Et comme disait ma grand-mère: ne fais pas l'oeuf !
C’est comme si un cataclysme s’était abattu sur la ville. Des morts partout, des voitures encastrées les unes dans les autres, les passagers d’un car figés dans la mort, des consommateurs aux terrasses terrassés leur dernier verre à la main. De même pour les animaux, petits ou gros. Pourtant rien ne semble à l’origine de cette catastrophe. Pas de guerre, pas de déflagration nucléaire, aucune origine visible suspecte. Seuls un homme et une femme nus marchent dans la rue main dans la main, surveillés par un rescapé caché parmi les décombres.
Effectuons un bond dans le temps en nous projetant cinq cents ans environ en arrière et entrons en catimini dans le laboratoire d’un alchimiste. L’homme a réussi à doubler sa production d’argent métal à partir du minerai de cuivre. Mais le Grand Œuvre n’est point sa préoccupation première. Il veut également accéder à la découverte de la Panacée, la médecine universelle, l’élixir de longue vie. Et aussi, mais cela est déjà réalisé, parvenir à la transmutation de l’âme. En 1518, au Clos Lucé, tandis que Leonardo Da Vinci planche sur l’une de ses nombreuses activités, il est tout à la fois artiste, scientifique, ingénieur, inventeur, anatomiste, peintre, sculpteur, architecte, urbaniste, botaniste, musicien, poète, philosophe et écrivain (dire que personnellement je peine à réaliser modestement l’une de ces occupations !), un visiteur se présente. Tandis que Da Vinci dissèque un cadavre, le Flamand se dit intéressé par les mystères de la vie et il aimerait pouvoir compulser les innombrables croquis du maître italien.
Quelques années plus tard, en 1547 exactement à Arles, un homme se présente chez Michel de Nostredame, pensant trouver auprès de celui-ci de nouvelles connaissances en alchimie végétale. L’alchimiste qui travaille sur une traitement contre la peste est contrarié et demande à son visiteur de reporter leur entretien au lendemain. Durant la nuit, l’homme, le Flamand, dit aussi l’Anonyme d’Anvers, est réveillé par des bruits. Michel de Nostredame est atteint selon son serviteur d’une crise d’épilepsie. Or ce n’est point de mal étrange que Nostredame souffre mais d’un état de transe. D’ailleurs le Flamand le voit rédiger quelques lignes sur un bout de papier qu’il enferme dans un tiroir avant de s’endormir paisiblement. Il s’empare de quelques-unes des Centuries de Nostradamus.
En 2012 à Aniche, Annie dort comme une bienheureuse lorsque par la fenêtre s’engouffre comme un vent qui tournicote, un halo de forme ovoïde qui la nimbe doucement puis s’infiltre en elle. Au Palais de la Bière, Bob le patron et ses trois amis, Léo le copain d’Annie, ouvrier verrier, Bubu l’anarchiste et Fifi professeur d’anglais, confèrent, discutent, conversent, parlotent, bavardent… et boivent. Léo rentre se coucher et tandis qu’il ronfle comme un poêle à charbon (normal nous sommes dans le Nord) en plein rendement de surchauffe, Annie se lève pimpante, guillerette avec dans la tête une idée nouvelle. Elle se rend à son travail, elle est archiviste au Centre historique Minier de Lewarde, et son premier souci est de s’infiltrer dans une cave afin de trouver elle ne sait trop quoi. Elle est guidée par une lueur qui la mène jusqu’à un coffre. Et dans ce coffre, qu’y-a-t-il ? Un trésor sans aucun doute et elle en fait part à Léo qui en compagnie de ses amis se promet de lui faire un sort (pas à Annie mais au coffre).
Dans ce court roman, outre les pérégrinations de l’Anonyme d’Anvers déjà décrites ci-dessus, nous retrouvons dans les années 1860 les personnages fort sympathiques que sont (ou furent) Jules Verne et Emile Zola, quoique ceux-ci ne s’estimaient guère, et qui grâce à leur curiosité naturelle concernant cette région purent écrire leurs chefs d’œuvre tels que Voyage au centre de la Terre et Germinal. Nous suivons également les tribulations d’un carnet convoité par bon nombre de personnes, et sinon le posséder, tout au moins le consulter. Eminemment ancré dans le domaine du fantastique, cet ouvrage nous propose quelques belles pages historiques sur la région, sur les conditions de travail des mineurs et accessoirement des verriers, avec la participation exceptionnelle de personnages célèbres en acteurs invités (certains disent Guest star, il parait que cela fait mieux si l’on s’exprime en anglo-saxon) qui donnent une saveur particulière à ce qui aurait pu n’être qu’une aimable bluette.
A lire dans la même collection : Entretiens avec un très vieux vampire de Roger Facon et 666, quai de la Scarpe de Michel Meurdesoif.
Jean-Marc DEMETZ : Les Œufs de Lewarde. Collection 666 ; éditions Engelaere. 144 pages. 7,00€.