de jouer avec les mots, et écris mon premier roman, l’année de mon bac. Je monte à Paris pour le présenter à des éditeurs et prends mes premières claques. Le bac... Un examinateur indulgent me demande ce que je veux faire plus tard, et je lui réponds écrivain ! J'obtiens les 35 points qui me manquent pour aller à l'université, au grand dam de mes professeurs de math... Je préfère alors l'histoire aux lettres modernes. Déjà je ne conçois pas que l'on puisse à la fois enseigner les lettres et être écrivain. Bukowski était postier, c'est déjà pour moi un exemple ! Au pire des cas donc, j'enseignerai l'histoire, et l’écriture, la littérature resteront mes refuges...

Je rencontre Agnès en 84, avec qui je pars à Toulouse. Elle m’encourage, fait en sorte que je m’obstine. Sans elle je n'aurais pas écrit quatre livres, et le suivant, qui trouve enfin éditeur. Mais avant il y a l’université, où je ne suis qu'une ombre, mais où je réalise un parcours honorable. Parvenu à la fin du DEA, je parviens de moins en moins à concevoir l'idée d'écrire et d'enseigner en même temps. Je profite donc qu'on me refuse une allocation de recherche pour rompre le cordon. Je donne des conférences un moment, travaille un peu pour le CNRS, puis je vais taquiner la vie où elle se trouve. Je fais pas mal de petits boulots, dont veilleur de nuit dans un hôtel puis dans un musée, je connais le chômage, retrouve du travail de nouveau le chômage... La galère, quoi ! J'écris jour et nuit ça m'obsède, me ronge doucement, et me voilà ! Tu connais la suite... J'espère que ma démence portera ses fruits.

 

Te considères-tu comme un fonctionnaire de l’écriture ? T’installes-tu à heures régulières devant ton papier blanc ou laisses-tu courir ton stylo au fil de l'inspiration ?

Dessaint-Pouy-copie-2.jpgDepuis près d'un an j'ai adopté l'ordinateur pour une question de commodité et d'efficacité, aussi bien vis-à-vis de l’éditeur que pour moi-même. Auparavant je tapais directement à la machine à écrire et disons que côté pratique cela me permet d’avoir autant de reflets de mon texte que je le désire au fur et à mesure des corrections ou des améliorations que j'y apporte. Je dissémine mes feuillets dans l’appartement... j'ai tendu des fils - et c’est la seule manie d’auteur que je puisse revendiquer _ autour de moi et je mets à sécher mes épreuves, ce que j'appelle “ mon linge sale ”, plan de travail repérages, notes, etc.  Il me faut une dizaine de mois pour écrire un livre, et au cours de cette période effectivement je me conduis comme un fonctionnaire avec des horaires, une discipline que je m'impose. De trois à six jours par semaine, de 16h à 19h et de 21h à 3h du matin, sauf pendant les vacances. J'ai besoin d'un silence absolu, le seul bruit que j'accepte étant le ronronnement de l'ordinateur, d'un isolement total et mon bureau est fermé pour tout le monde.

Aussi bien pour mes nouvelles que je n'écris pas séparément mais dans l’intention de composer un recueil, une longue période de réflexion précède l’écriture de mes romans, et lorsque j'attaque, je sais dans quel sens je me dirige, quel sera le thème principal, quel sera le liant

 

Tu as évoqué Bukowsky- Quels sont tes auteurs de prédilection ?

Cela va de René Belletto qui sait si bien parler de Lyon - et qui m'a donné envie d'en faire autant avec Toulouse - à Selby en passant par Robin Cook, Tonino Benacquista et Marc Behm. Je me reconnais en chacun d'eux à des degrés, des stades différents mais proches. Comme Robin Cook, j'aime la rue et j'adhère entièrement à son point de vue lorsqu'il écrit qu'un auteur de romans noirs est un être qui observe la rue. Avec Les morsures de l'aube de Tonino Benacquista, je me suis identifié en partie au héros car moi-même je suis un oiseau de nuit, chauve-souris à mes heures. Marc Behm m'a fait crouler de rire avec son histoire de vampires dans La vierge de glace. Mais j'ai également mes périodes de lecture consacrées à un cycle, un auteur. Ce que j'appelle mes marées d'équinoxe. J'ai lu comme un affamé, quitte à en prendre une indigestion, tout Chandler en 86-87, tout Chester Himes en 88-89, tout Montalban en 90. Mais s'il ne fallait donner qu'un nom, ce serait Pouy parce que je suis sensible à son style qui m'émeut. C'est un Oulipien et un poète qui donne libre cours à ses pulsions et Nous avons brûlé une sainte pour moi est un pur prodige. Il ne faudrait pas croire que ma liste est limitative, je réponds sans me tourner vers ma bibliothèque, mais les auteurs que j'ai cités sont sans conteste ceux qui me fascinent et forment mon Panthéon personnel.

 

*****

 

Inquiet, Pascal Dessaint l'est par nature, et cet entretien, il me l'a donné sans réticence mais avec ce petit quelque chose qu'on appelle pudeur. Il ne sait s'il a su trouver les mots pour exprimer ce qu'il ressent dans la vie, dans l'écriture, dans son accostage à cette terre inconnue et pleine de richesse qu'on nomme littérature. Il est perfectionniste et en lui est ancrée cette peur de décevoir, mais pour autant il ne veut pas simuler. Il parle volontiers de Toulouse sa ville d'adoption, la connaissant mieux que bon nombre d’autochtones. Il est enthousiaste et désire partager ses moments de joie avec conviction. Et peut-être vous révèlera-t-il un jour comment se faire un peu d'argent de poche quand on est veilleur de nuit dans un hôtel.


La dernière photo représentant Pascal Dessaint et Jean-Bernard Pouy en compagnie de l'Oncle Paul est de Joe G. Pinelli.


Vous pouvez retrouver Pascal Dessaint sur son site et la présentation de quelques romans chez Black Novel.

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P
Salut et merci Paul. Je vais faire suivre le lien sur Facebook, d'ailleurs. Je n'ai pas encore son petit dernier mais le titre me tente énormément ! Amitiés
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O
<br /> <br /> Bonjour Pierre<br /> <br /> <br /> Je suis pour la complémentarité des blogs ! Mais je ne suis pas un face bouquien !<br /> <br /> <br /> Amitiés<br /> <br /> <br /> <br />