Comme disait ma grand-mère, toute vérité n'est pas bonne à dire ! Pourquoi ?
Ecrivain, journaliste, Yarnald Colom ne refuse jamais de participer à une conférence. Ce qui a l’heur de faire plaisir à son éditeur, et les séances de dédicaces qui suivent permettent d’écouler quelques romans policiers. Les piges qu’il effectue pour La Semaine, journal catalan basé à Perpignan lui permettent de subsister, sans plus, mais il ne se plaint pas. Il n’a que peu de besoins, surtout depuis que sa femme Rachel l’a quitté et qu’il se retrouve seul dans son appartement aux pièces quasiment vides.
Invité par Valenti, le président de l’association des Catalans de Marseille, il se prête volontiers au jeu des questions et réponses, jeu qui déborde largement du cadre du polar et au fur et à mesure des échanges les Catalans présents dans la salle s’intéressent aussi, mais peut-être n’étaient-ils venus que pour cela, à la Catalogne actuelle, la langue, l’économie, le social, le nouveau statut d’autonomie. Toutes informations qui intéressent ceux qui vivent éloignés de leur pays natal.
Lors de la séance de dédicaces qui s’ensuit, une jeune femme l’aborde. Elle se prénomme Montserrat et aussitôt Yarnald lui demande si elle est catalane, mais celle-ci se défend. Elle est Française et rétorque que la Catalogne n’existe pas et qu’il devrait cesser de rêver, de revenir à la réalité. Une remarque qui le refroidit, surtout lorsqu’il apprend que Montserrat n’est autre que la fille de Valenti. Mais ce n’est qu’un épisode, car Valenti, avait autre chose en tête lorsqu’il lui a lancé l’invitation. Il lui remet une lettre et lui raconte son histoire.
En 1939, Valenti avait quinze ans. Son père s’était engagé dans les armées de la République et est décédé lors de la bataille du Sègre. Sa mère et son frère durent s’exiler. Leur maison considérée comme abandonnée fut réquisitionnée par les miliciens des troupes franquistes sous les ordres d’un certain Bialet. Entré en France en 1948, poursuivi par la police espagnole pour rébellion contre les autorités militaires, il avait refait sa vie à Marseille. Il avait pu revenir en Catalogne du Sud en 1977, une sorte de pèlerinage qui l’avait amené jusqu’à son village d’Illavrana, près de Girona. Tout avait changé, la maison familiale n’existait plus. Désirant avoir des renseignements sur le cadastre, il se retrouve nez à nez avec le responsable qui n’est autre que Bialet. Il revient peu après afin d’obtenir la liste de l’inventaire qui aurait dû être établie. Bialet promet mais la demande est restée sans suite. Depuis Bialet est mort.
Antoine, le rédacteur en chef de La Semaine, journal où Yarnald effectue des piges, lui confie un reportage, justement à Girona. Une cérémonie au vieux cimetière va se dérouler afin de rendre hommage aux cinq-cent-dix victimes, des Républicains fusillés entre 1939 et 1945 par les Franquistes et ensevelis dans une fosse commune. Lors de cette commémoration, une jeune femme harangue la petite foule, demandant toute la vérité sur le franquisme, pourquoi une stèle a été érigée en faveur du Caudillo, et autres questions élémentaires qui n’ont pas l’heur de plaire aux policiers de la Guardia Civil. Ce ne peut que se terminer par un affrontement. Un point positif est cependant à mettre à l’actif de la présence de Yarnald devant cette fosse commune. Il retrouve Aleix, journaliste au quotidien local. Mais le plus étonnant dans cette affaire réside en la personnalité de Carme, surnommée Llum (lumière), militante d’un parti d’extrême-gauche et petite-fille de Bialet. Grâce à Aleix, Yarnald remonte la piste Bialet, qui est décédé d’un accident de chasse. Soi-disant, car le père Arnau, un familier de la fille de Bialet qui mène d’une main de fer l’entreprise familiale, avoue, comme s’il était à confesse et sous le sceau du secret, que Bialet n’a pas été victime d’un accident mais qu’il s’est suicidé.
Yarnald est seul, désabusé d’un mariage raté. Il essaie de s’arrêter de fumer, et pour compenser le manque il ingurgite de petits verres de rhum. Et il envisage de quitter son appartement, afin de couper définitivement les ponts, et de s’acheter une petite maison de campagne avec un petit jardin. Un homme comme bien d’autres.
Mais, au-delà du personnage, Gildas Girodeau s’attache à reconstituer cette époque délétère du franquisme, que des Espagnols regrettent. Car comme tous ceux qui ont connus des dictatures, ils se trouvent perdus lorsqu’ils acquièrent la liberté de pensée. Des dates significatives comme 1939, 1973, 1975, et quelques autres sont mises en scène et des personnages qui ont marqué ces périodes sont évoqués, dont Puig Antich, arrêté en septembre 1973 et membre du MIL (Movimiento Ibérico de Libéración) ou encore l’amiral Luis Carrero Blanco, membre de l’Opus Dei, victime dans l’explosion de sa voiture, explosion provoquée par l’ETA, organisation basque qui alors n’était qu’un groupuscule en balbutiement.
D’autres faits, d’autres événements sont relatés, et surtout l’auteur démontre qu’il est plus difficile pour un état de rester dans un esprit démocratique que de se tourner vers une dictature qui bâillonne les paroles, les idées, les pensées, les actions. Et pour ceux qui ont connus de loin, comme nous les sexagénaires, certains de ces remous, cela nous permet de retrouver la mémoire. Quant aux jeunes générations, cela peut être un exemple à ne pas suivre. Mais il y aura toujours et partout des nostalgiques des dictatures, ne pensant pas par eux-mêmes mais écoutant béatement la voix de son maître. Nous en avons de multiples exemples, ne serait-ce qu’en France.
Et comme j’aime bien relever les petites erreurs, de datation principalement, j’ai tiqué lorsque page 9, j’ai lu que Valenti avait soixante-dix ans au moins et page 45 qu’en 1938, à l’âge de quatorze ans… Or l’histoire se déroule en 2009. Mais ceci n’est qu’ergotage, car pour moi ce roman est l’un des meilleurs lus cette année.
A méditer : Llum déclare dans un entretien : l’Etat, comme les marchés financiers et les grands groupes privés étaient par essence des facteurs d’oppression. Autre sujet de réflexion, qui concerne les consommateurs, des élevages géants sont installés en Catalogne. Les porcs naissent aux Pays-Bas, sont engraissés en Espagne dans des conditions intensives, interdites dans leur pays d’origine, avec des aliments que les Hollandais ne peuvent utiliser, puis lorsque les porcins sont à point, ils reviennent au pays pour être abattus et commercialisés avec le label Porc hollandais. C’est beau l’Europe des échanges.
Et la question fondamentale posée par Gildas Girodeau dans son titre, faut-il pour préserver la paix faire abstraction ou taire la vérité, trouve tout son sens dans ce roman que je ne peux que conseiller.
Gildas GIRODEAU : La paix plus que la vérité. Editions Au-delà du raisonnable. 208 pages. 15€.