Episode 2 de l'opération Les 20 ans de la collection Chemins Nocturnes.
L'on oppose, souvent à tort, les écrivains français aux américains. Un manque de maturité, de force, de noirceur dans l'écriture. Une espèce d'aura qui règne et que nos petits auteurs bien de chez nous n'acquièrent qu'avec parcimonie. Selon les critiques, bien évidemment.
Car si l'on daigne se pencher un tant soit peu sur la production actuelle, l'on peut découvrir des perles qui n'ont rien à envier à nos voisins d'Outre Atlantique. Ainsi Maud Tabachnik nous entraîne en compagnie de son héroïne Sandra Khan, une journaliste lesbienne et d'origine juive, dans le désert de Mojave, à Boulder City. Dans cette enclave, comédon sur le sable du Nevada, vivent des Américains moyens issus souvent de consanguinité, et qui n'apprécient pas du tout l'intrusion d'étrangers dans leur communauté.
Sandra, qui se languit de Boston, est envoyé par son rédac' chef dans ce trou perdu du Nevada afin d'enquêter sur la disparition suspecte de deux rescapés du mouvement hippie, puis sur celle de deux couples et de leurs enfants. La police locale puis le FBI se sont démenés mais ils n'ont réussi qu'à soulever un peu de poussière. Les affaires ont été classées sans suite.
Sandra se heurte aux flics locaux, ce qui ne la décourage nullement. Elle trouve en la personne d'un vétérinaire, échoué là parce qu'il n'a pas le courage d'aller ailleurs, et d'une espèce d'ivrogne qui vit en reclus dans une cabane en dehors de la ville, deux alliés qui s'avèrent précieux. Un chien blessé, qui erre sans maître, une poupée régurgitée par le désert, deux éléments qui semblent confirmer que les disparitions pourraient avoir une origine violente. D'autant que le brave canin de Rusty s'amuse un jour avec une vipère-tigre, une espèce particulièrement venimeuse. Le hic, c'est que ce genre de reptile ophidien n'a pas l'habitude de traîner en ville, dans la cour d'un vétérinaire. Une farce de fort mauvais goût.
Autre farce, la présence d'une araignée dans le lit de Sandra, une Atrax Robustus australienne, très venimeuse et très agressive. Que fait cette mygale loin de sa patrie d'origine ? C'est ce que se demande Sandra qui a bien du mal à s'accommoder, en plus de toutes ces bestioles, d'une sangsue du nom de Mauren, fille du maire de la localité, laquelle lui demande de l'aider à quitter ce sinistre patelin et d'un barman homosexuel en butte aux quolibets de ses clients.
Ce roman, ancré dans l'Amérique rurale, possède une puissance d'évocation, aussi bien dans la description des personnages que de celle des scènes d'action, qui n'est pas sans rappeler l'univers de Jim Thompson. Un compliment qui se trouve renforcé lorsque l'on sait que ce livre a été écrit par une plume féminine. Mais il est loin le temps où les femmes se cantonnaient dans la broderie littéraire.
Maud Tabachnik piétine le monde machiste du roman noir et prouve que la femme est l'avenir de l'homme comme le chante Ferrat. Un roman coup de poing dont la fin ouverte nous fait attendre avec une certaine impatience le prochain livre de Maud Tabachnik. Ce qui ne tardera pas.