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24 avril 2013 3 24 /04 /avril /2013 14:12

Six personnages en quête d’hauteur.

 

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A l’aéroport de Sanaa, six personnes attendent de pouvoir débuter leur périple oriental. Angus, serrurier arbore en toutes occasions sa caméra. Gaulthérie sa femme qui brigue la présidence des dames patronnesses de Colombus dans l’Ohio, en remplacement d’Eunice qui ne se représente pas, et pour cela il lui faut effectuer un Document d’Orientation Stratégique, ce qui l’a menée à choisir la découverte du Yémen. Daisy, l’herboriste rondelette, célibataire et sans petit ami, désire accumuler de nouvelles connaissances en préparations de décoctions, et autres pharmacopées à base de plantes médicinales. Elle s’enthousiasme à tout moment pour rien. Angela exerce une profession médicale et elle soutient un point de vue diamétralement opposé à celui de Daisy, ce qui l’amène souvent à entrer en conflit avec la jeune fille. Lofton son mari est professeur d’histoire, et se débrouille fort bien en langue arabe. Il est habillé d’une veste aux multiples poches, ce qui lui permet de se déplacer les mains libres. Angéla et lui forment un couple de Noirs de Chicago, une proximité qui déplait à Gaulthérie, laquelle entretient des sentiments racistes. Enfin, dernier voyageur, Syd, persuadé de détenir le Talent, celui de faire parler les autres afin de tout connaitre d’eux et de les manipuler. Il se prétend être un Jardinier de l’âme. Et s’ils sont au Yémen, c’est un peu par hasard.

Annapurna, l’accompagnateur, Américain de nationalité mais Yéménite de cœur, arrive enfin pour réceptionner tout ce petit monde et leur faire découvrir le Yémen, hors de sentiers battus. Après leur arrivée à l’hôtel ils visitent le soukh, apprennent qu’il faut marchander sous peine de vexer les vendeurs, essayent de s’intégrer dans la vie locale, sont surpris du décalage existant entre le monde ancien, le soukh par exemple, et le quotidien moderne matérialisé par le téléphone portable et Internet. Ils peuvent s’informer et c’est ainsi qu’une info pour le moins bizarre leur est dévoilée.

A Sidney, en Australie, un meurtre retient l’attention des médias, pour des intérêts divers. Une vieille dame a été assassinée, son corps a été découvert dans une cabane de jardin fermée de l’intérieur. Un meurtre en chambre close, sans aucun doute, pourtant les enquêteurs portent immédiatement leurs soupçons sur Samy, le coursier de la victime. Un coupable idéal puisque Samy est aborigène. Le professeur Adolphus Peter Klein, archéologue de renommée internationale, demande à l’un des anciens élèves, Julius, d’enquêter et si possible de prouver l’innocence de Samy dans ce qui est appelé le mystère Delanda. Et il lui enjoint de s’associer avec Lulabelle, une collègue de Julius, professeur elle aussi mais d’économie. Julius est estomaqué et réticent. Lulabelle lui rappelle trop Maddie, sa femme décédée quelques années auparavant et dont son esprit ne veut pas admettre la mort. Julius vit en permanence avec Maddie à ses côtés.

Annapurna propose à ses touristes une excursion à Barâqish et le petit groupe s’installe dans un minicar afin de se rendre sur place. Seulement des hommes armés sur la route leur bloquent le passage. Interdit de s’approcher de la forteresse, ordre du Cheikh Yazîd ibn Sâlah al Amr (retenez ce nom, je ne le réécrirai pas). Pourtant la visite était prévue, un accord ayant été passant entre Annapurna et le Cheikh. Quelqu’un d’autre s’est ingénié à fausser le jeu. Malgré tout le Cheikh accepte, après palabres, à recevoir le petit groupe et leur faire visiter la forteresse. Bientôt voici nos voyageurs en haut des remparts en train de s’amuser à vérifier si les ruines sont encore en bon état, si aucune pierre ne peut se détacher.

La vérification semble prouver l’intégrité de la construction, quoique... C’est ainsi qu’ils assistent peu après, alors qu’ils sont en bas à regarder des journalistes américains filmant les ruines en compagnie d’hommes du Cheikh et d’Annapurna, qu’une pierre se détache et tombe sur l’un des gardes. Le plus étonnant résidant en ce que la brique ne tombe pas véritablement à la verticale, mais parait léviter un certain moment, se déplacer légèrement à l’horizontale avant de percuter un des gardes en burnous.

Un incident malencontreux qui va faire le tour du monde sur Internet, puisque filmé, et être visionné également en Australie. Pendant ce temps Julius, se demande comment il va pouvoir résoudre l’énigme qui lui est confiée. Même si la solution pourrait lui être dévoilée en lisant Le Meurtre de Roger Ackroyd d’Agatha Christie. Du moins c’est ce que le professeur Klein prétend. Pendant ce temps à Barâqish, Gaulthérie, Angus, Daisy, Angela, Lofton et Syd, qui selon le Cheikh ne sont pas des otages mais des invités, d’ailleurs ils se demandent ce que pouvaient bien faire sur place des journalistes, se posent des questions sur les événements récents qui se sont déroulés au pied de la forteresse ainsi qu’en Australie. Car Angus et Lofton sont des amateurs de romans policiers, surtout ceux mettant en scène des crimes impossibles ou des meurtres en chambre close. Des cameraclosistes impénitents qui se passionnent pour ce genre littéraire et possèdent de sérieuses références.

Mais l’influence des Djinns, des sorciers, des dieux aborigènes est évoquée, supposée, souvent prégnante dans les deux cas, et les mystères aussi bien du côté yéménite qu’australien s’épaississent, alimentés par les légendes locales, et ceux qui y croient les entretiennent ou en usent pour abuser.

Un livre qui nous change du roman noir, roman exotique ou d’action habituel, puisque les mystères décrits sont englobés dans une sorte de polar ethnographique dans lequel l’ancien et le moderne se catapultent dans deux endroits de la planète, éloignés de milliers de kilomètres, mais dont les origines sont obsédantes, résistantes, entretenues. Si le Yémen reste une région peu touristique, d’ailleurs à la fin du roman le soulèvement de Sanaa est évoqué, l’Australie est considérée, tout comme les Amériques, comme des continents neufs, annexés, socialisés, développés par des migrants venus des antipodes, et dont les origines, les ethnies qui y vivaient depuis des milliers d’années, ont été pourchassées, mises sous l’éteignoir, décimées, leurs cultures artistiques, intellectuelles, religieuses n’étant considérées que comme du folklore pour touristes. Une population mise au ban de la société comme les Amérindiens d’une part et les Aborigènes de l’autre. Et ce roman leur rend hommage aux aborigènes et à leur culture ancetrale. Si le début du roman est un peu longuet, bien vite le lecteur comprend qu’il est plongé dans une sorte d’œuvre initiatique, où l’illusion règne en maitre, où la magie prend une place prépondérante, où l’auteur se joue du lecteur en lui proposant plusieurs facettes relevant de la prestidigitation littéraire envoûtante. Les phénomènes de mirage, de bilocation ou apparenté c'est-à-dire le don d’ubiquité, surtout au Yémen, interpellent, interloquent mais trouvent une explication logique digne des grands maîtres, Dickson Carr, qui n’est pas cité, et quelques autres dont Ellery Queen. Le mystère est expliqué tout en gardant une part de mystère.

Les dialogues sont présentés comme cela se déroule souvent dans la vie quotidienne, lorsque trois interlocuteurs ou plus sont en présence. Quand une des personnes discoure, une autre continue à émettre son opinion qui n’a rien avec le sujet de la conversation, ou se parle mentalement récapitulant certains événements, certains faits, ce qu’elle devrait faire, s’échappant de son rêve pour placer une parole pour revenir ensuite dans ses déambulations erratiques intérieures.

Le roman d’énigme, et plus principalement les meurtres en chambres closes et les crimes impossibles, est considéré comme un genre littéraire mineur, futile, sans profondeur. Hélène Calvez avec Un rêve en noir et blanc démontre magistralement le contraire, alors que certains romans noirs actuels sont plus axés sur la violence au détriment de la réflexion.

Quelques exemples :

Dans une dictature comme dans une démocratie, le sauveur est celui qui a initié le désordre.

 

L’intimité est à la confession ce que l’érotisme est à la pornographie : un paravent.

 

Un scientifique est un menteur qui s’ignore.

 

La machine à laver ne lave pas bien le linge ; ça consomme de l’électricité et beaucoup d’eau. Et puis, tu sais, nous, ici, on récupère la dernière eau de rinçage pour la cuisine.


Hélène CALVEZ : Un rêve en noir et blanc. Editions Atria. 486 pages. 21€.

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