Orpailleur, or pillage…
Nouveau venu dans la galaxie des héros littéraires récurrents, Luc Mandoline, exerçant une profession qui n’a aucun rapport avec la musique malgré son nom. Il est thanatopracteur, ou pour faire plus simple embaumeur.
Mais avant d’aller plus loin, une présentation du personnage s’impose. Luc Mandoline aurait aimé devenir médecin légiste. Tout jeune il dévore manuels scolaires, romans, biographies, mais son caractère indépendant et affirmé le conduit à fréquenter de nombreux établissements scolaires, refusant toute forme d’autoritarisme. Ce qui ne l’empêche pas, la nature est versatile et incompréhensible parfois, de s’engager dans la Légion étrangère, signant un bail de huit ans. Huit ans au cours desquels il correspond régulièrement avec son amie d’enfance, Elisa, qu’il a connu gamin en lui soignant des genoux couronnés, quoiqu’étant tous deux d’origine prolétaire. Il se lie d’amitié avec Sullivan, lui aussi légionnaire, lequel lui fait connaître la thanatopraxie. Luc vient de trouver sa voie et comme il aime rester libre et indépendant, il va pratiquer sa profession comme remplaçant itinérant, vadrouillant de droite à gauche, et inversement.
Luc doit s’embarquer pour la Guyane, ce qui attise la fureur de son amie Elisa qu’il n’avait pas prévenue. Elle est mariée avec un pompier qui souffle sur la braise de leur ménage, et il en résulte quelques hématomes et plaies que Luc recoud avec dextérité. Elle veut absolument l’accompagner et comme prétexte elle prétend qu’étant journaliste free-lance, elle pourrait en profiter pour rédiger un article. Sullivan est lui aussi du voyage, car l’affaire qui les mande est sérieuse.
A peine arrivés à l’aéroport, ils sont agressés par la chaleur qui règne et accueillis par un jeune bidasse du 3è REI (régiment étranger d’infanterie de la Légion étrangère) basé à Kourou. Le colonel les reçoit avec affabilité, ils se connaissent depuis des années, ayant baroudé ensemble. Sauf Elisa, évidemment. Et s’il leur a demandé de se déplacer si loin, c’est parce qu’un homme de son régiment est mort lors d’une mission Harpie. Un inconvénient indubitablement lié à la fonction de militaire, sauf que dans ce cas, il ne s’agit pas d’une balle perdue mais d’une exécution réalisée de sang-froid. Un meurtre perpétré sciemment. Une impression confirmée en examinant le cadavre et une vidéo qui leur tombe miraculeusement sous les yeux.
Oscar Leblond, le défunt, était parti avec quelques autres compagnons sur un site illégal d’orpaillage. En général cela ne pose aucun problème, car les militaires se montrent plus respectueux des hommes et du matériel que les gendarmes (dixit l’auteur) qui eux saccagent tout sur leur passage. Luc, Sullivan et Elisa, qui ne résiste pas à effectuer un reportage malgré la chaleur et les dangers omniprésents, doivent se rendre sur place en compagnie de trois accompagnateurs qui connaissent le terrain. Mais auparavant ils rendent visite à la veuve. Ils sont fort surpris de rencontrer un soldat, ayant l’air de mauvais poil, sortant de chez elle. Il s’avère que c’est un ami de la famille, et plus même pour l’épouse éplorée. Une piste qui serait intéressante à suivre.
Elisa rencontre un de ses confrères journalistes, qui venu dix ans auparavant pour un reportage en Guyane, a décidé de rester par amour du pays. Il pensait qu’il ne s’agissait que d’un incident, mais à la lueur de l’information fournie par Elisa il est fort étonné. Selon lui, les garimpeiros ne s’en prennent pas aux militaires, car les bidasses les respectent, ne détruisant que le matériel et les installations, tandis que les gendarmes saccagent tout, même la nourriture. On sent qu’il existe un profond contentieux entre militaires et gendarmes, ce qui n’est pas de nature à faciliter le travail des uns et des autres.
L’autre piste étant celle qui mène au lieu de l’exécution d’Oscar. Et les embûches ne vont pas manquer pour entraver l’enquête de nos amis. Elisa pourra ramener un reportage intéressant. Et cela ne se fera pas sans frayeur, sans bosses, sans dégâts, sans cadavres et sans désillusions. Le tout assaisonné de certaines de tortures.
Et c’est peut-être cela qui m’empêche d’écrire qu’il s’agit d’un très bon bouquin. La scène décrite pages 129 et 130 était superflue, à mon avis. D’autant que l’auteur, étant lui-même policier, habite actuellement en Guyane. On peut se demander s’il s’agit d’un second degré ou d’une coutume courante. Une autre scène, située vers l’épilogue est très cinématographique, et il vaut mieux la prendre avec détachement. Comme s’il s’agissait d’une séquence entre Sylvester Stallone et Mister Bean.
Le personnage de Luc Mandoline, que l’on aurait aimé voir plus humain, en pâtit quelque peu. Sinon, le tout est solidement construit, intéressant et l’humour règne dans quelques dialogues échangés entre Luc, Sullivan et Elisa. La vie des garimpeiros, ces orpailleurs brésiliens qui passent la frontière proche, n’est pas rose. Ce sont des exploités sous les ordres d’hommes brutaux, dont les chefs sont réfugiés de l’autre côté du fleuve Maroni, au Surinam.
Et j’attends, avec une incontestable impatience, de voir comment va évoluer le personnage de Luc Mandoline, sous la plume des auteurs pressentis pour narrer ses aventures : Hervé Sard, Claude Vasseur ou Johan Moulin, pour n’en citer que quelques-uns. Normalement un volume devrait paraître tous les deux mois.
Le personnage de thanatopracteur n’est pas courant en littérature policière pourtant il ne faudrait pas oublier celui du Croque-mort dans une série écrite dans les années 80 par Alexis Lecaye sous le pseudonyme d’Alexandre Terrel et publiée au Masque.
Michel VIGNERON : Harpicide. Collection L’Embaumeur N°1. Editions L’Atelier Mosesu. Préface de Franck Thilliez. 284 pages. 9,95€.