Péripatéticiens d’indigents !
Retrouver trente après, un amour de jeunesse, n’est pas toujours désagréable, seulement cela dépend des conditions et de l’état physique des protagonistes. Ainsi, alors qu’il stationne au comptoir de son bar habituel, le Beau Bar, Clovis est tout étonné d’être abordé par une clocharde en laquelle il reconnaît Laura, la jolie Laura de son adolescence. Elle lui révèle que des SDF sont les victimes d’hommes circulant en 4X4, les aspergeant d’essence ou les brutalisant à mort. Et qu’une épidémie de grippe, aviaire, chikungunya ou autre, sévirait parmi les quartiers pauvres de la ville.
Bien évidemment les événements ne sont pas relayés par les médias et les autorités dites compétentes, ou si peu. Elle n’en sait guère plus Laura, mais elle peut toutefois orienter Clovis vers un maçon portugais reparti au pays après le décès d’un ami lui aussi Portugais et maçon dans un hôpital marseillais, et que trois pompiers auraient contracté la maladie en l’évacuant d’un squat. Les pompiers vont mieux, grâce à leur jeune âge et leur constitution solide. Mais les pauvres, les sans-abris, qui manquent du minimum vital n’ont pas cette chance.
La « peste des pauvres » continue ses ravages et Clovis décide de s’atteler à une enquête sur l’origine de cette épidémie, ou du moins de traquer la vérité, mais aussi de connaître pourquoi des individus sans scrupules s’attaquent à des êtres sans défense, puis à des enfants. Le maire Bellérophon Espingole minimise les incidents, les attentats envers les pauvres sont dédaignés par la presse. Clovis appelle à la rescousse ses amis Ralph, un policier qui a ses entrées partout, et Philippe, un journaliste qui fouine mais ses papiers ne sont pas publiés ou réduits à trois lignes. Lorsque les bruits qui courent ne peuvent plus être tus, l’état d’urgence est décrété, la quarantaine est envisagée, les accès à Marseille fermés, des pontifes scientifiques sont consultés, propageant la panique au lieu de s’évertuer à rassurer, les pauvres mis au ban de la société. Et Clovis trouvera un cadavre dans un placard, au vrai sens du terme, un poilu de la guerre 14-18.
Maurice Gouiran ne travaille pas dans la dentelle et si le décor de ce roman est implanté à Marseille « Marseille est, tu le sais bien depuis que tu traînes à droite et à gauche, une ville où l’on combat davantage les pauvres que la pauvreté », ces drames pourraient se passer n’importe où (ou presque) en France.
Il égratigne, griffe avec causticité : « Il est plus facile de se donner bonne conscience et d’afficher son âme charitable en aidant les pauvres que de combattre les principes d’une société soumise aux rapports de domination. Les hommes politiques en place aiment bien déplorer les problèmes liés au logement ou à la précarité sans en dénoncer les causes, comme s’il s’agissait d’un pseudo consensus politique hypocrite, le même que celui qui les conduisit à pleurer à chaudes larmes l’Abbé Pierre alors qu’ils étaient porteurs des mesures économiques qui favorisent la pauvreté ». Materazzi, propriétaire d’une société immobilière profite depuis des années en rasant des logements insalubres. Il achète à vil prix, déloge les sans-abris ou les personnes âgées qui y vivent tant bien que mal, et au lieu de reconstruire immédiatement malgré les projets entérinés par les édiles, attend béatement, afin de faire grimper les prix des autres logements. Haro sur les pauvres ! On les met à la rue mais on ne les reloge pas et après on leur reproche de squatter ou de trainer et de salir le paysage. Maurice Gouiran fait œuvre pie en dénonçant la cupidité, la rapacité, l’ignominie, l’hypocrisie, le cynisme. Ce que Maurice Gouiran pourra écrire, et dénoncer, ne changera rien aux méthodes employées. Il s’érige un peu en Don Quichotte de la fiction.
A lire également de Maurice Gouiran : Et l'été finira, Sur nos cadavres ils dansent le tango, Franco est mort jeudi, Les vrais durs meurent aussi et Train bleu train noir.
Maurice GOUIRAN : Putains de pauvres ! Collection Jigal Polar. Editions Jigal. Octobre 2007. 254 pages. 16,23€.
Paul Maugendre