Allumette, gentille allumette ...
Le lecteur qui entre pour la première fois dans l’univers littéraire de Nadine Monfils peut se comparer à un quidam déambulant dans une fête foraine, s’arrêtant plus volontiers devant les baraques exposant les petits monstres engendrés par la nature. Attention, je ne parle pas de difformités physiques, mais de personnages dont les neurones sont quelque peu grippés.
A Pandore, ville située près du bord de mer, il se passe des événements étranges dont Mémé Cornemuse n’est pas toujours étrangère. Mais elle a du répondant, du bagout, prompte à dégainer ses réparties qui laissent ses interlocuteurs baba. Prompte à dégainer aussi son antique arme à feu. Mais pourquoi donc ce surnom de Mémé Cornemuse ? C’est elle-même qui l’apprend à l’inspecteur Cooper, dont je vous parlerai un peu plus tard si vous le voulez bien. Mémé Cornemuse donc, parce que j’ai toujours eu un faible pour les Ecossais parce qu’ils ne portent pas de culotte. Elle n’est plus toute jeune Mémé Cornemuse, mais elle possède encore assez de souffle pour jouer du pipeau, du flûtiau ou même du biniou vu la corpulence de Capsule, l’un des collègues de Cooper. Elle entretient deux passions dans la vie. L’un s’appelle Jean-Claude Van Damme, dont elle possède un poster, rieur ajouterais-je, et elle aime citer ses réparties empreintes d’une philosophie peu banale. L’autre n’est autre qu’Annie Cordy, et il ne faut pas dire du mal de sa chanteuse préférée, sinon elle est capable d’envoyer ad patres l’insolent(e).
Nake est une jeune fille qui sait ce qu’elle veut, et surtout ce qu’elle ne veut pas. Elle drague des hommes susceptibles de lui offrir un trip, éventuellement elle veut bien payer en nature, mais elle n’aime pas que la porte soit fermée à clé. Or celui qu’elle vient de racoler est une brute hargneuse et cela se termine mal. Il se prend dans le ventre le couteau qu’il lui destinait. Un retour à l’envoyeur vite fait. Mais il a eu le temps de remarquer qu’une pieuvre est tatouée sur son bras. Et comble de malchance, lorsque Nake rentre chez sa grand-mère, celle-ci vient de décéder. Sa grand-mère c’était son ultime recours dans la vie. Sa mère est morte à sa naissance et elle n’a jamais connu son père, un aventurier style Indiana Jones selon son aïeule. Va falloir qu’elle se débrouille seule. Nake trouve dans les mains de la défunte une boite d’allumettes qu’elle s’accapare. Puis un homme entre dans la pièce se présentant comme le nouveau locataire. Stan Bogart a emménagé au grenier et il déclare qu’il est photographe, mais un photographe un peu particulier.
Parlons maintenant de Cooper, le policier qui fait équipe avec Jean-Michel Derval, surnommé Michou pour des raisons bien précises et dont il ne se cache pas. Cooper possède un bâtard tout édenté qu’il a nommé Mesrine à cause de sa propension à s’échapper dès que le maître a les yeux tournés. Ce jour là il reçoit la plainte d’un homme pas vraiment net qui vient déclarer la mort de son fils qu’il aimait tant. Hypocrite, pense Cooper avec raison. Mais après tout il s’agit d’un meurtre perpétré avec un couteau, alors il enregistre la plainte. Puis Cooper sort et assiste impuissant au laminage de son chien sous un camion. Son seul ami vient de disparaître sous ses yeux alors il décide de l’enterrer dignement dans sa petite maison de pêcheur sise à environ une centaine de kilomètres près du bord de la mer. C’est ainsi qu’il fait la connaissance de Mémé Cornemuse qui s’est installée dans le cabanon au fond du jardin. Pendant ce temps Michou s’amuse. Déguisé ou travesti, en femme, et plus précisément en Betty Boop.
Nake est perdue depuis la mort de sa grand-mère. Elle veut retrouver son père et en fouillant l’appartement, elle découvre sous le lit une boîte à chaussures (Comment ferait-on si les boîtes à chaussures n’existaient pas !) laquelle renferme quelques papiers dont une lettre signée Anna. Anna, l’autre fille de grand-mère dont elle n’a jamais entendu parler. Pour mieux réfléchir, elle décide de s’octroyer un petit joint. Elle craque une allumette et dans l’embrasement elle distingue une gamine, habillée de rouge, les fesses lacérées et déposé non loin un panier avec quelques galettes. Le Petit Chaperon Rouge !
Seulement cette vision est une triste réalité. Une gamine a été effectivement trouvée, avec détail morbide supplémentaire, une patte de chat dans la gorge. Cooper et Michou sont chargés de l’enquête, mais d’autres événements similaires se produisent peu après, avec de petites variantes dans la mise en scène. Mais à chaque fois, la référence à un conte de Perrault, Andersen ou autre est claire. D’ailleurs c’est le seul point clair pour les policiers qui brassent de la mélasse.
Mémé Cornemuse est un cas. Elle ne s’embarrasse pas de principes, je dirais même mieux, elle a les principes ôtés. D’accord, je ne la referai plus. Elle lit dans les lignes du tricot, et semble douée du don d’ubiquité. Elle se trouve toujours là où on l’attend le moins. Et elle s’y entend à merveille pour utiliser le chantage à des fins personnelles, utilitaires. Elle sait embobiner ses interlocuteurs, et parvient à s’immiscer dans le commissariat, en tant que vague assistante, installant son bureau dans une cave. Enfin, sa glotte est perpétuellement asséchée, et dans ce cas, il ne faut pas lui proposer de l’eau, même en provenance de SPA, mais un breuvage énergisant, reliquat de relation écossaise peut-être, buvant au goulot comme un veau tête les pis de sa mère, ou comme un soudard (et non un sous Dard).
Il est difficile et parfois malvenu pour un auteur d’être comparé à un autre. Il pourrait penser qu’il a effectué un plagiat ou un pastiche déguisé. Donc pas de comparaisons, mais une filiation, peut-être, un état d’esprit tout au moins. Nadine Monfils utilise avec brio le non-sens britannique dont on croyait que seuls les Anglais en possédaient l’apanage. On retrouve aussi un peu l’univers de Pierre Siniac, surtout dans ses romans consacrés à Luj Inferman et La Cloduque. Mais surtout un humour décalé qui planait autant dans les dialogues que les situations dans l’œuvre de Pierre Dac et Francis Blanche lorsqu’ils mettaient en scène l’ignoble Furax. Difficilement transposable au cinéma car le lecteur doit s’imprégner des phrases de l’auteur, se les approprier pour mieux les apprécier. Donc Nadine Monfils a de qui tenir et pourtant son univers singulier n’appartient qu’à elle. Des situations loufoques, baroques, qui sortent de sa plume comme si ça coulait de source comme on dit à Spa, célèbre ville thermale belge.
Nadine MONFILS : La Petite Fêlée aux allumettes. Editions Pocket N° 15371. 256 pages. 6,10€.