Lorsque la fiction se nourrit de faits divers et lorsque l’actualité rejoint la fiction, pourrait être le sous-titre de ce nouveau roman de Maurice Gouiran. Mais à l’instar de nos flâneries campagnardes, intéressons-nous d’abord au chemin tracé, c’est-à-dire à l’intrigue, puis nous pourrons nous attarder sur tout ce qui borde cette voie, les indications, les repères, les compléments utiles qui ne sont pas uniquement des digressions mais des pistes de réflexion.
Avant de rejoindre Paris où il vient de signer un contrat à l’Agence France Presse (AFP), Clovis Narigou qui vient de terminer ses études de journalisme décide de prendre quelques jours de vacances en cette fin de mois d’août 1973. Il retrouve son grand-père Bati, veuf depuis quelques mois, et l’aide dans ses travaux de maçonnerie afin de clôturer le pacage de ses brebis. Mais il ne consacre pas uniquement son temps à monter un muret, car Olivia le réclame la nuit et même la journée en fin de semaine pour l’aider à satisfaire sa libido.
En ce dimanche du 26 août Olivia est particulièrement remontée. Elle a lu un article dans Le Méridional, journal de droite réactionnaire, raciste et xénophobe, relatant l’agression d’un chauffeur de bus par un Maghrébin. L’homme a été arrêté et l’éditorialiste s’en prend violemment à tous les Algériens vivant à Marseille. Peu auparavant, d’autres ressortissants d’Afrique du Nord ont été retrouvés, assassinés, mais aussitôt la presse a évoqué des règlements de compte entre malfrats de même origine géographique. Le lundi matin, alors que Clovis est en plein labeur chez Bati à La Varune, Olivia arrive totalement affolée. Elle annonce à son amant que son voisin Alain a disparu et n’a pas donné de signe de vie depuis plusieurs jours. En réalité Alain se nomme Ali, est d’origine Algérienne et travaille à la mairie phocéenne au service des offres de marchés et des achats. Il est rédacteur et a sous sa coupe quelques Français. Clovis était ami avec Ali, ils se sont connus jeunes, ils ont joués au foot ensemble, et Olivia n’a pas à forcer sa requête pour que Clovis s’attèle à la recherche d’Ali.
Pourrait-il s’agir d’une quelconque jalousie à son encontre, ni Olivia, ni Clovis n’en sont persuadés, mais aucune piste ne peut être écartée, celle d’une fugue en particulier. D’autres Nord-Africains sont retrouvés homicidés et il n’est pas exclu que les deux affaires soient liées. En compagnie d’Olivia, Clovis décide de s’infiltrer chez Ali, seul un petit muret délimitant les deux jardinets. Les lieux sont totalement dévastés et un comité d’accueil composé de deux ou trois hommes n’apprécient pas cette intrusion et font feu sur les deux jeunes gens. Olivia est sérieusement touchée et elle est transportée à l’hôpital de la Timone. Gomez, un policier Pied-noir, s’attache aux basques de Clovis et d’Olivia. Il est rempli de préjugés envers les Algériens et seul son sentiment raciste prévaut.
Alain alias Ali est retrouvé mort, salement amoché, c’est-à-dire torturé et les membres liés. Un meurtre dont la conception est différente des précédents. C’est en découvrant une clé dans une Darbouka, sorte de tambour très répandu en Afrique du Nord que Clovis pense être sur une piste. Mais si cette clé peut résoudre une partie des problèmes, Clovis n’a guère le temps de profiter de ses réflexions, car il est assommé. Cela lui met en tête, malgré le mal de crâne qui en résulte, la profonde conviction qu’Ali était en possession de quelque chose pouvant mettre en cause des personnalités et qu’il doit continuer son enquête en mémoire de son ami.
Voici donc le chemin tracé, attardons-nous maintenant à regarder ce qui le borde. D’abord Milou, le copain de Bati, qui ne manque pas de se joindre à la horde de loups hurlant à la mort. Bati lui fait remarquer que s’il est Marseillais, ce n’est pas si vieux que ça. Son grand-père était un Italien qui était venu en France au début des années 1890 pour travailler. D’ailleurs sa fille, la mère de Milou, a consigné le parcours de ce grand-père ainsi que les événements qui l’ont conduit à Aigues-Mortes ramasser le sel, les échauffourées entre gens du cru, les trimards et la colonie italienne, les morts et l’installation de l’aïeul à Marseille. Déjà les accusations d’étrangers venant prendre le travail des Français étaient proférées. Comme le fait remarquer Maurice Gouiran par la bouche de Bati, il est étonnant, déconcertant, inadmissible même que les enfants d’étrangers qui ont eu du mal à s’installer en France, deviennent xénophobes, oubliant leurs origines, et sont les plus vindicatifs à l’encontre des immigrés et des réfugiés. Et c’est bien là que l’actualité rejoint la fiction, avec les faits de sociétés actuels et les déclarations d’hommes politiques, qui nés en France, ne peuvent se targuer d’être Français à cent pour cent. Mais ceci est un autre débat.
Maurice Gouiran revient aussi sur d’autres épisodes dont la création du Front National en 1972, succédant à Ordre Nouveau. Il revient aussi sur la déclaration de Gaston Defferre qui en juillet 1962, vitupérait contre les Pieds-noirs, déclarant Je ne veux aucun Pied-noir à Marseille. Gaston Defferre qui propriétaire du Provençal racheta le Méridional, sans que la ligne de conduite du journal change d’un iota. Ce que l’on appelle avoir le double langage, ou ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Bien d’autres exemples émaillent ce roman dont chaque chapitre est annoncé par l’éphéméride du jour. Et à chaque fois une citation est proposée issue de déclarations d’hommes politiques, dont Pierre Laval, Gaston Defferre déjà cité, Jean-Marie Le Pen, incontournable, ou encore Claude Guéant dans une annonce datant de septembre 2011 : Il y a une immigration comorienne importante qui est la cause de beaucoup de violence. Je ne peux pas la quantifier. Comment voulez-vous après cela que les relations ne s’enveniment pas, que les ressentiments ne soient pas exacerbés ? Que voulez-vous, pour se faire élire ou réélire des hommes politiques n’hésitent pas à jouer aux pompiers pyromanes !
Maurice Gouiran nous propose un roman humaniste, un cours de rattrapage scolaire sur l’histoire au moment où certains technocrates de l’Education Nationale pensent à supprimer cette discipline, ou du moins à l’adapter.
Vous pouvez également lire un entretien avec Maurice Gouiran et la chronique de son précédent roman : Sur nos cadavres, ils dansent le tango
Maurice GOUIRAN : Et l’été finira. Collection Polar, éditions Jigal. 300 pages. 18,50€.