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8 avril 2013 1 08 /04 /avril /2013 16:09

Mais qui est ami avec la mort ?

 

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Lorsque le commissaire Louis Gardel, du 36 Quai des Orfèvres, réveille par téléphone Camille, jeune journaliste au Petit Journal, celle-ci est langoureusement couchée avec son amie Blanche. Elle émerge d’un cauchemar surréaliste : un homme range son fusil parmi des parapluies, prend sa tête à deux mains et la pose sur une commode. Il suffit que Gardel lui annonce qu’un beau crime vient d’être découvert rue Sainte-Croix de la Bretonnerie pour qu’elle s’apprête immédiatement. Effectivement la mise en scène est alléchante : un homme, poignardé par ce qu’il semble être un stylet, tenant dans une main un couteau, dans l’autre une moitié de pomme découpée en croix, adossé contre le mur du bar Le Rendez-vous des Amis, portant une cape rouge cousue sur son veston, ainsi que des souliers vernis, trop grand pour lui. Le meurtre a été perpétré ailleurs et le cadavre a été transporté. L’image d’un assassinat à la Fantômas se glisse immédiatement à l’esprit de Camille Baulay, dite Oxy, pour oxymore en référence à son nom.

Quelques jours plus, le 5 décembre 1924 exactement, Camille assiste à une réception donnée par Théodore Dieuleveult, récemment élu à la Chambre des députés et cultivant l’espoir non secret d’accéder à un ministère, de préférence celui siégeant Place Beauvau. Théodore est l’époux de Blanche, qui ne sait pas que celle-ci aime et couche avec Camille. Assistent également à cette petite fête, Hortense de La Rochefoucauld, leur amie commune, Edouard de Fontanges, frère d’Hortense et journaliste littéraire au Comœdia illustré, plus quelques autres personnalités en vue. Edouard entraîne à l’écart Camille afin de lui faire part d’une idée qui lui est venue en lisant son article.


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Selon lui une impression de déjà vu, le souvenir d’un tableau qu’il a admiré au précédent Salon des indépendants, un tableau de Max Ernst intitulé Au rendez-vous des amis. Or sur cette œuvre figurent quelques éléments qui ont imagé le meurtre de l’inconnu. Le lieu même, référence au titre du tableau, une pomme et un petit couteau ainsi qu’un personnage portant une cape rouge. Edouard apporte quelques renseignements supplémentaires sur l’origine de cette toile représentant les amis d’André Breton, le chef de file du groupe surréaliste. Camille qui n’est pas journaliste pour rien désire en connaitre un peu sur ce mouvement littéraire assez violent qui prône une révolution totale. Outre Breton, Aragon, de nombreux artistes en devenir comme les peintres Chirico et Picabia composent cette fratrie artistique marginale. Et afin que Camille puisse se faire une opinion complète il lui propose de lui envoyer quelques exemplaires de l’ancienne revue Littérature ainsi que le Manifeste rédigé par Breton. En compulsant ce manifeste, Camille trouve parmi les noms cités, outre ceux déjà mentionnés, ceux de René Crevel, Robert Desnos, Paul Eluard, Michel Leiris, Benjamin Perret, Philippe Soupault, en tout une vingtaine, mais surtout celui de Dédé Sunbeam qu’elle a déjà eu l’occasion de rencontrer.

Il lui faut rencontrer ce jeune homme au regard inquiétant, aux sourcils charbonneux et à la voix râpeuse. Aussitôt elle s’enquiert du domicile du dit artiste, lequel vit dans le quartier des abattoirs hippophagiques de Vaugirard, dans un atelier niché au fin fond d’une cour. D’après Dédé le tableau est chez Paul Eluard près de Montmorency, Max Ernst vivant chez Eluard tout en étant l’amant de Gala la compagne du poète. Doit-on en déduire que les Surréalistes étaient partageurs ? Mais ceci ne nous regarde pas !

Que fait pendant ce temps Louis Gardel ? Il ne s’adonne sûrement pas au tango comme son presque homonyme Carlos, mais lit l’article de Camille, lui reconnaissant un certain talent, pour ne pas écrire un talent certain, tout en réfléchissant sur les événements déroulés depuis peu. Son enquête l’accapare, et cherche à comprendre un point de détail découvert à l’autopsie et qui n’a pas été ébruité. L’homme avait le sexe peint en noir. Et il ne s’agit pas d’un bizutage. Reste à découvrir l’identité du cadavre.

Seulement d’autres cadavres viennent peu à peu compléter la panoplie du tableau de chasse d’un tueur qui n’est pas encore considéré comme un tueur en série. Une femme puis un homme, dont les identités seront peu à peu retrouvées mais qu’aucun point commun semble rattacher. Seules les références au tableau de Max Ernst pourraient éventuellement les lier, et de là à penser que les amis d’André Breton, ou Breton lui-même, seraient à l’origine de ces meurtres pour le moins originaux, il n’a qu’un pas à franchir. Camille est introduite (en tout bien tout honneur, quoi que si elle aime les femmes, les hommes ne l’indifférent pas non plus) dans ce cénacle et est même adoptée.

Si Gardel possède en Bartholet un adjoint efficace, Camille détient en Henri Lenoir, spécialiste de la rédaction des réclames dans le même journal qu’elle, un complice, amoureux déclaré, farceur invétéré qui aime poser sur les banquettes des cafés le pilon, peint en diverses couleurs selon les circonstances, qui remplace sa jambe perdue lors de la Grande Guerre.

Seule manque dans ce roman la figure de Léo Malet puisque celui-ci ne rejoignit le mouvement surréaliste qu’en 1930. C’est dommage ! Mais Gilles Schlesser met en scène tous ces protagonistes avec verve, soulevant les antagonismes entre ces artistes qui s’aimaient ou se détestaient cordialement, et fait revivre une époque révolue. Fort peu courtois et totalement iconoclastes, jouant les trublions et manquant de respect envers les anciens comme Anatole France, ou les nouveaux qui ne sont pas de leur bord, comme Jean Cocteau, cette confrérie se lézarde parfois, Breton agissant comme un petit dictateur, les autres n’acceptant pas toujours son autorité. D’où des conflits larvés. Ils sont même sectaires en certaines occasions, vouant aux gémonies les homosexuels, entre autres. Pourtant René Crevel qui est pédéraste fait partie de cette communauté composée de bric et de broc. Robert Desnos pratique le rêve éveillé, d’autres hantent les boites de Montparnasse, au grand dam de Breton et de son dauphin Antonin Arthaud.

Cette enquête menée par Gardel, et par Camille malgré l’injonction du commissaire de ne pas s’immiscer dans les affaires de la police, est particulièrement réjouissante presque à la recherche du temps perdu. Le personnage de Camille est particulièrement réjouissant, ne s’embarrassant pas d’interdits, de tabous, vivant en femme libre et consciente de son charme, de sa valeur, mais toutefois se méprenant sur l’attitude de Gardel.

Un livre hautement recommandable pour son érudition débonnaire, pour la reconstitution jouissive d’une époque et d’une petite frange de la société parisienne, un parcours dans un microcosme qui réunit toutes les facettes des mauvais côtés de l’être humain mais également de ses qualités.


Voir également les avis publiés chez Action-Suspense, chez Pyrausta ainsi que chez  Black Novel.


Gilles SCHLESSER : La mort n’a pas d’amis. Editions Parigramme. 240 pages. 9€.

 

challenge régions

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commentaires

A
Une période et un microcosme qui me tente. Et si en plus, c'est un polar.....
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O
<br /> <br /> Bonjour Alex<br /> <br /> <br /> Un roman agréable, à double détente (normal pour un polar) qui allie culture à plaisir, ce qui n'est pas toujours le cas.<br /> <br /> <br /> Amitiés<br /> <br /> <br /> <br />
L
tiens, c'est original comme thème, période et tout et tout !
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O
<br /> <br /> Bonjour Lystig<br /> <br /> <br /> Original et très interressant qui nous plonge dans une époque que nous n'avons pas connue mais semblait intéressante. Amitiés<br /> <br /> <br /> <br />
C
Salut Paul<br /> Pour te citer : "érudition débonnaire - reconstitution jouissive", c'est exactement l'esprit de ce roman très réussi.<br /> Amitiés.
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O
<br /> <br /> Bonjour Claude<br /> <br /> <br /> Oui un roman très réussi et qui me fait regretter de ne pas avoir lu Mortelles voyelles. J'aurai peut-être droit à une session de rattrapage.<br /> <br /> <br /> Amitiés<br /> <br /> <br /> <br />
P
Salut Paul, un roman hautement jouissif qui a bien failli remporter la plame du chouchou du mois. Une vraie réussite en format poche, ça ne se rate pas ! Amitiés
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O
<br /> <br /> Bonjour Pierre<br /> <br /> <br /> Je m'en souviens maintenant ! Tu avais parlé de ce livre et j'ai ajouté ton lien.<br /> <br /> <br /> Amitiés<br /> <br /> <br /> <br />

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  • : Bienvenue dans la petite revue de la littérature populaire d'avant-hier et d'hier. Chroniques de livres, portraits et entretiens, descriptions de personnages et de collections, de quoi ravir tout amateur curieux de cette forme littéraire parfois délaissée, à tort. Ce tableau a été réalisé par mon ami Roland Sadaune, artiste peintre, romancier, nouvelliste et cinéphile averti. Un grand merci à lui !
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