Dans quinze jours il sera libre après avoir résidé durant douze ans et cinq mois aux frais de l’Etat dans une prison. Normalement Xavier Langlois aurait dû végéter dix-huit dans une cellule, mais s’étant montré prisonnier modèle, il bénéficie d’une remise de peine. Et dans quinze jours sa fille Catherine, par qui tout est arrivé, fêtera ses vingt-cinq ans. Il lui écrit une longue lettre dans laquelle il remémore les événements qui l’ont conduit en geôle, il analyse son geste, mais surtout il s’accuse de tout ce qui est arrivé et fait acte de contrition.
Les Langlois avaient pour habitude de sortir le samedi soir et de confier leur fille Catherine à sa grand-mère maternelle, Mammie-Jeanne. Or un dimanche matin la grand-mère appelle afin de savoir si Catherine est rentrée chez eux. Elle est dans l’obligation d’avouer que non seulement la fillette n’est pas rentrée de la nuit, mais qu’elle avait l’habitude de sortir le soir. Mais précise-t-elle, c’est bien la première fois que Catherine découche. Affolé, énervé et en colère, Langlois se rend chez la vieille dame. Bien évidemment une dispute entre Langlois et sa femme éclate, la mère tentant de temporiser. Mais Langlois est comme fou.
Mammie-Jeanne admet laisser sa petite-fille sortir avec une camarade d’école qui venait passer le dimanche chez ses grands-parents, un peu plus loin dans la rue. Aussitôt Langlois se rend chez les deux petits vieux et demande à rencontrer Barbara. Une petit peste en apparence la gamine, délurée et n’ayant pas sa langue dans sa poche. Et puis il y a un truc qui chiffonne Langlois. Non point tant sa dégaine, ou la perle fichée dans une narine, mais bien la petite croix gammée tatouée sur le dos de sa main gauche.
Cela lui rappelle quelque chose. Un bouton qui n’arrivait pas à guérir sur la main de sa fille. Barbara lui balance le nom d’une autre copine, Estelle, qui habite dans une tour située dans la Zone. Un quartier que Langlois ne connait pas, qu’il n’a pas l’habitude de fréquenter. Langlois est vétérinaire et sa femme architecte d’intérieur, ils résident dans le quartier des riches mais pour autant il va à la recherche de sa fille dans cet endroit défavorisé. Grâce au gardien d’immeuble, qui travaille aussi en dehors, un homme affable et débonnaire, il localise l’appartement d’Estelle. Mais l’accueil qu’il reçoit auprès des parents de l’adolescente n’est pas franchement amical.
Le titre de ce roman d’Hervé Jaouen est à prendre à double sens : le fossé qui s’établit entre parents et adolescents à cause d’un manque de communication, mais également fossé social, contraste entre riches et défavorisés. Une étude de mœurs peaufinée avec un regard attendri sur ce père qui d’un seul coup se rend compte qu’il a négligé sa fille. Cette phrase qui lors du jugement l’a bouleversé : Il ne s’occupait plus de moi. Une déclaration qui lui fait mal, et il refuse d’associer les policiers à la recherche de sa fille. Pugnace, il endosse un rôle qui le plonge dans l’enfer.
Cette lettre que Langlois destine à sa fille constitue quasiment tout le roman. La fin, l’épilogue scindé en quatre autres courtes parties, est particulièrement poignant et inéluctable. Un roman qu’il était juste de rééditer démontrant qu’Hervé Jaouen est un auteur profondément attachant, jetant un regard plein d’acuité sur son époque, se montrant sensible aux malheurs des petites gens, même si ceux-ci sont favorisés financièrement. Des personnages auxquels chacun de nous pourrait s’identifier, car on ne sait jamais quelles seraient nos réactions si quelqu’un s’avisait de toucher à un cheveu de nos enfants.
A lire du même auteur : Flora des Embruns.
Hervé JAOUEN : Le fossé. Collection Les Petits romans noirs. Presses de la Cité. 162 pages. 9€.