Graham Gaines, qui devait purger de vingt ans de prison à Newgate (Londres) a vu sa peine transformée en condamnation à mort pour le meurtre d’un autre détenu. Mais auparavant il tient à revoir son vieil ami de trente ans, son complice, Joe Hackney, qui de malfrat est devenu policier à Scotland Yard. En ce 19 octobre 1891, il confie une mission, une sorte de testament, à Joe Hackney. Retrouver un magot de 17 000 livres et si possible celui qui l’a subtilisé. Vingt ans auparavant Graham Gaines avait caché son trésor dans une ruche appartenant à son oncle près de Londres, mais quand il a voulu le récupérer tout était parti sauf les hyménoptères. Il avait soupçonné dans un premier temps son ivrogne d’oncle puis un lad d’Epsom de l’avoir spolié et dans la bagarre qui avait opposé les deux hommes, Hackney l’avait tué avec son arme à feu. Un homicide perpétré sans intention de nuire à la vie d’un quidam qui l’avait conduit dans les geôles de Newgate. Malheureusement il avait retrouvé en prison l’agresseur d’une ancienne amie, restée depuis défigurée et aphone, il l’avait estourbi, d’où la peine de mort prononcée à son encontre.
Hackney accepte la gageure. Et pour cela il convoque le ban et l’arrière-ban de l’ancienne bande des Débardeurs, Millie serveuse et entraineuse dans le bar qui était géré par le père d’Hackney, Janet, la défigurée qui s’est reconvertie dans l’écriture de feuilletons pour des journaux, Clovis une brute employée aux abattoirs, Ashby son demi-frère qui sert d’indic à ses heures perdues, et il en a beaucoup, et enfin Nudge devenu le riche patron d’une entreprise de ferronnerie et mariée à la belle Suzanne qui fréquenta sans vraiment l’intégrer la petite équipe.
Alors qu’il n’a qu’une douzaine d’années, Hackney fait la connaissance à l’école de Graham Gaines et tous deux deviennent amis et inséparables. Ils vivent chichement et l’idée leur vient de traficoter dans le proche quartier des docks. Peu à peu ils élargissent leur entreprise et s’adjoignent quelques complices en lesquels ils ont toute confiance. Parmi ceux-ci Dominic, qui succombe suite à un accident et est remplacé par Ashby sur les conseils de Clovis. Petits vols, chapardages, trafic de tabac et d’opium cachés dans des statuettes dont ils prélèvent au passage quelques exemplaires afin d’augmenter leurs profits, et autres délits dont ils sortent toujours gagnants, rythment leur adolescence. Les années passent, les liens entre les amis se tendent et se détendent, mais l’affaire ratée du Glenn Court sonne le glas de la bande des Débardeurs. Pourtant le vol dans le coffre-fort du restaurant le Glenn Court avait été soigneusement préparé mais il a tourné au fiasco. 120 000 livres à se partager provenant des paris truqués d’une course hippique à Epsom mais que les frères Beauchamp déroberont sous le nez de Joe Hackney et ses comparses.
Pour Hackney et ses anciens compagnons de rapines, ainsi que pour l’auteur qui narre cette histoire sous forme de strates, c’est l’occasion de remonter le temps et d’analyser ces quelques années passées ensemble, avec leurs petites joies, leurs amours, leurs déboires, leurs pérégrinations, leurs aventures et mésaventures. C’est l’occasion aussi de révéler leur véritable tempérament, les petites bassesses dont ils se sont rendus coupables, de recouper leurs souvenirs, de tenter d’établir l’identité du ou des suspects, de retourner sur les lieux de leurs exploits et de leurs échecs, de se suspecter aussi, de rechercher la vérité en se mettant à nu, même si cela entraîne la découverte de petits et gros secrets inavouables. La nostalgie les étreint parfois, l’amitié se renforce ou se fissure sous les coups durs portés sur ce qui les unissait, la désillusion qui s’ensuit ou au contraire la satisfaction de pouvoir régler une dette morale.
Ce roman historique de suspense est un véritable plaisir de lecture, qui plus est aussi un peu une ode à l’amitié.
Voir également ma chronique sur Le Diable de Glasgow.
Gilles BORNAIS : Le trésor de Graham. Editions Pascal Galodé. 336 pages. 21,90€.