L'amour mènera toujours le monde par le bout... du cœur !
Contemporaine de George Sand, Louise Colet est née le 15 août 1810 à Aix-en-Provence et est décédée à Paris le 8 mars 1876 quelques mois avant son illustre consœur. Mais ce n'est pas la seule coïncidence qui réunit les deux femmes de lettres. En effet, toute comme George Sand, elle eut pour amant Alfred de Musset. Mais ce ne fut pas le seul, puisque Louise Colet telle une veuve noire, célèbre araignée, attira dans les toiles de son lit Gustave Flaubert et quelques autres.
Sa renommée littéraire ne résistera pas au temps et les éditions Archipoche nous permettent de découvrir deux textes dus à cette femme de lettres qui avait compris, comme les starlettes, qu'il fallait coucher pour exister.
Dans Un drame rue de Rivoli, Louise Colet développe le thème éternel de l'amour et de la jalousie. Eudoxie, la jeune fille d'un militaire en retraite concierge dans un immeuble appartenant à un général d'empire, Eudoxie s'est éprise d'un locataire allemand, Frédéric Halsener, lui-même fils d'un général prussien qui par sa bravoure obtint l'estime de ses adversaires. Frédérik vit au sixième étage dans un deux pièces contigu à celui d'Eudoxie, et la jeune fille l'aperçoit de temps à autre par la séparation grillagée de son balcon. Il semble toujours perdu dans ses pensées et elle met le compte de ses rêveries sur son statut de poète. C'est en partie vrai, mais Frédérik s'est également épris d'une jeune femme qu'il a remarquée assise sur un banc près de la rue de Rivoli. Elle est accompagnée d'une vieille dame, dont il apprend qu'elle est sa grand-mère, et lui lit des livres. Elles restent pendant des heures sur ce banc et bientôt cette jeune femme constate son manège. Elle est mariée à un industriel, un parvenu qui a manigancé de se marier avec elle, ce qu'il a réussi, devenant par ce fait un gros propriétaire terrien en même temps qu'il s'accaparait le titre de noblesse de Diane de Valcy, en Normandie. Jusqu'au jour où la vieille dame décède, qu'enfin Frédérik ose aborder Diane et qu'Eudoxie toujours à l'affût révèle sa nature d'envieuse et de jalouse. Et comme l'on sait, ce sont les histoires d'amours contrariées qui fournissent les plus beaux textes.
Une histoire qui traîne un peu en longueur car Louise Colet se complait à disséquer la psychologie des personnages, les montrant sous toutes leurs coutures, et qui inconsciemment se met quelque peu dans la peau de ses personnages. Ou le contraire. Frédérik aimait la gloire, non cette gloire qui serait bien mieux nommée en s'appelant vanité et qui n'attire qu'une admiration stérile. Frédérik était épris d'une autre gloire : il voulait que les enfants de sa pensée exerçassent un pouvoir plus direct et plus vivant dans les cœurs. Ce que auquel Louise Colet aspirait. A noter cette réflexion lancée lors d'une discussion : Mais qui est-ce qui croit aux journaux ? L'on serait tenté de dire déjà ? et cela n'a pas changé.
Une histoire de soldat, qui suit ce texte, a paru sensiblement à la même période, au milieu des années 1850. Un roman gigogne qui débute dans un salon littéraire auquel participe l'auteur, puis qui continue son petit chemin par déclinaisons. L'histoire principale, qui elle-même en enchâsse une autre, est celle narrée à deux amis qui se sustentent par une serveuse de l'auberge.
Madeleine, originaire de Saint-Julien près de Lons-le-Saunier, est partie de son village pour suivre son fiancé Pierre qui est soldat. A l'origine, elle fréquente Joseph, un être un peu mièvre et qui se montre avaricieux comme son père. Elle pense l'aimer et ils doivent convoler ensemble. Seulement la conscription passe par là et il est tiré au sort. Jour de malchance pensent-ils. Pierre qui aime en secret Madeleine se propose de le remplacer et de rejoindre l'armée. Joseph se montre sous son mauvais jour et Madeleine se rend bientôt compte qu'elle est attirée par Pierre. Alors n'écoutant que son cœur elle décide de le suivre dans ses différents casernements, jusqu'en Algérie, trouvant toujours un emploi près de l'élu de son cœur. C'est ainsi qu'elle s'occupe à des travaux de couture ou garde des enfants chez des dames de la bourgeoisie et devient même cantinière sur le front algérien. Elle doit se marier avec Pierre mais il faut attendre six ans pour qu'il soit libéré de ses obligations militaires. C'est ainsi qu'après l'Algérie elle continue de suivre Pierre dans ses déplacements et se retrouve dans une grande ville de province. C'est alors que nait un récit dans le récit, une histoire d'amour contrariée à laquelle elle assiste impuissante.
Dans ce mini-roman, Louise Colet évoque Rouget de l'Isle et comment il en vint à composer la Marseillaise. Elle met également en contre-point les différences entre gens de la bourgeoisie et les paysans dont les priorités sont divergentes. Ainsi, lorsque l'un des deux amis qui se reposent dans l'auberge demande à Madeleine si elle a déjà entendu parler de Rouget de l'Isle, originaire de Lons-le-Saunier, elle rétorque : Jamais. Nous autres travailleurs nous n'avons pas le temps de nous occuper des choses d'agrément. Et par extension Louise Colet ajoute : Les choses d'agrément, pour le peuple, surtout pour le paysan, sont la musique, la poésie, l'art tout entier dans ses détails ou son ensemble, dans ses ébauches ou sa grandeur. Deux mondes qui se côtoient mais n'ont pas les mêmes préoccupations. Louise Colet souligne les différences de comportement de deux mondes. Tandis que dans les salons littéraires, hommes et femmes parlent, conversent, bavardent, bavassent, accessoirement philosophent, tout en dégustant sucreries et liqueurs, en deux petites touches, en deux phrases Louise Colet montre Madeleine relater son expérience sans rester inactive. Elle tricote !
Cela changera par la suite avec la diffusion plus intense des journaux, des magazines, l'invention de la radio puis de la télévision. Mais à cette époque, le petit peuple n'avait pas accès à la culture, et le roman populaire dit roman de gare fit beaucoup pour réduire les barrières. Réduire seulement car lorsque l'on voit la politique culturelle actuelle, on peut se poser des questions sur l'édification d'un nouveau mur. Mais ceci est une autre histoire comme aurait écrit Rudyard Kipling.
Louise Colet était tombée dans l'oubli, et il est bon de retrouver quelques-uns de ses textes, ne serait-ce que pour mieux appréhender la conception de l'amour, du point de vue féminin au XIXème siècle.
Joseph Vebret signe une préface très intéressante, riche d'enseignement, et qui nous montre Louise Colet en femme forte qui ne se laisse pas marcher sur les pieds par les hommes, au contraire et qui sait arriver à ses fins, autant par la grâce de son physique que par son talent qui sera reconnu à plusieurs reprises.
Un autre avis ? Voir l'article consacré à ce recueil par Claude Le Nocher sur Action-Suspense.
Louise COLET : Un drame dans la rue de Rivoli suivi de Une histoire de soldat. Editions Archipoche N°315. Parution le 20 août 2014. 320 pages. 7,65€.