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13 février 2012 1 13 /02 /février /2012 17:49

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Exhumer des œuvres de jeunesse est parfois synonyme de risque, même si l’auteur est décédé. Sa gloire littéraire n’en pâtira pas forcément, mais le lecteur potentiel peut à juste titre se montrer dubitatif et ne pas retrouver le coup de patte, le style, le charme, qui lui ont fait aimer tel ou tel écrivain.

Jehan Pinaguet, écrit par Simenon à l’âge de dix-huit ans, était resté inédit. Plus pour des raisons de censure de la part de Demarteau, rédacteur en chef de La Gazette de Liège, journal auquel collaborait Simenon en tant que localier, que pour des raisons de style. Longtemps j’ai cru que Jehan Pinaguet était un roman dont l’action se déroulait au Moyen-âge mettant en scène un jeune hobereau en soif de découvertes, d’aventures. La magie du prénom sans aucun doute.

En fait il s’agit d’un tableau de mœurs ayant pour cadre la bonne ville de Liège, chère au cœur de Simenon. Jehan Pinaguet est un jeune homme avide de tout découvrir. Pour cela il devient tout à tour cocher, l’un des rares encore en service, puis garçon de café, enfin aide libraire. Un parcours qui permet à Simenon de croquer à coups de traits rapides mais fortement appuyés l’entourage du jeune homme et de poser les jalons de cette marque de fabrique qui fera la renommée, la célébrité du créateur du commissaire Maigret. Ainsi page 45 peut-on lire cette phrase dans laquelle se dessine ce qui deviendra tout l’univers simenonien : Désormais le mot Justice n’évoquerait plus en lui qu’une salle pleine de soleil et de fumée de tabac, avec un grand pupitre noir, une verrue magistrale, une pipe d’écume, des picotements dans les mollets et une punaise écrasée sur des pages graisseuses.

Et la petite appréhension que je ressentais en ouvrant ce volume s’est vite muée en une espèce de ravissement.

Au pont des Arches qui figure dans ce recueil a eu l’honneur d’être édité mais à un tirage quasi confidentiel. C’est un roman allègre, humoristique, dans lequel on suit Paul Planquet, fils d’un pharmacien inventeur d’un produit dont il ne sait pas faire la promotion, découvrir les premiers émois de la chair, et les problèmes financiers inhérents à l’assouvissement de sa sexualité. Dans Les Ridicules, Simenon brosse les portraits de quatre de ses amis de la Caque, association de bohèmes. Des pages écrites avec férocité et destinées à celle qui deviendra sa femme et à ceux qu’il a croqués avec si peu de gentillesse mais tant de réalisme.

Des œuvres de jeunesse donc mais qui témoignent déjà de la part de Simenon une étonnante maîtrise de l’écriture, malgré quelques redondances, une facilité à dépeindre ses personnages, une propension affirmée pour les odeurs, l’atmosphère, et qui se lisent avec un plaisir non dissimulé.

Georges SIMENON : Jehan Pinaguet, suivi de Au pont des arches et des Ridicules. Préface de Francis Lacassin. Presses de la Cité. 1991. 210 pages.

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commentaires

S
Pas mieux, Paul!<br /> D'ailleurs, je me rends de plus en plus compte que, question livres ou films, j'essaye autant que possible de privilégier la découverte chronologique des oeuvres de l'auteur. Plaisir (à mon humble<br /> et pervers avis) décuplé à l'arrivée...<br /> Amitiés.
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O
<br /> <br /> Oui Serge, mais ce n'est pas toujours facile de suivre la chronologie. Et je ne parle pas des traductions qui ne respectent que rarement l'ordre chronologique des parutions<br /> <br /> <br /> Amitiés<br /> <br /> <br /> <br />
C
Salut Paul et Serge<br /> Pour prendre l'exemple de G.J.Arnaud, qui a assez vite trouvé son style, c'est effectivement par curiosité que j'ai lu ses premières oeuvres (Saint-Gilles, etc.) C'est aussi vrai pour F.Dard, le<br /> premier J.F.Coatmeur au Masque, et d'autres. Ces romans sont loin d'être nuls, c'est juste, mais on n'y reconnait pas toujours l'auteur tel qu'on l'aime.<br /> Amitiés.
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O
<br /> <br /> Justement Claude, c'est en lisant ces romans que l'on peut se rendre compte de l'évolution d'un auteur, de sa courbe ascendante ou au contraire dans une uniformisation de l'oeuvre.<br /> <br /> <br /> Et si ces romans n'avaient pas connu une once de succès, si un éditeur n'avait pas parié dessus, l'auteur serait-il reconnu aujourd'hui ? N'est-ce pas Serge ?<br /> <br /> <br /> Amitiés à vous deux<br /> <br /> <br /> <br />
S
Salut les amis...<br /> Claude a raison: le plaisir de lecture est sans doute plus intense avec les textes maîtrisés. Mais pourquoi le lecteur "averti" se priverait-il de textes de jeunesse, sources de prolongement de ces<br /> plaisirs?... D'autant que les auteurs populaires du siècle écoulé éligibles à cet exercice ne sont pas légion (je pense à F. Dard, G.-J. Arnaud).<br /> Amitiés.
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O
<br /> <br /> Bonjour Serge<br /> <br /> <br /> Je suis d'accord avec toi et je viens d'écrire à Claude que découvrir des textes, même conssidérés comme mineurs, sont parfois agréables à lire. Je me souviens, puisque tu fais référence à F.<br /> Dard, du Tueur aux gants blancs signé Cornell Milk, alias Dard, roman qui date de 1951. Un roman mineur alors qu'au Fleuve Noir Dard commençait à pointer le bout du nez avec San-Antonio et sous<br /> son nom avec des romans plus ambitieux.<br /> <br /> <br /> Amitiés<br /> <br /> <br /> <br />
C
Salut Paul<br /> Ces oeuvres de jeunesse inspirées de sa vie liégeoise sont probablement intéressante. Ses petits romans sous pseudos, pour ceux que j'ai lus, même plein de péripéties et de mystère, furent quand<br /> même très pauvres par rapport au style d'écriture. Des curiosités, mais il vaut mieux lire ses romans maîtrisés, à mon humble avis.<br /> Amitiés.
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O
<br /> <br /> Bonjour Claude<br /> <br /> <br /> Je ne serais pas aussi sévère que toi. Parmi son abondante production avant les Simenon, il y avait de belles petites choses qui ne demandaient qu'à éclore. Et j'aime les relire. Chair de beauté,<br /> Dolorosa, Les pirates du Texas. Évidemment c'étaient des romans d'aventures mais il se faisait la main. Et s'il fallait jeter aux oubliettes tout ce qui n'était pas abouti, les catalogues, tous<br /> auteurs confondus, se réduiraient à peu de chagrin. Certains auteurs parviennent presque au chef d’œuvre dès leurs premiers romans. Mais après ils ne font que ronger le même os, et leurs ouvrages<br /> ne sont plus que des resucées.<br /> <br /> <br /> Amités<br /> <br /> <br /> <br />

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  • : Lectures de l'Oncle Paul
  • : Bienvenue dans la petite revue de la littérature populaire d'avant-hier et d'hier. Chroniques de livres, portraits et entretiens, descriptions de personnages et de collections, de quoi ravir tout amateur curieux de cette forme littéraire parfois délaissée, à tort. Ce tableau a été réalisé par mon ami Roland Sadaune, artiste peintre, romancier, nouvelliste et cinéphile averti. Un grand merci à lui !
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