Pourriez-vous vous présenter ?
Je suis né le 27 mars 1934 à Lausanne et ai suivi des études à la fois littéraires et scientifiques. J’obtiens le Prix de poésie de l’Association des Ecrivains Vaudois à 15 ans et demi.
Au même moment, révolté par un article sur la jeunesse, j’envoie une réponse cinglante qui me vaut d’être engagé à raison d’un papier (tribune libre ou conte) par mois ! Je ne cesserai plus, dès lors, d’être journaliste même en faisant d’autres métiers simultanément.
J’ai découvert le roman policier grâce au coiffeur de sa mère, monsieur Wagner, qui a eu l’idée de donner à lire à ses clientes non pas des magazines mais des romans et qui a constitué pour cela une bibliothèque de prêt. Avec toute la collection du Masque, tout Arsène Lupin, Rouletabille, etc. Tout cela gratuitement, pour moi, à partir de l’âge de 10 ans.
A noter, détail sans relation avec le polar : dans l’immeuble voisin de celui du coiffeur vit une dame, Mme Blanche Derval. Dans Nadja, André Breton cite le nom de cette comédienne qui l’a profondément marqué et dont il ne sait pas ce qu’elle est devenue. Elle est là, à Lausanne où elle donne des cours de théâtre. En particulier à Jean-Marc Bory – un camarade de classe et future vedette d’un film de Cayatte et du film Les Amants, de Louis Malle avec Jeanne Moreau - et à Nelly Borgeaud - camarade de classe de ma sœur et vedette de nombreuses pièces de théâtre à Paris. Parmi mes autres camarades, il faut citer Jacques Chessex, futur écrivain vaudois et Prix Goncourt.
Né au XXe siècle, je m’intéresse aux arts de mon siècle : la littérature (rencontre avec Blaise Cendrars, essai sur l’écrivain suisse C.-F. Ramuz, etc.), le cinéma, l’art abstrait, le roman policier et le jazz (je suis l’un des créateurs du Jazz Club de Lausanne, fais du violon, de la batterie, du trombone, de la contrebasse, de l’harmonie, des chansons et entre à la SACEM avec Charles Aznavour comme parrain), donne de nombreuses conférences dans la banlieue sud et est de Paris sur l’histoire du jazz, du blues et du gospel, et dirige pendant un peu plus de deux ans l’orchestre de jazz du théâtre de Villejuif dans les années 60).
Prestidigitateur pendant un peu plus de deux ans, je passe quatre ans au service de presse d’Universal Film à Paris (mes collègues sont Claude Chabrol à la 20th Century Fox, Bertrand Tavernier chez Melville, etc.). Je participe à la promotion, avec les réalisateurs et acteurs, de la Soif du Mal (Orson Welles), Spartacus (Stanley Kubrick), Stella (Melina Mercouri), de westerns (avec en particulier ceux d’Anthony Mann), de comédies (dont plusieurs de Blake Edwards… Rencontres avec Cary Grant, Rock Hudson, Tony Curtis, Doris Day, etc.).
Je deviens rédacteur en chef d’un magazine de cinéma en décembre 61 puis directeur de la rédaction d’un ensemble de magazines féminins.
Je redeviens pigiste et travaille simultanément pour Planète (Louis Pauwels et Jacques Bergier), Age Tendre et Tête de Bois (en particulier les deux grands dossiers sur l’histoire du rock et le western), etc.
Avec trois copains, Luc Geslin (ex-photographe de cinéma formé à l’écriture), Jean-Claude Guilbert (futur écrivain, journaliste, aventurier, ami de Hugo Pratt, l’auteur de Corto Maltese) et Bernard Rapp (télévision et cinéma), je suis engagé pour une nouvelle aventure en décembre 1969 : Maurice Renault, le directeur de Mystère Magazine, version française du mensuel américain Ellery Queen’s Mystery Magazine, est souffrant depuis deux ans. Les ventes du magazine s’en ressentent.
Sur les conseils de Jacques Bergier, les éditions Opta engagent donc le quatuor d’amis pour redresser la barre. Très vite, Bernard Rapp et Jean-Claude Guilbert vont être pris par d’autres occupations. Luc Geslin prend alors la rédaction en chef (qui se limite essentiellement à choisir les nouvelles et à les faire traduire si nécessaire) tandis que moi-même, le seul des quatre à avoir une vraie culture polar (merci M. Wagner) anime le magazine : interviews (plus de 40 dont Simenon, Japrisot, Léo Malet, Patricia Highsmith, Eric Ambler, San Antonio, Pierre Boileau, Thomas Narcejac, G.J.Arnaud, Michel Lebrun, Exbrayat, Brice Pelman, Manchette, ADG, etc., etc.), fiches techniques sur des auteurs ou des personnages, nombreux échos sur l’actualité du polar, etc. Tant d’occupations nécessitent des pseudonymes comme Julien Moret, Jeff Palmedo et autres Kurt Färber !
Mystère Magazine retrouve donc son souffle. Malheureusement, Daniel Domange, directeur des éditions Opta, se tue dans un accident d’avion en 1971. Les éditions Opta vont alors souffrir de mauvaises directions qui provoquent finalement leur liquidation. Avec Luc Geslin j’essaie de relancer un Magazine du Mystère puis un nouveau Mystère Magazine avec changement de format, mais en vain. Il manque un service de distribution professionnel.
Je travaille alors comme lecteur pour une grande maison d’éditions et « nègre » avant de participer à la création du grand magazine de nature Terre Sauvage restant plus de quinze ans en tant que conseiller scientifique, grand reporter, et responsable de l’actualité avant une retraite méritée à la fin de l’an 2000.
Je continue alors comme « nègre », journaliste occasionnel et anime chaque début d’année l’édition du Prix Mystère de la Critique créé en 1972. Et je suis devenu depuis membre du jury du Grand Prix de Littérature policière.
Auriez-vous des anecdotes concernant votre passage à Mystère Magazine ?
Lorsque j’ai commencé ma série d’interviews pour Mystère Magazine, je faisais des fiches techniques signées de mon nom. J’ai donc décidé d’utiliser l’un de mes pseudonymes, Julien Moret pour ces entretiens. C’est à ce moment que Luc Geslin m’a demandé : Est-ce que je peux les cosigner avec toi car dans mon rôle de sélectionneur de nouvelles, ma signature n’apparaît nulle part et c’est ennuyeux pour l’obtention de la carte de presse…
Et c’est ainsi que Luc a cosigné ces interviews. Il a assisté à quelques-unes, les plus prestigieuses comme Simenon ou Patricia Highsmith mais sans jamais intervenir dans la conduite du dialogue et dans sa réécriture. J’avais alors un magnéto Toshiba autoreverse qui permettait un enregistrement de deux heures suivi automatiquement d’un autre enregistrement de deux heures, sans manipulation. Cette fonction me fut précieuse avec Frédéric Dard qui n’aimait guère qu’on enregistre sa voix. Le magnéto fut planqué au sommet d’une armoire et Frédéric finit par l’oublier. D’où la spontanéité de ses réponses.
L’enregistrement de Georges Simenon fut à mon sens un grand bide… car l’auteur de Maigret annonçait quelques jours plus tard à un autre journaliste qu’il cessait d’écrire (des romans). Un scoop raté mais il faut dire que j’avais trouvé le personnage infiniment déplaisant ! Seule consolation, le rendez-vous avait lieu à Epalinges, au-dessus de Lausanne. Or toute ma famille est originaire de ce lieu. Ce fut quelque part un peu un retour aux sources !
Autre anecdote. A la fin de 1970, je voulais m’entretenir avec un écrivain pour lequel j’avais une grande admiration : Stanislas-André Steeman. C’est à ce moment qu’intervint Maurice-Bernard Endrèbe en indiquant que ce serait bien d’interviewer d’abord Léo Malet, lequel Léo était alors dans une situation financière difficile. Un peu de publicité rédactionnelle ne lui ferait pas de mal. Ce fut donc le cas. Mais hélas le texte consacré à Léo Malet fut suivi d’un autre beaucoup plus court, l’annonce du décès de Stanislas-André Steeman.
Lorsque nous nous sommes rencontrés en 1998, je crois, vous m’aviez confié que vous aviez travaillé comme nègre, notamment pour un auteur du Fleuve Noir, pour cinq ou six romans. Seulement vous ne pouviez m’en dire plus car l’auteur en question était toujours vivant ? Pourriez-vous m’en dire plus aujourd’hui ?
Aux éditions OPTA, pour Mystère-Magazine et pour Espionnage (entre autres !), il est vrai que j’ai utilisé beaucoup de pseudonymes, Julien Moret, Georges Chimère, Monica Lice, Kurt Färber, Jeff Palmedo, etc. Tous ont une petite ou une grande histoire. Mais il faut dire aussi que ces deux magazines n’étaient pas les seuls organes de presse pour lesquels je travaillais. J’étais alors un peu boulimique de travail. Et j’avais aussi commencé, simultanément, une carrière de nègre, d’abord pour un auteur du Fleuve Noir (mais comment s’appelait-il donc, celui-là… !!!), puis pour un ex-ennemi public n° Un… Suivirent une comédienne, un devin, un spéléologue, etc. A l’époque, le travail de nègre était mal reconnu. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.
Comment a été-créé Le Prix Mystère de la critique ? Etait-ce pour pallier un manque, pour honorer une forme de la littérature policière ?
En 1971, travaillant au mensuel Mystère Magazine, je découvre qu’il existe alors 60 000 prix annuels pour les poètes. Et très peu pour les auteurs de romans policiers, sinon des prix attachés à des maisons d’édition (le Grand Prix du roman d’aventure au Masque, les Palmes d’Or du roman d’espionnage au Fleuve Noir, le prix du Quai des Orfèvres chez Fayard, etc.), à part le déjà mythique Grand Prix de Littérature policière créé par Maurice-Bernard Endrèbe.
Il y a donc place pour un autre prix indépendant de toute influence éditoriale ou financière. Et, pour moi, l’idée du jury s’impose aussitôt : grâce à Mystère Magazine, je fréquente les rares critiques ayant la possibilité de parler de romans policiers, lesquels ne sont pas très en vogue dans les milieux littéraires, par snobisme ou ignorance. Le Prix Mystère de la Critique naît donc de cette réalité.
Au début comment était composé le jury ? Etait-ce uniquement des critiques professionnels issus de la presse écrite ? Combien étaient-ils ?
Le premier jury compte huit personnes ayant des rubriques régulières. Dont MM. Boileau et Narcejac, Maurice-Bernard Endrèbe et Michel Lebrun. Trois critiques se sont récusés : le Genevois François Fosca (auteur en 1937 de Histoire et technique du roman policier) pour raisons de santé, Jacques Sadoul et Francis Lacassin pour raisons professionnelles.
En 1973, les critiques sont au nombre de onze, avec en particulier l’arrivée de Noëlle Loriot (Laurence Oriol) et Jean-Claude Zylberstein.
Ce nombre ne cessera de grandir (34 en 2013 dont trois Suisses et un Belge) grâce à la reconnaissance littéraire du polar dans tous les milieux de la société et à la création de dizaine d’autres prix.
Aujourd’hui avec l’arrivée de nouveaux médias la donne a changé. Des chroniqueurs possédant un blog sont incorporés. Un changement salutaire ?
Aujourd’hui, modernité oblige, les membres du jury du Prix Mystère de la Critique ne sont plus seulement des journalistes de la presse écrite. La radio, la télévision et les blogs d’Internet ont modifié les critères de leur choix. Ce qui a le mérite de donner encore plus de poids et de popularité à ce prix. Et de le rajeunir.
Pour un juré, il lui suffit de communiquer la liste des dix meilleurs romans, français ou étrangers, qu’il a le plus appréciés durant l’année écoulée, des romans parus pour la première fois en français durant cette année écoulée. Certains, selon leurs goûts, proposent essentiellement des romans français, d’autres des étrangers. Ainsi naît un équilibre salutaire.
Avoir de nombreux jurés offre plus d’un avantage même si cela occasionne une bureaucratie et un dépouillement plus lourds : un critique qui veut favoriser le roman d’un de ses copains va citer ce roman dans sa liste. Si le roman est bon, il sera sans doute cité par d’autres jurés ; s’il est mauvais, il n’aura qu’une voix sans importance. D’autre part, étant donné le nombre de romans inédits qui paraissent chaque année (actuellement autour de 1500 !!), un critique ne peut tout lire (environ 200 pour ma part) et il va découvrir d’autres ouvrages grâce au choix de collègues ayant parfois des goûts différents.
Le prix est-il seulement honorifique ?
Depuis sa création, le Prix Mystère de la Critique est resté honorifique. Certes, on pourrait trouver un organisme public ou une société privée capable de financer une récompense sonnante et trébuchante pour le(s) lauréat(s) mais cela risquerait de se faire au nom de l’indépendance des résultats.
Il me semble qu’à l’origine le prix était destiné à un roman dit de mystère, d’où son nom. Or depuis quelques années la préférence va aux romans noirs. Qu’en pensez-vous ?
Si ce prix a commencé à récompenser des romans de facture plutôt classique (suspense, roman d’énigme), sans doute parce qu’ils étaient les meilleurs à l’époque, le roman noir (français et américain) est vite intervenu dans le choix des critiques.
Au départ, le Prix entendait récompenser un roman français, un roman étranger, un recueil de nouvelles ainsi qu’un roman d’espionnage. Il a vite fallu se limiter aux romans français et étrangers sous peine d’éparpillement n’intéressant plus la presse et la publication des résultats.
Il m’arrive, après le dépouillement, d’être surpris par le choix final de l’ensemble des jurés. Voire… ne pas être d’accord avec ce choix (c’est rare mais cela m’est arrivé au moins deux fois). Mais cela fait partie des surprises du Prix Mystère.
Autrefois les noms des récipiendaires n’était connu que lors de la remise des prix. Aujourd’hui, avec Internet, les résultats sont proclamés bien avant la remise officielle. Est-ce normal ?
Aujourd’hui, les noms des récipiendaires sont connus avant la remise officielle du prix, remise qui se fait depuis plusieurs années à la Bilipo (Bibliothèque des Littératures policières), à Paris (merci à Catherine Chauchard, Alain Regnault et Samuel Schwiegelhofer). Ce n’est pas très grave et les indiscrétions se font vite du côté des attachées de presse, des éditeurs voire des critiques eux-mêmes. Notre monde est à la communication rapide et cela donne l’occasion de faire parler plusieurs fois du Prix Mystère.
Le Prix Mystère de la Critique a-t-il encore de longues années devant lui ?
Quel est son avenir ?
De la même manière que le Grand Prix de Littérature policière a survécu et fort bien à la disparition de Maurice-Bernard Endrèbe, je pense que le Prix Mystère survivra à la mienne (79 ans en 2013 !)…
Je crois que le polar a tout à y gagner !
Et comme on ne peut terminer un entretien sans la question rituelle : quels sont vos projets ? je vous la pose.
A bientôt quatre-vingts ans, il est temps que je mette un peu d’ordre dans mes écrits. Je suis donc en train de revoir toutes les interviews réalisées pour Mystère-Magazine, le Magazine du Mystère, plus quelques autres, afin d’en faire un gros volume. Mais cela exige un immense travail car il faut tout réactualiser, rechercher ceux qui ont eu la chance de survivre, préciser certaine descendance cinématographique pour leurs personnages, etc.
Et je découvre toujours avec un plaisir insondable l’évolution du roman policier devenu polar, ce que me permettent mes fonctions de créateur du Prix Mystère de la Critique et de membre du jury du prestigieux Grand Prix de Littérature policière.
Un album photos de Georges Rieben autour du monde :
Sur les chemins de G(rande) R(andonnée) !
Promenade sur l'eau en Birmanie
au Brésil Iguaçu
Maître chien de traîneaux !
En arrière-plan un volcan chilien
Georges Rieben n'a pas peur de se mouiller !
Derrière la moustache tenue par deux doigts : Philippe Clay