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31 mars 2014 1 31 /03 /mars /2014 08:55

Comme disait ma grand-mère : Il ne faut pas confondre Témoins de Jéhovah et témoins de Gévéor. Au moins ces derniers ne refusent pas une transfusion par voie stomacale le sang du Seigneur contenu en bouteilles d’un litre.

 

arab-jazz.jpg


A quoi servent les prix littéraires ? A reconnaître la valeur littéraire d’un roman et celle de son auteur. Sans l’obtention du Grand Prix de Littérature Policière 2012, je ne suis pas sûr que je me sois penché sur cet ouvrage. Et c’eut été dommage.

Dès les premières pages de ce roman je me suis senti, comme Alice, aspiré par une force qui propulse de l’autre côté du conscient et projette l’esprit dans un vide abyssal tapissé de livres.

Ploc, ploc, ploc… Ahmed Taroudant qui rêvasse sur le balcon de son petit appartement du 19ème arrondissement parisien effectue subitement un retour à la réalité. Il pleut. Ploc ! Première goutte sur le visage. Ploc ! Deuxième goutte qui s’écrase sur la manche de sa gallabiyah blanche. Ploc ! Troisième goutte sur le bout de son nez. Force lui est de constater qu’il ne s’agit pas d’eau mais de sang. Levant les yeux Ahmed découvre un pied puis un corps. Celui de Laura, sa voisine du dessus. Il n’a pas besoin d’utiliser la clé que la jeune femme lui avait confiée pour soigner ses plantes lors de ses absences, elle est hôtesse de l’air, car la porte est entrouverte.

Ahmed est un grand lecteur de romans policiers. Il achète ses bouquins au kilo chez Monsieur Paul, un bouquiniste arménien du quartier. Un fois lus, il empile les romans contre les murs de son studio. Il a calculé, le poids est évalué à deux tonnes cinq. Tout ça pour dire qu’Ahmed sait ce qu’il ne faut pas faire : se déplacer jusqu’au corps sans laisser d’empreintes. A peine redescendu chez lui, les policiers, représentés par Rachel Kupferstein, une rousse flamboyante, et Jean Hamelot, un brun ténébreux, se pointent chez Laura, accompagnés de membres de la Scientifique. Un appel anonyme en provenance d’une cabine téléphonique située dans le 18ème arrondissement, les a prévenus de ce meurtre et du cadavre en exposition. Une sorte de mise en scène macabre les interloque : un rôti de porc cru trône sur la table et les fleurs des trois orchidées décapitées sont disposées en triangle sur la cuvette des W.C.

Ahmed se sent redevable envers Laura qu’il soupçonnait de l’aimer sans oser se déclarer. Alors il décide de retrouver son meurtrier, concomitamment à l’enquête des deux policiers. Grâce à la bignole de l’immeuble, les deux policiers peuvent baliser leurs recherches. Laura, outre Ahmed, avait trois amies : Bintou, Aïcha et Rebecca. Or Rebecca a disparu d’un seul coup, comme ça sans prévenir. Le patron d’un kebab que Jean fréquente régulièrement lui apprend qu’une nouvelle substance circule dans le quartier, des pilules qui ressemblent à de l’ecstasy mais en beaucoup plus fort. Bintou et Aïcha sont elles aussi des fidèles du kebab et une rencontre improvisée permet aux deux policiers d’apprendre de la part des deux jeunes filles que les parents de Laura sont Témoins de Jéhovah et qu’ils habitent à Niort. D’ailleurs Laura avait claqué la porte de chez elle à sa majorité. Elles parlent aussi de garçons trop religieux, que Jean connait plus ou moins. Moktar et Ruben, un salafiste et un hassid, et leurs frères Alpha et Mourad. Tous quatre s’étaient constitués en groupe de rap, les 75-Zorro-19. Si Moktar, Mourad et Alpha fréquentent régulièrement une salle de prière salafiste, Ruben quant à lui appartient à une nouvelle mouvance hassidique, groupe formé par des Juifs de Tiznit au Maroc, dissident d’un mouvement d’origine biélorusse et qui se sont donné leur propre chef religieux messianique à Brooklyn.


arab-jazz2.jpgCe roman dégage une ambiance personnelle proche de celles de Simenon, une journée étrange comme en apesanteur… et de Fred Vargas, sans que l’on puisse parler de véritable influence. Les personnages ne se fondent pas dans un moule, mais sont tous comme des modèles uniques. Ahmed par exemple, lecteur vorace, est en arrête-maladie depuis cinq ans et perçoit l’Allocation Adulte Handicapé depuis plus de trois ans. Il est atteint de dépression chronique depuis que veilleur de nuit dans un magasin de meubles il a été le témoin d’un meurtre. Il a même séjourné dans un hôpital psychiatrique où il a retrouvé l’un des habitants du quartier. Le commissaire Mercator, afin de mieux se concentrer sur les rapports oraux de ses adjoints, dessine sur du papier qu’il achète sur ses propres deniers des ronds, un cercle par feuille, toujours centré et de la même taille, à main levée. Seuls les policiers du 18ème ne dérogent pas vraiment à l’idée que l’on se fait des brebis galeuses. Quant aux autres protagonistes, ils sont aussi à découvrir.

Une communauté qui en englobe plusieurs, où Arabes Islamistes et Juifs vivent en bonne intelligence, jusqu’à un certain point. Car il est bien connu que si l’on ne veut pas se fâcher avec sa famille et ses amis il vaut mieux éviter de parler politique et religion. Et l’on s’aperçoit que les convictions religieuses affichées ne sont parfois que des façades qui permettent d’obtenir un statut et de jouer un rôle prépondérant dans la société.


Karim MISKE : Arab Jazz. (Première édition Editions Viviane Hamy ; collection Chemins nocturnes - mars 2012). Rééditions Editions Points. Parution le 13 mars 2014. 336 pages. 7,60€.

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commentaires

G
J'ai noté ce titre à sa sortie en gd format mais je ne l'ai toujours pas lu. Je vais faire une descente chez mon libraire je crois...
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O
<br /> <br /> Prends un grand cabas Gridou au cas ou tu en trouverais d'autres .... !<br /> <br /> <br /> <br />
A
Tout n'est finalement que lutte de pouvoir.
Répondre
O
<br /> <br /> On en a encore aujourd'hui la preuve, quelqu'en soit le domaine.<br /> <br /> <br /> <br />

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  • : Bienvenue dans la petite revue de la littérature populaire d'avant-hier et d'hier. Chroniques de livres, portraits et entretiens, descriptions de personnages et de collections, de quoi ravir tout amateur curieux de cette forme littéraire parfois délaissée, à tort. Ce tableau a été réalisé par mon ami Roland Sadaune, artiste peintre, romancier, nouvelliste et cinéphile averti. Un grand merci à lui !
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