Cherchez la femme… !
Cette recommandation que l’on trouve dans le roman Les Mohicans de Paris d’Alexandre Dumas et qui serait attribuée au lieutenant général de police Antoine de Sartine (1729-1801), George Lernaf (appréciez l’anagramme avec le patronyme de l’auteur) n’a pas besoin de se la remémorer comme le faisaient bien des auteurs de romans policiers pour qui c’était devenu une antienne.
Alors qu’il s’apprête à rentrer chez lui, Georges aperçoit un taxi se garer à la porte de son immeuble et une femme en descendre (du taxi, pas de l’immeuble), chapeautée d’un Borsalino, des lunettes noires lui protégeant les yeux, vêtue d’un ciré, normal quand il pleut. Un peu curieux, on ne se refait pas, il suit la jeune femme monter les escaliers, se demandant chez qui elle peut se rendre. Pas chez la voisine, la belle et aguichante Elodie, masseuse, qui ne reçoit que des hommes, donc ce n’est pas son genre. C’est à sa porte que la belle inconnue sonne, et Georges n’a qu’à lui ouvrir afin qu’elle s’installe, toujours protégée par son déguisement à la Peter Cheney.
Elle se présente, mais Georges, qui est détective rappelons-le et a l’occasion de feuilleter des magazines à scandales lors de ses veilles afin de prendre sur le fait l’épouse infidèle ou le mari volage, la reconnait. Il s’agit de Laure Blanchet dont le mari pourrait être son père. Plus de quarante ans de différence, mais Pierre Blanchet est encore vert. Comme les poireaux, si les racines sont blanches, le reste… Bref, Laure lui établi un chèque en or, ce qui va contenter son banquier, mais pour cela Georges doit effectuer un petit travail. Rien de bien méchant : le mari de Laure veut devenir veuf, et Georges doit définir la date et le moyen utilisé. Elle fonde ses soupçons sur le fait que Blanchet a des liaisons extraconjugales avec une call-girl, et il semblerait que depuis un certain temps ce soit toujours la même. Le contrat de mariage prévoit qu’en cas de divorce, une grosse partie de la fortune de Blanchet revient à sa femme, donc, cette solution ne pouvant être envisagée, il ne reste que l’élimination. Buvez éliminez, pense Georges en la voyant vider le verre qu’il lui a proposé.
Après avoir accepté la mission, ainsi que rencontrer le mari le lendemain, lors de la réception qui va être donnée en l’honneur de la remise de la Légion d’Honneur à Blanchet, Georges se rend à sa banque afin de remettre le chèque, ce qui nous vaut une scène mémorable. Puis il demande à son ami le commandant de police Emile Dujardin, avec qui il a travaillé dans le temps, de se renseigner sur Blanchet and Co. Aussitôt dit, aussitôt fait, le bonhomme est blanc. Rien à lui reprocher, malgré le nombre de sociétés qu’il dirige. Mais il dispose d’un service de renseignements qui lui permet de tout connaître, tout savoir, quasiment en temps réel, et probablement la visite de sa femme chez le détective.
Emile organise une petite réunion gastronomique sous forme du rituel couscous chez Omar, et Georges fait la connaissance d’un policier d’origine pied-noir, Maurice, qui travaille à la Mondaine. Normal, car Laure Blanchet elle est fichée. Maurice est prolixe et si selon lui Blanchet est à la tête d’un réseau important de call girls triées sur le volet, il semblerait qu’il se fasse doubler par une amie de sa femme afin de mettre la main sur l’organisation. Des révélations intéressantes qui ne coupent pas l’appétit des convives.
Passons sur les détails et rendons-nous à la fameuse soirée au cours de laquelle Blanchet se voit remettre la Légion d’Honneur. Georges se présente à Blanchet, lequel très digne lui signifie qu’ils seront amenés à se revoir. Mais la personne la plus intéressante dans cette assemblée, c’est bien Katya, une rousse incendiaire, qui officie en tant que photographe journaliste pour un magazine qui se délecte à raconter les travers des célébrités, d’où le nom de magazine people. Entre Katya et Georges, le courant passe bien, très bien et ils éteignent le feu qui commence à les enflammer à l’aide de quelques verres de bourbon. Mais lorsque Georges se rend aux toilettes afin de satisfaire un besoin naturel, il se fait agresser par deux gros bras, lesquels se montrent particulièrement virulents, vindicatifs, et violents.
Les hostilités ont commencé. Heureusement Georges peut compter sur deux amis indéfectibles, Emile d’une part, qui le saoule avec ses proverbes, maximes, aphorismes et autres, en les égratignant au passage, et la belle Elodie la masseuse amoureuse. Ah, j’allais oublier un troisième personnage, omniprésent, qui siège dans les replis de son cerveau et ne sait que lui prodiguer conseils, reproches, avertissements, comme un ange gardien ou la fée Clochette de Peter Pan. Car, Georges Lernaf ne s’y attendait pas, Blanchet est découvert assassiné durant la nuit et le voici promu comme suspect principal. Les temps sont vraiment durs pour notre détective privé, qui, s’il ne parvient pas à trouver le coupable, risque d’être privé… de liberté.
Enlevé, joyeux, drôle, dans une atmosphère rétro mais pas ringarde, ce roman nous ramène aux fondamentaux des romans policiers des années 50 avec ses jolies vamps qui ne sont pas aussi écervelées qu’elles paraissent l’être, et ces verres d’alcool ingurgités afin de remettre en place un esprit déficient. Et une intrigue tarabiscotée à souhait tenant le lecteur en haleine, lequel tourne fébrilement les pages afin de connaitre enfin le pourquoi du comment. Sympathique, parfois déboussolé par les événements, Georges Lernaf, comme les chats sait retomber sur ses pieds, mais à quel prix.
A lire du même auteur : Le butin du Vatican.
Joseph FARNEL : Il court, il court le privé. Editions Pascal Galodé. 208 pages. 20€.