Le Rouletabille marseillais...
Le cocher numéro 7 d’une société de transport hippomobile marseillaise ne pensait certes pas être réveillé par des coups de feu. Il s’était endormi dans le parc de la Villa aux Loups après avoir mené sur place deux voyageurs, une belle femme âgée d’une trentaine d’années et un jeune homme frisant les vingt ans. Il avait pour consigne d’attendre ses voyageurs durant un temps indéterminé, aussi le voiturier en avait profité pour se reposer. L’incident se déroule à quelques kilomètres du centre de Marseille, à La Panouse, un hameau dans lequel ne vivent que peu de personnes. La Villa aux Loups, comme sa voisine où le jeune homme est allé quérir un cahier avant de rejoindre sa compagne, ne servent que d’habitations estivales.
Après avoir tenté d’ouvrir en vain la porte de devant, puis celle de derrière, Marius le cocher alerte la campagne environnante et des autochtones arrivent à la rescousse. Après une heure d’effort, enfin l’entrée daigne céder sous les coups de masse et les voisins découvrent à l’étage un bien curieux spectacle.
La jeune femme, Marguerite Casals la femme d’un urologue renommé, est allongée sur le lit, quasiment nue et offrant ses appâts aux regards concupiscents des intrus, deux trous dans la tempe. Le jeune homme, Henri Champsaur un étudiant en lettres, est à terre adossé à un canapé, habillé, un revolver dans la main, la mâchoire fracassée par une balle qui s’est logée dans le cerveau. Un double suicide à n’en pas douter, d’autant qu’une lettre explicative est posée en évidence.
Eugène Baruteau, qui vient d’être promu commissaire central et est en passe d’emménager à l’Evêché, en informe aussitôt son neveu Raoul Signoret, journaliste au Petit Provençal, lequel ne demande qu’à exercer son métier de chroniqueur judiciaire grâce aux renseignements délivrés par son oncle. Raoul se rend donc sur les lieux, qui ne sont pas encore du crime, et interroge les voisins qui ne demandent qu’à s’épancher. De petites contradictions dans les faits, dans les déclarations, dans le déroulement des événements impriment moult points d’interrogation dans l’esprit du journaliste. Par exemple, le document découvert auprès des amants, du moins c’est ainsi qu’ils sont considérés par tous, n’est qu’une lettre écrite sur une feuille de cahier d’écolier, pas vraiment le genre de papier utilisé dans ces cas extrêmes. Et puis au fur et à mesure de son exploration auprès de la famille des deux morts et des amis, certains faits ne concordent pas. Ainsi la missive reçue par la mère d’Henri deux jours après cet acte définitif. Ou qui aurait dû être définitif, car le jeune, malgré la balle qui lui a traversé la tête de bas en haut, est plongé dans un coma prolongé mais pas forcément irréversible.
Celui qui est le plus en colère dans cette affaire est bien évidemment le veuf. Faut le comprendre. Lui, porter des cornes, qui pourraient lui servir à accrocher sa blouse de mandarin, c’est inconcevable. D’ailleurs il vitupère, accusant Henri d’avoir hypnotisé son épouse et d’avoir abusé d’une femme sans défense. Un événement anodin va conforter Raoul dans sa prescience. Alors que tous les Marseillais sont agglutinés sur le Vieux Port ou embarqués dans des barcasses, prêts à s’enthousiasmer aux exploits d’un inconscient sautant du pont transbordeur dans la rade, Cécile, la jolie compagne de Raoul aperçoit une jeune femme tomber à la baille et se débattre dans les flots. Antonella, la rescapée, et son ami Félix invitent Raoul et Cécile chez eux pour les remercier. Coïncidence, Antonella connaissait la défunte et avait remarqué que celle-ci était sujette à des endormissements, des hinoptismes comme ils disent, provoqués par le reflet de la lumière sur une cuiller par exemple. Quant à la vertu de madame Casals, elle aurait été protégée par son appartenance à la religion réformée. Un autre témoignage, celui de Paul Chabert, condisciple et ami d’Henri, conforte Raoul dans son intuition que le suicide supposé pourrait être un meurtre déguisé.
Ce dixième volet des aventures d’Eugène Baruteau et de son neveu Raoul Signoret, probablement la dernière selon l’éditeur au grand dam des fidèles lecteurs qui suivent cette série, nous montre la cité phocéenne avant l’explosion démographique, les coulisses d’un journal et des personnages atypiques qui y travaillent, des événements qui se sont déroulés durant cette période, des avancées médicales ou paramédicales établies par les professeurs Charcot et Bernheim et successeurs. Les annotations en bas de pages apportent des précisions sur des faits-divers, toutes sortes de digressions qui rendent l’intrigue attrayante et s’insèrent dans le récit en y apportant par petites touches de couleur des informations souvent utiles. Quant à Raoul Signoret, il doit la vie à sa passion et ses entrainements rigoureux de la boxe française. Jean Contrucci sait mieux appâter les lecteurs qu’Eugène Baruteau les poissons lorsqu’il sacrifie à sa passion de l’halieutique maritime et ceux-ci (les lecteurs) mordent volontiers à l’hameçon.
Citation : Il n’y a pas de mystères, mon cher, il n’y a que de grandes ignorances… Ce qui permet à la religion de mettre son grain de sel partout. Tant que nous ne pourrons pas donner d’explication scientifique à un phénomène, il y aura toujours une soutane pour brandir le mot « mystère », et mettre le doigt de Dieu dans l’œil des crédules.
Jean CONTRUCCI : La somnambule de la Villa aux Loups. Les nouveaux mystères de Marseille 10ème épisode. (Première édition Editions Jean-Claude Lattès. Août 2011). Réédition Le Livre de Poche. Parution le 13 novembre 2013. 456 pages. 7,10€.