Les joyeuses, ce pourrait être cette partie de l’anatomie masculine qui permet la reproduction de l’humanité. Ce pourrait être aussi ces fioles de vin rosé que s’enfilent, joyeusement notre narrateur et quasiment tous les protagonistes de ce roman théâtral. Ce pourrait être enfin la pièce de théâtre, Les Joyeuses commères de Windsor de Shakespeare, et que doivent interpréter pour quelques représentations une troupe dont les membres sont professionnels sur le déclin et amateurs du cru. Du cru, le terme pour une fois est adéquat, car l’histoire se déroule à Sablet, fief du rosé et du Gigondas. Ces joyeuses du titre, c’est tout cela à la fois.
Jean-Pierre Bernier qui veut terminer sa carrière en beauté a donc décidé de monter les fameuses Joyeuses commères avec une troupe constituée de bric et de broc (surtout de brocs car le vin coule à flots) avec d’anciens camarades de théâtre et des plus ou moins jeunettes à fouler les planches, ainsi que des amateurs locaux, dont Serge le jeune instituteur, Bruno un adjoint au maire, Simone Cabrières qui préside aux destinées du domaine viticole, Edwige, sa mère qui aima Jean-Pierre en son temps et en même temps fricotait avec David, représentant en spiritueux et père de Rico.
Ah Rico ! Fédérico Peres de son nom, la vingtaine bégayante. Depuis son plus jeune âge Rico est encombré de la glotte, sa langue se colle au palais et lorsqu’il veut s’exprimer les mots sortent de sa bouche comme les balles d’une mitrailleuse enrayée. Il a trouvé la solution, se taire et écrire. Et ne voilà-t-il pas qu’il est désigné pour un petit rôle de nigaud dans la pièce, en plus de jouer celui de régisseur général.
Rico se découvre un penchant pour le rosé, et il s’aperçoit qu’en s’imbibant ainsi, il retrouve l’usage de la parole, usage perdu depuis si longtemps que tous ces compagnons, hommes et femmes, en sont tout ébaubis. Lui le premier. Les incidents, drolatiques ou sérieux se succèdent, influant parfois de façon néfaste sur les répétitions.
Ainsi, lors d’un challenge devant désigner qui interprétera un personnage, Bruno fait une chute qui le contraint à rester cloué sur un fauteuil roulant. Rico devient donc remplaçant haut le pied, la main étant occupée à tenir la bouteille dont il avale goulument le contenu. Mais ce n’est pas tout, car il faut compter aussi sur les histoires de famille : Edwige qui déclare enfin sa flamme à Bernier alors que son cœur oscillait depuis très longtemps entre David le père de Rico et le metteur en scène acteur, David qui revient à l’improviste. Emma, une actrice, et Béatrice, une toubib qui prête son logement, s’amourachent de Rico qui ne sait plus ou donner des bras. Sans oublier les accessoires, une vieille panière qui doit servir dans l’une des scènes et dont le fond est souillé de vin ou de sang, et un ravin tapissé de tesson de bouteilles. Jusqu’à la scène finale qui est un véritable feu d’artifice comme souvent dans les romans de Michel Quint.
Michel Quint, qui outre un bac philo en 1967, une licence de lettres classiques en 1970 et en 1971 une maîtrise d’études théâtrales à l’Université de Lille, a suivi à partir de 1965 les cours d’art dramatique du conservatoire de Tourcoing, participé aux réalisations de diverses troupes d’amateurs de la métropole lilloise, suivi des stages nationaux de réalisation et de mise en scène, Michel Quint connait bien son sujet. De plus il est professeur de lettres classiques et est responsable depuis 1983 d’une option Propédeutique théâtrale. C’est peu de dire qu’il connait sur les bouts du doigt et de la langue parlée et écrite le monde du théâtre, en particulier du théâtre amateur dans lequel les acteurs sont tout à la fois indisciplinés et professionnels grâce à leur foi.
Il nous décrit tout ce petit monde avec saveur, humour, justesse, tendresse et une pointe d’ironie. Michel Quint est un romancier à part dans la cohorte des auteurs de romans noirs ou policiers, tant par le ton que par le style. Intimiste, il s'épanouit dans le pathétique. Il écrit avec des phrases qui cinglent comme des coups de sabre à la surface d'une mare, faisant remonter à la surface des bulles d'où se dégagent des miasmes de souvenirs, ou avec des phrases bandonéon qui s'étirent à l'infini. J'avais écrit à propos de Sanctus (éditions du Terrain vague – 1991) que Michel Quint "se vautre dans l'écriture alliant au rêve un hyperréalisme débridé". Il le démontre une nouvelle fois avec brio.
A lire également de Michel QUINT : Bella Ciao et Cake-Walk.
Michel QUINT : Les joyeuses. Première édition Stock 2009. Réédition Folio N° 5153. 18 décembre 2010. 192 pages. 5,40€.