Comme disait ma grand-mère : Tu as le droit de retourner ta veste, mais n'oublie pas de changer ton portefeuille de côté !
Si le lectorat, principalement féminin, et quelques critiques encensent l'œuvre d'Harlan Coben, il n'en va pas de même de tous les chroniqueurs spécialisés dans le roman noir et qui s'expriment via leurs blogs. Des avis souvent péremptoires n'incitant pas à se plonger dans un roman de cet écrivain américain. Longtemps je me suis fié à ces articles divers et (a)variés en me promettant de ne pas lire un roman d'Harlan Coben. Un parti pris, un apriori qui me satisfaisait, et puis je me suis dit qu'après tout il valait mieux que je me forge ma propre opinion. Aussi, sautant le pas comme un collégien osant embrasser pour la première fois une jeune fille, j'ai ouvert cet ouvrage en me demandant bien si je ne faisais pas une bêtise, si je n'allais perdre mon temps au détriment de tous ces volumes qui s'entassent et me font de l'œil, me lançant des appels pathétiques afin que je daigne leur consacrer un peu de mon précieux temps. Le résultat est là et je n'ai pas à me mordre les doigts d'avoir oser, d'autant que mes doigts, comme mes yeux, je les protège fin de pouvoir tourner les pages dans une frénésie non réfrénée.
Avec son mètre quatre-vingt-douze et ses quatre-vingt-dix kilos, Mickey Bolivar, bientôt seize ans, est le candidat idéal pour les recruteurs de basket. Or justement, le basket c'est sa passion, et il s'entraîne chez lui, enfin chez Myron, à placer des paniers, mais surtout cela lui sert de dérivatif lorsque les idées noires lui polluent l'esprit. Son père Brad est décédé dans un accident d'automobile huit mois auparavant, et sa mère est soignée dans une clinique spécialisée dans les addictions, à la drogue notamment. Il a beaucoup voyagé Mickey, suivant ses parents, qui œuvraient dans des missions humanitaires, les suivant partout où ils essayaient d'apporter un minimum de réconfort.
La rentrée dans le lycée près de Newark est passablement agitée. Principalement à cause d'une prof qui pense qu'un bizutage est indispensable pour acquérir une cohésion de groupe. Il se rebelle et soutient une jeune adolescente, Emma ou Ema selon ses interlocuteurs, la petite grosse comme elle se définit. C'est vrai qu'Ema est enrobée, toujours sur la défensive, et son look de gothique, vêtements noirs, tatouages et piercings n'étant pas fait pour améliorer son physique. Et elle est toujours à traîner alors qu'elle n'a que quatorze ans. Il se fait un ami, Spoon, un peu niais, le fils du concierge et qui se révélera un aide précieux. Et afin de ne pas déroger à la règle se dressent sur son chemin les trublions patentés de service Buck et Troy. Troy qui pense qu'étant le fils du commissaire de police de la ville, il peut tout se permettre.
J'allais oublier Ashley, sa petite amie, qu'il a embrassée deux fois depuis la rentrée des cours, trois semaines auparavant. Seulement ce jour là, pas d'Ashley. Elle ne se présente pas à l'école, et personne n'a de nouvelles. Et comme une mauvaise nouvelle n'arrive jamais seule, Mickey est victime moralement d'un incident. Passant près d'une vieille maison en rentrant chez lui, enfin chez Myron puisque son oncle l'héberge, une vieille femme surnommée la femme Chauve-souris lui déclare que son père n'est pas mort. Pourtant Mickey sait que son père n'est plus là. Il était dans la voiture au cours de l'accident.
Avec Ema il retourne chez la femme Chauve-souris, mais il n'y a personne. Il s'infiltre dans la bicoque tandis qu'Ema fait le guet. Il remarque une photo représentant quatre personnes dont le tee-shirt est décoré d'un papillon avec des yeux sur les ailes. De la lumière filtre de sous la porte de la cave. Seulement une voiture noire arrive d'un chemin à l'arrière par les bois et il est coincé. Il réussit néanmoins à fuir en compagnie d'Ema, mais il a eu chaud. Grâce à Spoon qui possède les clés de l'école, Mickey parvient à découvrir l'adresse d'Ashley Kent mais lorsqu'il se présente à son domicile, c'est l'affluence. Des policiers et des infirmiers sont présents engageant le corps de Kent dans une ambulance. Madame Kent affirme qu'un homme tatoué a frappé son mari, mais à la question de Mickey concernant Ashley, elle déclare qu'ils n'ont pas de fille.
Un homme chauve, mais qui ne sourit pas et qui semble surveiller ses moindres faits et gestes, un Tatoué introuvable, une femme Chauve-souris qui s'est volatilisée dans la nature, Rachel, la pom-pom girl du lycée qui lui fait des avances, autant de personnages qui gravitent autour de Mickey mais d'autres éléments le perturbent. Ainsi sur la tombe de son père, il remarque une feuille avec dessiné dans un coin le papillon déjà vu chez la femme Chauve-souris, le même dessin qu'il retrouvera plus tard dans d'autres endroits. Le numéro d'immatriculation de la voiture noire, A30432, qu'il reverra également dans à plusieurs places, et dont il pense qu'il pourrait s'agir d'une date de naissance (ce qui n'est pas logique puisqu'aux USA comme en Grande-Bretagne le mois précède le jour), tels sont les éléments qui vont le conduire dans une aventure dont il ne mesure pas les conséquences et les risques. En suivant deux chemins, celui de la femme Chauve-souris et celui d'Ashley qui lui manque.
Harlan Coben, écrit dans ses remerciements J'ai eu un plaisir fou à écrire A découvert. Et bien je peux vous assurer que moi aussi j'ai pris un plaisir fou à lire ce roman qui nous entraîne sur les traces du père de Mickey, à la découverte de la jeunesse du jeune homme, mais également sur une piste qui devient un peu récurrente, Auschwitz. Les personnages, outre Mickey, sont émouvants et mystérieux. Plus particulièrement Ema, dite la Grosse, qui sous des dehors gothiques, agressifs, a la répartie incisive, ne dit rien sur ses parents, si elle en a. Mais elle se montre courageuse, aussi bien envers ceux qui se moquent d'elle qu'en face du danger. Quant à Spoon, qui est toujours en train de remonter ses lunettes sur son nez, sous des dehors un peu niais, sa conversation est souvent déphasée, et il aborde les gens par des affirmations dans le genre de George Washington était stérile, ce qui a pour don de déstabiliser ses interlocuteurs. Mickey qui par son physique parait plus que son âge, possède de faux papiers, qui lui avaient été fournis par son père lors de leurs périples, qui indiquent qu'il a vingt et un ans, ce qui lui permet de conduire la voiture de son oncle presque en toute impunité. Myron, le héros d'une précédente série, était fâché avec le père de Mickey, et celui-ci bien évidement n'apprécie pas la tutelle dont il fait l'objet. Myron ne remplacera jamais son père, au contraire Mickey lui en veut et cherche par tous les moyens à l'éviter. Pourtant Myron, qui possède un vieux contentieux avec Taylor le commissaire de police, joue un rôle prépondérant dans cette histoire. Des similitudes, des affinités, des rejets qui se transmettent entre deux générations.
Ce roman, rondement mené, agréable, n'est pas destiné aux intellectuels exigeants adeptes de digressions philosophiques et absconses. Mais les personnages sont émouvants, de même que l'intrigue est captivante, et si l'histoire en elle même est quasi close, il reste des parts d'ombre qui seront dévoilées dans A quelques secondes près, paru au Fleuve Noir simultanément que cette réédition. Il s'agit un peu d'un roman-feuilleton, dont chaque histoire est entière mais se prolonge.
Alors, oui j'ai retourné ma veste, et je ne le regrette pas ! Et bientôt ma chronique sur A quelques secondes près.
Harlan COBEN : A découvert. (Shelter - 2011. Traduit par Cécile Arnaud. Première édition : Fleuve Noir 2012. Réédition Pocket N° 15559. Parution 5 septembre 2013. 320 pages. 7,20€.