Bienvenue dans la petite revue de la littérature populaire d'avant-hier et d'hier. Chroniques de livres, portraits et entretiens, descriptions de personnages et de collections, de quoi ravir tout amateur curieux de cette forme littéraire parfois délaissée, à tort. Ce tableau a été réalisé par mon ami Roland Sadaune, artiste peintre, romancier, nouvelliste et cinéphile averti. Un grand merci à lui !
Bientôt la saison des prix va démarrer. Et le gagnant est ...
Le syndrome de la page blanche est une réalité, un cauchemar, et Joseph Melkian, romancier discret, dont les œuvres mériteraient d’être plus connues, serait-il atteint de ce mal ? Il expédie à une dizaine de personnes de son entourage des enveloppes qu’il a contresignées au dos mais ne contenant qu’une feuille vierge. Parmi ces destinataires Adam Melkian, son frère, riche homme d’affaires qui s’est fait à la force du poignet, Olivier Nérac, jeune poète en devenir, Marc Teulier, lecteur dans une grande maison d’éditions, romancier lui-même et qui avait refusé le manuscrit d’un protégé de Melkian, Virginie Gilot, guichetière à la Poste, Paul Prévy, concertiste, Gabrielle, sa maîtresse, Mathilde, sa fille, Jean-Louis Baladin, directeur des programmes de fiction à la télévision et qui s’était servi des trois scénarios proposés par Melkian pour une nouvelle série sans compenser celui-ci, et Simon Rose, détective privé auquel l’homme de l’art avait eu recours quelques jours auparavant afin de lui demander conseil sur les détails d’une intrigue policière.
Tous sont pour le moins intrigués, certains trouvant la farce bonne, d’autres y décelant une forme de menace. Mais l’écrivain a disparu, ne donnant aucun signe de vie. Inquiet, Adam Melkian demande conseil à Simon. Ce n’est pas hasard s’il requiert les services du détective car au domicile de son frère, il a trouvé posée en évidence sur une feuille blanche la carte de visite de Simon. Parallèlement une autre affaire se présente à Simon Rose par le biais du capitaine de police Augustin Nomé. L’académicien François Moricet, est harcelé depuis plusieurs mois par un individu qui, après l’avoir contacté au téléphone, lui envoie des missives anonymes de menaces. Très exactement le sept de chaque mois et ceci depuis six mois. L’une des premières lettres reçues contenait une photo noir et blanc, sans explication, représentant un homme nu cloué sur une planche à l’aide de sept clous. La deuxième missive se référait à un article sur une branche de la Camora qui punit de cette façon les traitres. Or comme le sept du septième mois approche il a demandé aide et protection de la police. Le jour dit, les invités se pressent dans le salon de l’académicien, et tout se passerait bien sauf que le petit ami de Moricet brille par son absence. Il est retrouvé chez lui cloué comme sur l’article de presse. Moricet est soupçonné mais l’affaire se tasse. Joseph Melkian est retrouvé en charmante compagnie à Capri et un an plus tard…
Si l’intrigue est le ressort du roman, l’intérêt du livre, du pamphlet oserais-je écrire, repose sur les pratiques du monde éditorial en général. Et les coups de griffes distribués ça et là ne manquent pas. D’abord sur les raisons financières qui priment. « Melkian est un écrivain attachant et doué, mais il ne vend pas. Et, nous le savons tous deux, chez les grands éditeurs, ce sont les commerciaux qui font désormais la loi. En dessous d’un certain chiffre, même un écrivain chevronné est mis sur la touche », plus loin « Chez nous, les commerciaux ont fixé à quatre mille le seuil minimum de rentabilité ».
Et voilà, le décor est planté mais ce n’est pas tout. Les exemples ne manquent pas. Le milieu littéraire en général est considéré comme un univers très particulier : « Il est vrai, dit Simon, qu’on n’a pas encore inventé le gilet pare-balles qui va avec. Les prédateurs qu’on y rencontre sont du genre pervers polymorphe ». Ainsi un auteur peut faire refuser par le comité de lecture le manuscrit d’un jeune concurrent qui pourrait lui faire de l’ombre, leurs deux ouvrages jouant sur le même registre. L’Académie Française et le Goncourt ne sont pas épargnés. « Triste époque où la seule évocation d’une institution vieille de trois siècles provoque rires et sarcasme. Il est vrai qu’aujourd’hui les brevets de médiocrité qu’il faut produire pour y être admis découragent plus d’un candidat ».
Et je pourrais continuer ainsi en extrayant d’autres citations, mais il ne faut pas non plus diluer la saveur de la lecture. Un roman qui éclaire sur des pratiques éditoriales, même si pour certains lecteurs, il peut sembler que l’auteur ait chargé la mule comme on dit. Mais l’on peut se référer à quelques affaires qui alimentent chaque automne, lors de la remise des prix, les propos de journalistes et critiques littéraires qui argumentent sur diverses magouilles pour l’attribution des précieux sésames synonymes de ventes faramineuses. Ou encore de plagiats dénoncés par d’obscurs écrivains dont les manuscrits se seraient perdus dans les couloirs de maisons d’éditions. Enfin, pour terminer sur une note ironique cette réflexion : « Son exposé, clair et concis, laissait espérer des facultés mentales plutôt développées pour un flic ».
Un livre hautement recommandable qui pourrait être étudié dans les lycées. Mais il serait étonnant que ce roman soit sélectionné pour un prix, Goncourt ou autre, à moins que les jurés fassent preuve d’intelligence, acceptant la dérision, l’ironie grinçante et les vérités qui sont toujours bonnes à écrire. Et parmi les personnages qui gravitent dans ce roman, on peut toujours essayer de mettre un nom sur tel et tel protagoniste. Et en François Moricet, faudrait-il reconnaître un certain François N… ?
Max GENEVE : Noir Goncourt. Editions Anabet. (2010). 14€.