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24 décembre 2012 1 24 /12 /décembre /2012 10:45

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Les qualificatifs ne manquent pas lorsqu’il s’agit d’évoquer Georges-Jean Arnaud : si certains le surnomment le Balzac du Polar. Lui conviendraient tout aussi bien les appellations de Simenon français ou encore celle de Dumas du XXème siècle. Se plonger dans l’un de ses romans est synonyme d’immersion totale, d’apnée à plus de deux cents pages, bref il est difficile de le lâcher avant la dernière ligne. Qu’Arnaud œuvre dans la littérature de science-fiction, de science-friction (entendez par là les érotiques !), dans le fantastique, le roman noir, l’espionnage, l’historique ou encore ses réminiscences enfantines et adolescentes, mettant en scène des personnages familiaux, il nous concocte à chaque fois un formidable et prenant roman d’aventures et d’actions, terme préféré à celui de roman populaire par certains auteurs.

G.-J. Arnaud n’a jamais été si à l’aise que dans la description psychologique des personnages ordinaires, du décorticage de ce qui les a amenés à se vautrer dans une déchéance morale et physique, à les faire évoluer dans un univers à consonance fantastique. Avec ce qui au départ devait se réduire à une trilogie consacrée aux frères Roquebère mais qui sous l’impulsion conjuguée de ses lecteurs (et peut-être de son éditeur) se transforme peu à peu en feuilleton, les aventures de Séraphine la saute-ruisseau et de ses employeurs prend une ampleur dont nul n’aurait pu en mesurer les conséquences (a fortiori le Fleuve Noir qui paraît-il aurait refusé les manuscrits de peur de ne pas enregistrer assez de ventes !). L’action se déroule entre la fin 1829 et le début des années 1830, période au cours de laquelle les prémices de la révolution de Juillet se font ressentir puis leurs séquelles politiques. Arnaud renoue avec le roman historique inspiré du feuilleton cher à nos romanciers du XIXème siècle.

roquebere3.jpgA quelques jours de Noël, Thierrois le pourvoyeur d’enfant de l’Institution des Enfants Assistés, trimbale sur son dos dans une caisse spécialement aménagée, un nouveau-né. L’homme qui lui a confié ce fardeau peu ordinaire lui a remis une somme d’argent cinq fois plus conséquente que celle remise à l’habitude. Thierrois est persuadé que le nourrisson qu’il doit livrer à l’Hospice est le fruit d’un terrible secret. Entre Hyacinthe et Narcisse, notaires de profession et frères jumeaux, existent autant de différence qu’entre le jour et la nuit. Si l’un est sérieux et distingué, l’autre est un gai-luron dont la principale occupation réside dans la démonstration de ses talents culinaires. Séraphine, qui rêve de devenir un jour clerc de notaire et est secrètement amoureuse de Hyacinthe, s’avère plus qu’un saute-ruisseau diligent. Son passé de petit ramoneur en compagnie d’un père virtuel mais amant concret l’a rendue, malgré ses quatorze printemps, une gamine délurée, entreprenante, mature et débrouillarde. En arrière plan de cette galerie de portraits directement inspirés de Balzac et de Sue, l’officier de paix Parturon, guidé par la cupidité, la sensuelle marquise de Listerac, un couple composé d’un oncle et de son neveu que les mauvaises langues cataloguent comme un vieux birbe et son godelureau, un cocher qui apprécie les boissons alcoolisées, une camériste fantôme, et surtout Vidocq, ex-bagnard, ex-patron de la police, reconverti comme patron d’une papeterie. L’homme au fiacre est le premier volet prometteur de cette trilogie qui grâce à l’Atalante voit le jour alors que ces romans étaient dans un tiroir, commandés par une maison d’édition qui n’avait pas honoré son contrat. Souvent nous sommes obligés, lorsque nous avons aimé le début d’une saga, d’attendre quelques mois avant de retrouver les personnages qui nous ont fait rêver. Heureusement le délai de parution est assez proche pour que nous n’oubliions point ces quelques protagonistes, tout en n’ayant pas non plus un phénomène de rejet par saturation.

Nous retrouvons donc ces deux personnages dans une nouvelleroquebere4.jpg aventure, Le rat de la Conciergerie, à laquelle Séraphine, leur dévouée saute-ruisseau, prendra une part active et grâce à qui ils devront la résolution de l’enquête. Car ils se sont pris au jeu, les braves avoués, et même s’ils ressentent parfois les affres de la peur, celle-ci justement les titille assez pour qu’ils embrayent sur de nouvelles aventures.

Lamercie, leur ancien clerc, refuse de signer un testament. Il ne reconnaît pas la mourante dont il a eu à traiter les affaires quelques années auparavant. Il prévient immédiatement ses anciens patrons. Il n’aurait pas dû refuser d’apposer son paraphe au bas du document car peu après son cadavre est retrouvé en bas des escaliers de son logement. Apparemment un banal accident. Mais pour l’officier de police Parturon, qui ne néglige aucun moyen pour arrondir son bas de laine, cet accident est pour le moins bizarre, pour ne pas dire plus. Et voilà les deux frérots sur le pied de guerre, encouragés par Séraphine qui n’a ni froid aux yeux ni sa langue dans sa poche mais l’esprit d’initiative aiguisé. Même si cela n’a pas l’heur de plaire à Hyacinthe, le principal intéressé dans l’affaire. Le procureur Cerneau, surnommé le Rat de la Conciergerie, est un atrabilaire qui ne connaît qu’une seule raison d’être : la sienne, et n’écoute que ses décisions. Les frères Roquebère seront bien contents d’utiliser pour une fois leur ressemblance, à l’instigation de Séraphine qui malgré tout sait reconnaître Hyacinthe de Narcisse, puisqu’elle est amoureuse de l’un des jumeaux. Ce qui ne manque pas de plonger dans l’embarras le prude homme.

Arnaud joue avec les nerfs de ses personnages, et du lecteur par la même occasion, et tisse une toile digne des plus grands feuilletonistes du XIXème siècle, Balzac, dont il se réclame, en tête, usant de toutes les ficelles du genre et un peu plus. Mais il ne faudrait pas croire qu’Arnaud se contente d’utiliser ces ficelles pour envelopper le paquet. Et sous la barde gauloise, et l’emballage, se nichent quelques à-propos dont il a le secret. Car Arnaud n’est pas seulement un conteur, c’est également un homme de cœur. L’injustice le révolte, même si celle-ci est dénoncée de façon sous-jacente dans certains de ses romans. Il n’y a pas que ça pour le mettre hors de lui et lorsqu’il dénonce, il faut savoir lire entre les lignes. Il ne distille pas de petites phrases assassines mais enrobe dans le contexte, dans l’atmosphère, dans la trame même de ses romans ses dénonciations, ses colères. Mais passons au troisième volet de la trilogie avec La Congrégation des assassins.

Cette foiroquebere5.jpgs Narcisse et Hyacinthe Roquebère tombent sous le charme d’une jeune fille dont le père a disparu. En fait il est mort, “ assassiné ” non loin de Sens par des policiers appartenant à une fraction secrète de la Congrégation, les Chevaliers de la Foi. De plus, le brave, qui partait à Toulon présenter de nouvelles toiles pour les militaires embarquant combattre le Dey d’Alger. Comme si cela ne suffisait pas à ses malheurs, Pauline hérite d’une dette contractée par son père et s’élevant à plus de 800 000 francs, ce qui pour l’époque est une véritable fortune. La Congrégation, c’est une société occulte dont tout le monde a peur, même les policiers officiels. Elle s’érige comme le seule représentante des valeurs fondamentales, de celles d’avant les évènements de 1789, composée d’ultra qui prônent le retour d’une mystique où la chrétienté et la royauté vont main dans la main, le rétablissement de l’Inquisition et autres foutaises. Seulement ces foutaises provoquent des victimes. Et le père de Pauline n’est pas le seul à avoir été grugé, spolié, et assassiné. Hyacinthe et Narcisse Roquebère ne pourront que se féliciter de leur gémellité et du corollaire de ressemblance. Grâce à Séraphine, à sa débrouillardise et à ses connaissances de l’envers du décor de la capitale, ils se sortiront une fois de plus d’un mauvais pas. En plaçant son roman en 1830, alors que commence à souffler le vent de l’insurrection de Juillet, G.-J. Arnaud fait œuvre d’historien mais le lecteur ne peut s’empêcher d’établir des comparaisons avec, non pas une secte, mais bien un parti politique qui se veut le bastion et le garant des valeurs morales dites chrétiennes ou tout du moins catholiques. Même si pour cela il faut commettre des exactions qui sont condamnées par l’Eglise.

Le Prince des Ténèbres s’inscrit daroquebere6.jpgns un tournant dans l’Histoire. Charles X et le gouvernement Polignac sont de plus en plus impopulaires. L’insurrection gronde en ce 27 juillet 1830, première journée agitée de ce qui deviendra dans les manuels d’histoire “ Les Trois Glorieuses ”. Le Prince des Ténèbres, figure légendaire, en profite pour refaire son apparition, exhortant le peuple qui construit barricades et autres obstacles pour mieux enquiquiner la maréchaussée (l’histoire n’est qu’un éternel recommencement, rappelez-vous mai 68 !). Le Prince des Ténèbres sort de sa léthargie à chaque mouvement social pour encourager les débordements populaires légitimes (ils le sont toujours, selon le point de vue des revendicateurs, illégitimes du côté du gouvernement, mais cette pensée n’a rien à voir avec l’histoire, donc reprenons le cours habituel de cet exposé). Le Prince de Condé craint pour sa vie et désire quitter le navire c’est à dire la France. Mais pour cela il lui faut récupérer le nerf de la guerre, l’argent confié aux frères Roquebère, et surtout modifier son testament. Les deux sacs d’or qui représentent sa fortune placée chez les avoués sont volés au cours de leur transport entre l’étude et le domicile du prince. Quant au testament pas question de substituer ne serait-ce que la moindre virgule à ce qui est déjà consigné. Sa maîtresse, dans tous les sens du terme, anglaise, Sophie Dawes, perverse comme pas une, a décidé qu’il n’en changera pas un iota. Bon, d’accord, faut la comprendre, elle ne toucherait plus rien, la pauvre (je parle de l’argent, bien sûr !). N’empêche que les deux sacs d’or sont subtilisés , qu le convoyeur est assassiné, et que Séraphine est plongée dans une nouvelle aventure, entraînant avec elle ses deux patrons, maîtres pas encore mais cela ne la gênerait pas qu’ils le devinssent, tout au moins l’un d’eux, mais je m’égare. Dans un Paris révolutionnaire, déchiré, avec Louis-Philippe qui pointe le bout de sa tête, normal vu la forme qu’elle a, Arnaud évolue à son aise, et se pique au jeu puisque ce qui devait à l’origine n’être qu’une trilogie tourne gentiment à la saga.

Le voleur de roquebere7.jpgtête Il existe toutes sortes de jeux et de paris, mais aller narguer le bourreau et les forces de l’ordre afin de s’emparer de la tête d’un condamné à mort fraîchement guillotiné en place de Grève, s’agit-il vraiment d’un jeu ou d’un pari ? Un tour de force que vient de réaliser un adolescent. Casimir, jeune clerc employé dans l’étude des frères Roquebère croit reconnaître en ce voleur de butin pour le moins particulier, Séraphine, la saute-ruisseau. Séraphine se défend comme un beau diable, et Narcisse et Hyacinthe ont tendance à la croire.

Un coin du voile va enfin être levé sur la naissance de Séraphine, ce Gavroche avant la lettre, et non pas la traumatiser, mais au moins lui fournir quelques désillusions puisqu’elle saura enfin qui est sa mère. Un fort désappointement s’ensuit et elle aurait préféré peut-être ne jamais connaître ses origines qui lui pèsent désormais sur les épaules. La reconstitution historique est occultée, contrairement au précédent roman du cycle, mais ce sont la vie sociale et surtout le parler populaire de l’époque qui imprègnent la trame de ce volume. Une fois de plus Arnaud excelle à mettre en scène les personnages et à les insérer dans une histoire simple en apparence mais qui se révèle complexe, fouillée, travaillée, à l’image de ce qu’écrivaient ses maîtres en littérature.

La mort en guenilles n’est pas le prolongement du volume précédent mais Séraphine est de nouveau plongée dans son enfance, celle droquebere8.jpgont elle se souvient le mieux et dont elle n’a pas forcément honte, malgré certaines vicissitudes. La mère d’un petit ramoneur savoyard vient la trouver car son enfant ne lui a pas donné de nouvelles depuis de trop longues semaines. Séraphine accepte d’enquêter car non seulement elle même a exercé ce métier avant d’être recueillie par les frères Roquebère, mais cette mère éplorée quelque a connu lorsqu’elle vivait près de sa grand-mère dans cette province aux accès italiens et qui ne demande qu’à être rattachée à la France. Malgré les interdictions de leurs employeurs, des personnages le plus souvent sans scrupules, de petits ramoneurs travaillaient au noir. Ainsi Vincent Pergotti, le disparu, après son labeur, et malgré la fatigue physique ressentie, nettoyait les conduits de cheminées afin de pouvoir envoyer à sa mère quelques pièces d’argent qui il le savait étaient les bienvenues au foyer familial. Très rapidement Séraphine soupçonne une mendiante, la Joncaille, de ne pas être très claire dans cette affaire, d’autant que la mendigote ne se conduit pas comme la vieille femme dont elle voudrait endosser la défroque. Les frères Roquebère eux ont autre chose à faire que de s’occuper d’un petit Savoyard disparu, une jeune femme déplorant que son mari et d’autres membres de sa famille se soient évaporés dans la nature, partis aux Amériques à la conquête de l’or, via l’Angleterre. Mais les jumeaux ont bon cœur, et permettent à Séraphine d’enquêter sur son temps de travail et l’aident même à l’occasion. Or il semble bien que les deux affaires ont des points communs, par personnages interposés. Séraphine, curieuse dans le bon sens du terme, va faire la connaissance d’un vieux monsieur qui originaire de Châlons sur Saône ne se plaît guère à Paris, mais se trouve dans l’obligation matérielle de rester dans la capitale à cause de son invention et des subsides provenant de son associé, un certain Daguerre. Nicéphore Niepce, c’est le nom de cet inventeur, a mis au point une boîte noire qui permet de reproduire sur un support métallique des images. Le système est long à produire son effet mais il est persuadé, comme Séraphine, que cette invention devrait un jour devenir usage courant. D’autres aussi en sont convaincus puisqu’ils n’hésitent pas à utiliser cette technique pour obtenir des images obscènes vendues sous le manteau.

Avec La mort en guenilles, G.-J. Arnaud nous entraîne dans une nouvelle aventure dont Séraphine est l’héroïne incontestée. Elle prend une place de plus en plus importante dans l’étude des avoués, et dans le cœur des lecteurs, à défaut de celui de Hyacinthe qui batifole à son grand regret avec une cliente. Ce qui n’est guère déontologique. Ce roman mêle comme tout bon roman historique avec bonheur réalité et fiction, et dresse un portrait saisissant de l’inventeur de la photographie et en même temps de démontrer que toute invention destinée à œuvrer pour le Bien est aussitôt détournée pour alimenter son contraire. Il est également établi que les bases de données ont parfois leurs raisons d’être.

Ce qui ne devait être à l’origine qu’une trilogie, je me répète, devient sous la plume de maître Arnaud une formidable saga passionnante, tant par le point de vue historique que dans la mise en scène des personnages peu utilisés dans le domaine du roman noir ou qui évoluent parfois d’une manière subreptice, en second plan, mais qui deviendront plus tard des célébrités. Arnaud ne renoue pas avec le roman feuilleton, il le perpétue, le développe, lui assure une pérennité tout zen le préservant de débordements farfelus. Une série qui a sa place sur les rayons de votre bibliothèque en compagnie de Dumas, Féval, Zevacco ou encore Sue.

L’homme au fiacre, Le rat de la Conciergerie, La congrégation des assassins (tome 1. 480 pages, 21€). Le Prince des Ténèbres, Le voleur de tête et La mort en guenilles (tome 2. 576 pages, 23€) de Georges J. Arnaud aux éditions de l’Atalante. Collection Insomniaques & Ferroviaires.

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commentaires

P
Vraiment tentant , mais là impossible , budget dans le rouge...:(<br /> Dommage un peu cher..<br /> Bonne journée de récupération...
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O
<br /> <br /> Je comprend fort bien Patrick mais j'avais remis ceci car dans le premier roman l'histoire se passe aux environs de Noël. Pourtant les G.J. Arnaud, quelles belles heures de lectures et de détente<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />

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  • : Lectures de l'Oncle Paul
  • : Bienvenue dans la petite revue de la littérature populaire d'avant-hier et d'hier. Chroniques de livres, portraits et entretiens, descriptions de personnages et de collections, de quoi ravir tout amateur curieux de cette forme littéraire parfois délaissée, à tort. Ce tableau a été réalisé par mon ami Roland Sadaune, artiste peintre, romancier, nouvelliste et cinéphile averti. Un grand merci à lui !
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