Ce n’est pas parce qu’on est bègue qu’on n’a rien à dire !
Heureusement que ce n’est pas Luc Mandoline qui règle la note de téléphone, car son budget prévisionnel sur les dépenses de fonctionnement serait largement amputé. L’appel téléphonique émane d’Alain Corby, secrétaire particulier, qui requiert ses services suite à un décès particulier. Afin de posséder tous les éléments, sans qu’ils soient en double, sur son intervention, Mandoline demande au bègue de lui transmettre par mail ses desideratas.
Monsieur Hubert-Louis de Six-Fours, quasiment centenaire, a eu la douleur (hum !) de perdre son petit-fils Jean-Baptiste, qui approchait de la trentaine mais ne la connaitra jamais. Luc Mandoline, thanatopracteur réputé pour sa dextérité, son amour du travail bien fait, sa discrétion, est toutefois intrigué par la teneur du mail dont en voici quelques extraits consignés sur l’agenda du thanatopracteur :
Cause supposée de la mort : Hémorragie consécutive à l’arrachement des membres suite à écartèlement par quatre chevaux.
Cause officielle de la mort : Naturelle, sans OML (obstacle médicolégal). Constat de décès établi par le docteur Malo (prénom non noté), médecin de famille.
Détail supplémentaire, mais non des moindres, les frais sont entièrement à la charge de Six-Fours, accessoirement l’achat d’un costume de cérémonie neuf.
Notre ami, dans la vie, est réceptionné en la gare de Nantes par Corby, toujours hésitant oralement, puis direction le château. Les conditions de travail ne sont guère adéquates mais tant pis, faut faire avec. Le défunt a été déposé sur une table de bois disposée dans un box d’écurie. La température ambiante étant de 20° environ, le cadavre risque de se décomposer sous peu. Et puis il y a accroché sur son torse cette pancarte sur laquelle est inscrit le mot Ravaillac. Bizarre.
Malgré tout Luc Mandoline s’attelle au boulot. Il lui faut recoudre les deux membres supérieurs, et une jambe. Ils y sont allés un peu fort les bourrins, car cela ne se détache pas comme une simple traction sur une feuille perforée. Son labeur terminé, presque car il doit rédiger puis déclamer un petit discours lors de la cérémonie funéraire, Luc participe au repas qui heureusement est servi au château. Y participent, François Ferdinand, le père de Jean-Baptiste, le docteur Malo, un familier qui semble n’avoir comme patient que la famille Six-Fours, le secrétaire. Ils sont servis par mademoiselle Lacaille, qui n’est pas un perdreau de l’année comme on a l’habitude de dire (ce qui entre nous est un pléonasme un perdreau étant une jeune perdrix, mais bon, continuons), laquelle s’ingénie un peu plus tard à faire comprendre à Luc qu’elle aimerait bien lui réchauffer les pieds le cas échéant en partageant le même lit. Mais Mandoline ne joue pas sur ce terrain là. Toutefois il en apprend de belles sur le défunt. Du moins des confirmations, car Hubert-Louis n’avait pas pris de gants pour qualifier son petit-fils de bon-à-rien, de prétentieux et de béni-oui-oui, et même de fils de péripatéticienne (oui, il m’arrive de choisir mes mots et de me montrer poli). Jean-Baptiste était à la tête d’une petite bande de fils de parvenus, bande dénommée Les Chevaliers, et était un benêt, mais son père François-Ferdinand ne semble guère mieux loti.
D’autres personnages vivent au château ou dans les alentours. Le père Viala, et sa femme, l’un jardinier, l’autre cuisinière. Gilles-Gilles, aussi dix-huit ans sur l’acte-civil mais six mentalement. Et enfin, remplaçant le jardinier lorsque celui-ci est amené à voyager, Valli et Clara, deux lesbiennes qui travaillent dans un cirque comme catcheuses. Que du beau monde qu’Hubert-Louis Six-Fours, le grand-père quasi centenaire mais alerte comme un étalon, méprise quelque peu. Au fait avez-vous remarqué que les lettres des prénoms Valli et Clara étaient l’anagramme de Ravaillac ?
Mandoline requiert les services de renseignements habituels, c’est-à-dire ses amis Maxime, Elisa ou encore Franck Sauvage. Et il apparait que les femmes n’ont guère de chance dans cette famille. Deux ou trois n’ont pas survécu à des chutes de cheval.
Hubert-Louis Six-Fours, d’origine provençale, et communiste dans sa jeunesse, s’est forgé un empire immobilier grâce à une fortune gagnée selon des modalités que lui seul connait. Il a acheté des châteaux, est devenu royaliste tout en professant des idées écologiques. Il est à lui seul le drapeau italien : Vert, blanc, rouge, ou l’inverse, cela dépend du sens où on le regarde. Alors au cours de ses discussions ou plutôt de ses monologues avec Mandoline, il digresse. Beaucoup. Sur l’Etat, et tous ceux qui le représente, sur le royalisme et la monarchie. Il possède ses idées, en observateur avisé pas toujours objectif du monde moderne. Et pourtant qui pourrait avouer qu’il a tort lorsqu’il énonce : Ce ne sont pas les revenus qu’il faut taxer, ce sont les dépenses inutiles ! Ce ne sont pas les immigrés qu’il faut chasser, ce sont les ministres, les curés et leurs collègues bonimenteurs. Ou encore : Il y a bien longtemps que l’état ne décide plus de rien ! De rien ! Le pouvoir est aux mains des entreprises. Des multinationales, dirigées par des pantins que les gros actionnaires éjectent quand ils le veulent. Il y aurait peut-être même un petit côté anar dans son drapeau italien.
Un petit livre (petit par la forme et le nombre de pages), mais réjouissant en diable dont la sortie coïncide presque avec un mini scandale hippophagique, puisque des cheveux tiennent un rôle prépondérant dans l’histoire. A déguster sans arrière pensée.
A lire également d'Hervé Sard : Le crépuscule des gueux.
Et retrouvez l'auteur sur son site : Polar Mania.
Hervé SARD : Ainsi fut-il. Collection L’Embaumeur N°2. Editions Atelier Mosesu. 222 pages. 9,95€.