Embaumez, embaumez, il en restera toujours quelque chose !
En ce mois de juillet, alors qu'il pleut sur les routes du Nord, la voiture file. Au volant, Blondasse est en colère. Elle veut absolument voir ou contacter son amie Elisa Deuilh, la journaliste, afin de lui faire des révélations qu'elle ne peut donner par téléphone, ayant égaré son portable. Devant elle se dresse une biche apeurée, éblouie par les phares. L'accident est inévitable ainsi que l'embrassade dans un arbre.
Les secours arrivent rapidement sur les lieux, et qu'elle n'est pas leur surprise lorsqu'en voulant dégager le corps du véhicule, ainsi que les policiers arrivés rapidement sur place également, se rendent compte que la jeune femme blonde n'en est pas une. La perruque glisse sur la tête révélant un homme, ce qui est confirmé peu après par le médecin légiste.
Luc Mandoline, le thanatopracteur, en remplacement d'un confrère à Auchel, dans le Pas de Calais, a plusieurs cadavres sur les bras. Heureusement, Jonathan son assistant, ou plutôt celui de son confrère, est assez débrouillard pour l'aider dans la préparation des corps.
Une jeune fille prénommée Alexandra se présente à Mandoline, désirant voir son père Fabien Velasquez, le mort accidenté déguisé en femme. Il conduisait la voiture de sa concubine. Alexandra est effondrée, affirmant que son père n'aurait jamais eu le désir de se travestir en femme, accusant sa concubine, Véronique Moulty, que d'ailleurs elle n'a pu joindre au téléphone. Mais Luc Mandoline n'a pas que Velasquez, qui entre nous soit dit porte bien son nom puisqu'il était peintre et que ses tableaux connaissaient une estimable notoriété, donc Mandoline n'a pas que Velasquez à s'occuper. D'autres clients doivent être préparés et il doit rencontrer les familles, ce qui n'est pas une partie de plaisir.
Elisa, son amie d'enfance Elisa, le contacte car elle a des choses à lui montrer concernant Velasquez. Quant à Jonathan, Mandoline le retrouve le visage tuméfié. Il avoue sortir avec Alexandra, depuis peu, juste depuis l'annonce du décès de son père, mais ce qu'il apprend à Mandoline est autrement plus grave. Une carte SD était nichée sous la bretelle du soutien-gorge que portait Fabien Velasquez. Alexandra s'en était emparée lors de sa visite dans la morgue, puis elle avait visionné le petit film enregistré sur la dite carte montrant Velasquez subissant les fantasmes de deux débauchés, puis l'intrusion d'un voleur chez Alexandra et patati et patata. Mandoline sent que quelque chose ne tourne pas rond autour du défunt et il a raison. Bientôt il va se trouver sur la trace du Maître, un personnage indéfinissable, manipulateur, démoniaque, à classer dans le domaine des savants fous, domaine extensible pour le plus grand bonheur des auteurs de romans populaires.
Heureusement Mandoline va être aidé dans son enquête par son ami Sullivan Mermet, l'ancien légionnaire avec lequel il a partagé coups et bières, ainsi qu'Elisa, son éternelle amie qui a beaucoup de choses à lui révéler sur Velasquez et Véronique, ainsi qu'Arlock, le spéléologue des disques durs, le traqueur des identités électroniques, le trappeur de l'informatique ainsi qu'un ancien condisciple, devenu commissaire de police, auquel il a fourni l'occasion de perdre son pucelage en lui présentant de gentes demoiselles ce qui n'a pas empêché le dit policier de lorgner par la suite du côté des amants masculins.
Dans la pure tradition des romans populaires, le Bon et le Méchant se côtoient, s'affrontent, soit de face, soit par séides interposés, avec moult rebondissements, bagarres, chausse-trappes, coups fourrés, et un zeste d'érotisme incongru. Car il faut bien améliorer le genre et ne pas rester dans des sentiers balisés. Si Mandoline, dont l'auteur Jess Kaan prend quelques références à des aventures déjà publiées, est le prototype d'un nouveau chasseur de crimes, l'archétype du défenseur de la veuve et de l'orphelin, à l'instar de Gabriel Lecouvreur plus connu sous le surnom du Poulpe, et autres dilettantes combattant le crime et ses auteurs, le Maître décrit dans ce roman ressemblerait plus à une combinaison de Fantômas et d'Alias, héros créé par Serge Quadruppani pour une série du même nom dans les années 90 au Fleuve Noir.
Mais être un auteur de romans populaires ne signifie pas forcément se contenter d'écrire une histoire, certes plaisante, mais peut jeter un œil critique sur l'évolution de la société. Ainsi Jess Kaan place ses petits coups de griffe de temps à autre pour démontrer qu'il n'est point besoin de se targuer d'être philosophe, ou économiste, pour énoncer des idées fortes et de bons sens. Pour preuve : Avec deux gars, on fonctionne aussi bien qu'avec trois ; on leur fiche la pression, ils ferment leur gueule, car s'ils l'ouvrent, dix mecs au chômedu ou un Polonais sont prêts à les remplacer. Et les riches patrons du MEDEF, qui ne sont pas des philanthropes, appliquent à la lettre cette pensée profonde, sans aucun scrupule.
Dans la même collection, lire : Harpicide de Michel Vigneron et Ainsi fut-il d'Hervé Sard.
Jess KAAN : Le label N. L'Embaumeur N°6. Editions L'Atelier Mosesu. Parution novembre 2013. 260 pages. 9,95€.