Bon anniversaire à Michel Del Castillo, né le 2 août 1933.
Si bien des personnes, des intellectuels qui ne connaissent rien à la littérature noire et la littérature policière que par la bande, affirment haut et fort que ce genre littéraire n’est qu’un sous-produit, juste bon à jeter, à flatter les goûts des lecteurs au Q.I. anormalement sous développé (Si, si, je l’ai entendu dire), il est réconfortant de se rendre compte que des écrivains renommés, reconnus et encensés, ne dédaignent se lancer à l’eau et même éprouvent une jouissance trouble et secrète, un peu perverse, à patauger dans une flaque d’eau que des esprits chagrins considèrent comme une mare fangeuse et boueuse.
Alors ces écrivains, lorsqu’ils sont intègres, reconnaissent volontiers que la littérature policière demande beaucoup de patience, de travail, d’imagination et de rigueur à l’auteur qui se lance ainsi bille en tête dans un genre qu’il connaît peu ou prou.
Michel Del Castillo lui-même avoue dans son avant-propos avec beaucoup d’humilité qu’il n’a pas écrit ce qu’il est convenu d’appeler un roman policier, soulignant que ni le crime et ni le coupable suffisent à définir le genre. De plus il ose défendre ceux qui sont catalogués comme véritables auteurs de la littérature noire. Non seulement il proclame « les premiers numéros de la Série Noire contiennent autant de chefs d’œuvre sinon plus que des volumes parus dans des collections dites blanches, mais ajoute : N’en déplaise aux esthètes, il y a plus de vigueur, de force, d’invention chez maint auteur de la Série Noire qu’il n’y en a dans les trémoussements d’André Gide. Une plus juste vision de notre siècle également.
Alors Mort d’un poète, roman policier ou pas ? Oui, si l’on considère qu’il y a crime, recherche d’un coupable, enquête. Oui, s’il y a dénonciation d’abus, de corruptions, de prévarications. Oui, s’il se veut le reflet d’une perversion politique dans laquelle le mal et le bien se déchirent au nom d’une doctrine non suivie à la lettre par ses concepteurs. Mais la notion de roman criminel est dépassée par l’ambiance, par l’atmosphère du roman dans son intégralité. C’est presqu’un pamphlet, une politique fiction dont le prétexte est policier.
Ali Tasko, secrétaire du poète Tchardine, décède dans un accident de voiture. Fait divers banal, sauf que la voiture, une Porsche rouge d’importation, a été sabotée. L’enquête sur ce décès plus que suspect est confiée au ministre de la Justice, Igor Vedoz qui se rend compte que cette mission n’est pas honorifique mais une véritable chausse-trappe. D’ailleurs doit-il enquêter sur l’accident lui-même, en rechercher les auteurs, ou découvrir ce que sont devenus des papiers susceptibles de compromettre le régime politique ? Des documents convoités par le Guide Lumineux, l’Invincible Maréchal Carol Oussek, président de la république de Doumarie, un président qui se conduit en despote royaliste.
D’autres personnages aimeraient connaître le sort de ces documents, dont la femme du dit président.
Un roman-fable que l’on peut lire au premier ou au second degré, selon l’état d’esprit du lecteur, selon qu’il recherche l’évasion pure et simple ou qu’il aspire à se délecter de scandales plus ou moins réels, plus ou moins étouffés.
Quant à moi, je l’ai lu avec un esprit critique, non pas en fonction du reflet, du mode de vie de tel ou tel pays, mais en tant que roman policier tout simplement. Et je dis : admis à l’examen de passage, cet examen qui tente de concilier deux frères ennemis de la littérature en proposant un seul géniteur pouvant vagabonder dans un genre ou un autre.
(Chronique radiophonique d’octobre 1989)
Michel Del CASTILLO : Mort d’un poète. Collection Crime Parfait. Mercure de France. 1989. Réédition Folio 1991.