Pour tous ceux qui auraient une petite faim, je vous propose en hors d’œuvre de grignoter un Poulpe, accompagné d’un ti’ punch antillais et corsé, ce qui n’est pas incompatible. Le cadavre d’une jeune femme retrouvé sur une plage de la Guadeloupe alors que le bateau qu’elle barrait s’est perdu en pleine mer, voilà de quoi laisser songeur le Poulpe et surtout ses amis du restaurant Au pied de porc de la Sainte Scolasse. La version annoncée par un journaliste local qui ne possède aucun renseignement mais n’hésite pas à écrire un papier sur un probable trafic de drogue, ne convainc ni le Poulpe ni ses amis qui n’hésitent pas à le titiller pour qu’il se rende sur place. Gabriel n’a pas le temps de profiter du farniente et se laisser aller à bronzer sur les plages de sable blond ou noir. A cause du décalage horaire et des moustiques par trop affectueux qui ne songent qu’à lui embrasser la couenne, le Poulpe se réveille à trois heures du matin, un violent désir de bière lui chatouillant les papilles. Dans un bar il converse avec un ancien soudeur reconverti dans l’absorption de rhum blanc. Ce qui n’empêche pas le brave homme d’avoir une opinion bien personnelle de l’accident. Pour lui il s’agit tout simplement d’une façon toute bête de se faire de l’argent sur le dos de l’état. Et de lui démontrer ipso facto que grâce à la défiscalisation « y’a le pognon, mais pas la sueur ». C’est-à-dire le moyen « honnête », ou plutôt légal, d’arrondir son pécule en profitant des largesses de l’état. Le seul principe de base étant de posséder déjà un apport. Le Poulpe ne sait résister à un joli sourire, surtout s’il émane d’une Créole avenante. Celle qui le lui adresse travaille dans les assurances et était amie avec la défunte, il n’a aucune raison de la rembarrer. De plus elle connaît le pays, ses mœurs et coutumes et comme il sait se montrer affectueux lorsqu’elle est confrontée à des problèmes relationnels, rien ne s’oppose à une entente plus que cordiale. Jacques Vettier, qui a déjà écrit quelques bons romans mettant en scène Carole Memoni, une juge d’instruction dont la dernière enquête se déroule justement dans les Antilles, place l’intrigue dépaysant mais dont il connaît les arcanes. Il ne se contente pas de nous offrir une carte postale touristique dédiée au Poulpe, il démontre que sous le charme antillais parfois trop élogieux existe aussi une contrée subissant des problèmes. Il entraîne également le lecteur dans les méandres d’une juridiction fiscale complexe qui peut laisser rêveur ceux qui recherchent comment payer moins d’impôts. Un bon Poulpe qui sort de l’ordinaire et propose une enquête qui sort d’un classicisme devenu par trop commun.
Jacques Vettier : La petite marchande de doses. Le Poulpe N° 133, éditions Baleine. 8€.