Bienvenue dans la petite revue de la littérature populaire d'avant-hier et d'hier. Chroniques de livres, portraits et entretiens, descriptions de personnages et de collections, de quoi ravir tout amateur curieux de cette forme littéraire parfois délaissée, à tort. Ce tableau a été réalisé par mon ami Roland Sadaune, artiste peintre, romancier, nouvelliste et cinéphile averti. Un grand merci à lui !
Et ne reviens jamais, jamais, jamais... (à chanter sur l'air de Fiche le camp Jack)
Pour beaucoup de jeunes, la vie n’est pas facile. C’est un jeune parisien âgé d’une vingtaine d’années, et il est poète. Or, à de rares exceptions près, la poésie n’a jamais fait vivre son auteur. Plus tard, lorsqu’il sera mort, peut-être, mais en attendant il faut quand même se sustenter. C’est la moindre des choses. Aussi, Théo ne passe pas ses journées à coucher sur le papier ses vers, ceux de la poésie pas ceux qui se régaleront de son cadavre plus tard, et il travaille.
Oh, on ne peut pas dire qu’il s’éclate dans son boulot, mais après tout il en a un, alors faut être ponctuel. Actuellement il rénove les endroits dédiés à libérer le corps humain de ses déchets organiques. A l’origine les édicules étaient partagés en deux compartiments, l’un pour les femmes, l’autre pour les hommes. Un vieux fond de pudeur qui refuse la mixité. Mais sous la gouvernance de madame la Présidente Le Pen la mixité prend une autre dimension : un côté pour les Français, un autre pour les étrangers. Ne Mélanchon pas (Zut ça m’a échappé), ne mélangeons pas les torchons et les serviettes, parait-il. Pourtant ces deux bouts de tissu sont lavés en même temps dans le même bac.
Revenons à Théo qui vient de présenter un poème à la sous-directrice des affaires culturelles du ministère des Loisirs. Un texte qui devrait paraître dans le dossier de presse destiné à l’ouverture du Musée de la Vieille Europe à Neuilly. Or un petit passage, tout petit mais quand même, pose un léger problème à Janine Darcier-Schwitters. Deux mots qui pourraient incommoder non point madame la Présidente Le Pen, on connait sa tolérance, mais son entourage, l’environnement présidentiel. Théo doit donc supprimer ces deux mots, ou les changer, enfin s’arranger pour que ceux-ci n’apparaissent plus. Et il est embêté Théo, car dans ce cas, son poème sera vidé de son sens. Comme il le déclare à Janine Darcier-Schwitters, Si je me contente de supprimer ces deux mots, je risque de détruire l’harmonie de la page, de briser le rythme, la musique intérieure, le chant secret du poème. Alors il va le réécrire, d’autant qu’Yves Duteil avait été pressenti pour lire son texte lors de l’inauguration mais que la Présidente a contacté Dieudonné Machintruc, un nom africain dont elle ne se souvient plus exactement mais ce n’est pas grave.
Ah oui, j’ai oublié de vous dire que les deux mots incriminés étaient Juif Sympathique. Ce n’est pas tellement le mot juif qui pose problème, quoique, mais c’est qu’il soit accolé à sympathique. Un amalgame qui c’est sûr va fortement déplaire à l’entourage présidentiel.
L’heure ayant sonné de quitter le chantier, et avant de rentrer chez lui et s’atteler à un nouveau poème, Théo passe place de la République. Un échafaud est dressé et un pauvre bougre va avoir la tête tranchée. Car la peine de mort a été rétablie. Théo se rend chez son ami Maurice Delbecq. Celui vit dans un coquet appartement mais il sait qu’il est surveillé par un individu qui se prétend retraité mais est un poète inféodé au système. Cela n’empêche pas Delbecq d’inviter Théo à une partie de pétanque aux Arènes de Lutèce pour la journée de la Poésie, Réda, qui fait partie du club des Poètes en Résistance, l’ayant défié. Puis il se promène dans le quartier du Marais.
Deux jours plus tard il remet son nouveau texte à la sous-directrice des affaires, etc. Mais celui comporte une fois de plus une petite phrase qui risque de choquer les amis de la Présidente Le Pen. Cela n’empêche pas la quinquagénaire de s’intéresser au corps juvénile de Théo et de pratiquer un corps à corps mixte.
Des lignes de métro ont été supprimées et pour se déplacer de nouveaux moyens de locomotion ont été créés : par exemple des pousse-pousse, conduits par des chômeurs Bac+7. On n’arrête pas le progrès. L’avantage réside dans l’absence de pollution. Mais Théo, après quelques démêlés (je saute des passages), se retrouve à Pau. Le service militaire a été rétabli, et les bonnes vieilles habitudes se transmettent. Et qui dit armée, dit résistance. Les démocraties dictatoriales, ou dictatures démocratiques, ont toujours favorisé l’éclosion de rebelles au pouvoir.
Dans les années 1950-1960, Geneviève Tabouis, célèbre journaliste politique, débutait ses éditoriaux radiophoniques par : Attendez-vous à savoir…
Marc Villard aurait pu reprendre à son compte cette antienne mais il préfère s’immerger dans une histoire de politique-fiction totalement inventée puisqu’elle se déroule dans quelques années. Et ce qu’il nous décrit ne peut en aucune manière se produire un jour, quoique, à la réflexion, on ne sait jamais comment peuvent réagir les électeurs qui se conduisent en moutons de Panurge. Il ironise pour mieux combattre l’amertume de l’évolution des idées politiques, surtout celles de l’extrême-droite. Le seul refuge réside en l’écriture, mais il arrive un moment où même celle-ci est bafouée. Ecrire oui, mais pas sur n’importe quoi et n’importe qui. La résistance passe par les mots, mais cela suffit-il ? Marc Villard, s’il dénonce certains propos tenus en toute impunité, s’il préfère anticiper avec l’espoir que cela ne se réalisera jamais, joue sur le ridicule, la dérision, il se moque, il s’amuse mais derrière les mots pointe l’amertume.
Spécialiste des textes courts, Marc Villard démontre une fois de plus son talent de conteur, piochant dans le terreau des idées malsaines pour mieux les mettre en évidence et les dénoncer. Mais il le fait avec subtilité et humour noir, à l’instar des caricaturistes d’autrefois.
Marc VILLARD : Dégage ! Collection quelqu’un m’a dit… Editions IN8. 64 pages. 8€.