Et j'ai fort à faire !
Et Il n'était pas revenu dans la petite ville portuaire depuis trois lustres, mais son aversion, sa rancœur, sa haine même, envers son père ne s'est pas éteinte. Et si Jack Lestrade est présent en ce jour venteux, c'est tout simplement pour jeter une poignée de terre sur le cercueil qui vient d'être descendu dans la fosse. Un symbole. Et le curé peut prononcer les paroles habituelles, des éloges mensongers, Jack sait ce qu'il a enduré jusqu'à l'âge de quinze ans, jusqu'au jour où il est parti. Des années à se faire tabasser pour rien et même pas une mère pour le défendre. Car sa mère a déserté le foyer familial alors qu'il n'avait que cinq ans et son jeune frère Julien quelques mois. Il s'est engagé dans la Marine et il a bourlingué de par le monde. Alors ce n'est pas pour dire des prières sur le cadavre de son père mort accidentellement, mais bien pour régler les dettes. Et là-bas, dans un coin du cimetière la tombe de son frère, suicidé en prison, alors qu'il avait été condamné cinq ans auparavant pour le viol et le meurtre d'une adolescente. C'est ce qu'il a appris lors de ses voyages par de vieux journaux qui trainaient.
Dans le cimetière peu de personnes assistent à l'inhumation. Jack retrouve avec plaisir son ancienne maîtresse d'école, celle qui lui a tout appris et lui a offert son affection. Quoi qu'elle n'ait rien dit lorsque Jack et son frère arrivaient à l'école couverts de bleus. En ce temps là, il était de bon ton de ne rien dire, de ne rien remarquer. Elle a vieilli elle aussi et l'invite à venir la voir chez elle. Et peut-être qu'elle a envie de parler, ce dont Jack se moque, mais il ira, au moins par déférence. A la sortie un individu qui pointe dans la catégorie Clochard l'aborde. Il s'agit de Léon, le copain de Julien. Ils se rendent au Bar de la Marine, un lieu cradingue où les poivrots se donnent rendez-vous. Léon ne fait vraiment pas son âge. A vingt-cinq ans il en paraît plus du double. L'alcool, les petits boulots pour survivre. Les temps sont durs, surtout dans une bourgade qui s'enlise dans une monotonie déprimante. Léon, pour justifier les verres de bière que Jack lui paie parle de la ville, du maire qui est devenu député cinq ans auparavant, de son prochain remariage après un veuvage de deux ans. De son manoir sis en haut de la colline.
Un gandin qui détone dans ce bouge interpelle Jack, lui intimant l'ordre de repartir d'où il vient. Il n'a rien à faire dans le patelin le sermonne-t-il. Heureusement le patron du café s'interpose et de sa grosse voix ordonne à l'importun de déguerpir. Ce trublion n'est autre qu'Antoine Bresson, le fils du maire. Un individu prétentieux, et querelleur, surtout lorsqu'il a un verre de trop en travers de l'œsophage.
Honnête, Jack se rend chez le propriétaire de la maison dans laquelle vivait son père. Et il apprend avec surprise que son père, qui n'avait jamais eu un sou devant lui, ni derrière non plus, a acheté la bicoque. Et chez le notaire, nouvelle surprise. Son père a non seulement acheté la maison mais de plus il a payé en liquide. Jack le marin nage en pleine confusion.
Il se promet de mettre tout ça au clair, alors il prend une chambre d'hôtel. Il ne peut pas dormir dans la bicoque paternelle. Pas tant parce qu'elle est délabrée, n'ayant jamais été entretenue, mais parce qu'elle lui remémore trop de mauvais souvenirs.
Il se rend chez le maire, pour rien. Sauf à retrouver le fils de celui-ci qui se montre encore une fois désagréable. En repartant il est tabassé par deux policiers municipaux, une nouveauté pour la bourgade qui auparavant ne possédait qu'une gendarmerie. Afin de panser ses blessures, il consulte le médecin qui sait des choses, mais qui ne dit rien, se retranchant derrière le secret professionnel. Le soir alors qu'il se promène sur la port, Jack est agressé par trois inconnus. Ceux-ci ne savent pas qu'il est un spécialiste des sport de combat et ils repartent mal en point. Tous ces petits faits mettent la puce à l'oreille de Jack. Il gêne, sans aucun doute. Mais qui et surtout pourquoi. Alors Jack décide de prolonger son séjour et de tirer les choses au clair. Et Jack est un homme du genre : si tu ne veux pas de moi, je reste. L'esprit de contrariété.
Si le lecteur découvre au fil des pages, des chapitres, quelques secrets, quelques épisodes antérieurs, Jack lui n'est au courant de rien. Ses investigations ne sont donc pas des révélations pour celui qui le suit au travers de ses démarches. Mais Gilbert Gallerne est un vieux routier qui sait ménager ses effets, et lorsque l'on croit avoir tout compris, tout est remis en question et de nouvelles révélations proposent de nouvelles pistes.
Dans une ambiance et une atmosphère à la Georges Simenon, celles qui prévalaient dans ses romans noirs, Gilbert Gallerne développe une intrigue plus retorse qu'écrivait le célèbre romancier belge, créateur de Maigret. On y retrouve la pluie, le port, la décrépitude, les petites gens noyés dans l'alcool et la déche, les notables peu scrupuleux, les fils de famille dévoyés, les secrets enfouis derrière les rideaux ou dans une valise, mais avec un regard plus moderne, plus inquisiteur, le tout décrit en peu de pages, mais avec une force de persuasion et le goût du mystère que sait si bien mettre en avant Gilbert Gallerne qui signe ici son grand retour. Et l'épilogue est...renversant !
Retrouvez Gilbert Gallerne avec : L'Ombre de Claudia.
Gilbert GALLERNE : Je suis le gardien de mon frère. Objectif Noir. Parution le janvier 2014. 190 pages. 18,19€ pour la version brochée. 4,99€ pour la version Kindle chez Amazon.