Bienvenue dans la petite revue de la littérature populaire d'avant-hier et d'hier. Chroniques de livres, portraits et entretiens, descriptions de personnages et de collections, de quoi ravir tout amateur curieux de cette forme littéraire parfois délaissée, à tort. Ce tableau a été réalisé par mon ami Roland Sadaune, artiste peintre, romancier, nouvelliste et cinéphile averti. Un grand merci à lui !
Comme disait ma grand-mère : il existe des romans policiers ruraux fort urbains !
Il fait bon parfois se plonger ou se replonger dans une intrigue policière classique, retrouver le plaisir des énigmes savamment construites, afin de nous dépolluer les neurones des ambiances glauques des romans noirs qui ne traitent souvent que de mêmes thèmes déclinés avec violence.
Être invité par un mort est une situation peu banale, rare et déstabilisante. Et pourtant, c’est bien à ce genre de situation que Charles Khoems est confronté. Leur dernière relation épistolaire remonte à plus de sept ans et cela plus longtemps encore qu’ils ne se sont pas vus. Henri Maramont avait convié Charles à le rencontrer à la villa Mysosotis, impressionnante demeure de maître sise à Jaujac, Ardèche, afin d’obtenir son avis sur son dernier manuscrit, L’ENVERS DE DECOR.
Quand Charles Khoems sonne à la grille du manoir, il est reçu par Alexandre Maramont. Henri est décédé depuis une semaine. Aussitôt Khoems pense à un accident ou à une crise cardiaque. C’est beaucoup plus grave, comme s’il existait une échelle dans la gravité d’un décès. Henri a été assassiné.
Relatons les faits tels qu’ils sont parvenus au scripteur de cette chronique. Le soir du 12 juillet, à 22h33 exactement, la montre brisée du défunt faisant foi, Henri a été tué par une balle tirée de son propre revolver. En réalité deux coups de feu ont été tirés, la seconde balle ayant été retrouvée dans le haut du mur du bureau, au dessus de la fenêtre ouverte. L’orage grondait, condition climatique défavorable qui a occulté le bruit des déflagrations aux oreilles des occupants de la demeure. Le corps a été découvert le lendemain matin par Isabelle, l’employée de maison qui devait réveiller Henri, l’écrivain ayant un rendez-vous à Paris. Le mobile pourrait être un vol, un tableau de Gauguin ayant disparu. Seulement les enquêteurs sont perplexes et de fortes présomptions pèsent sur Béatrice, l’épouse du défunt et belle-sœur d’Alexandre.
Afin d’être le plus complet et objectif possible, il faut signaler les présences permanentes ou presque des différents protagonistes du récit. Vivent donc également au manoir, Mémère Augusta, la doyenne et octogénaire maîtresse des lieux, qui ne peut se déplacer qu’un fauteuil roulant, handicapée par un accident de cheval survenu trente ans auparavant. Véronique Albond, sa dame de compagnie, infirmière et lectrice ; Germain, homme toutes mains et époux d’Isabelle ; Lilian et Stéphanie, les enfants de Béatrice et Henri, Alexandre bien évidemment et Christian de Dabletache, le secrétaire d’Henri et authentique nobliau ruiné.
Charles Khoems est invité à rester quelques jours au domaine, et même engagé afin de résoudre l’énigme de ce meurtre, lorsqu’il révèle à Alexandre qu’il exerce la profession de détective privé. Charles Khoems, cela ne vous dit rien, pas même lorsqu’il allume sa pipe ?
Entre Béatrice et Henri, ce n’était plus les grandes amours depuis des années, d’ailleurs elle ne participe pas aux repas. Lilian et Stéphanie sont chacun des artistes. Lilian est un plasticien, peintre et sculpteur, et Stéphanie, qui lui sert de modèle, rêve d’être actrice. Henri et Alexandre collaboraient sous un pseudonyme commun pour l’écriture de romans de science-fiction, mais Henri continuait une carrière solo d’auteur de romans policiers et de pièces de théâtre. D’ailleurs Alexandre montre le manuscrit du dernier roman d’Henri, L’envers du décor. Bizarre, car dans sa missive, Henri avait indiqué L’envers de décor, en majuscule, à moins que ce ne soit qu’une faute de frappe. Les policiers sont représentés par le capitaine Eugène Gatto et son adjoint Jean-Paul Corniche, un personnage qui se montre très désagréable envers Charles Khoems, surtout lorsqu’il apprend sa profession de détective. Tout en fumant sa pipe, mais pas encombré d’une grosse loupe, Khoems commence ses recherches avec sérieux, sans à-priori, fouinant un peu partout, s’immisçant dans l’intimité des habitants. Mais il bénéficie d’une bonne table et fait honneurs aux mets qui lui sont servi, surtout aux différents vins qui proviennent d’une propriété sise dans le Bordelais et dont s’occupe Béatrice. Béatrice, toujours elle, point de focalisation de l’enquête. La veille au soir, Henri et elle avait partagé une bouteille de champagne, pour une petite fête intime, ce qui ne leur était pas arrivé depuis fort longtemps, et un tache de sang a été retrouvée au bas de la robe qu’elle portait pour l’occasion.
Ecrire un roman policier classique, avec une véritable enquête, une énigme à résoudre, n’est pas synonyme de détachement de l’auteur envers la réalité. Et cela ne l’empêche non plus d’exprimer sa vision sur le monde qui l’entoure. Ainsi, mais c’est un de ses personnages qui s’exprime, concernant les critiques littéraires : Monsieur Henri aimait à répéter qu’il fallait ignorer la critique parce que celle-ci, bonne ou mauvaise, n’avait jamais fait vendre un livre de plus ou de moins. Et il disait encore : « Soyons honnête ! On n’écrit jamais que pour son propre plaisir et, si possible, pour celui des autres ensuite ».
Madame Maramont mère, mémère Augusta pour les intimes, est une passionnée des livres, que lui lit volontiers la belle Véronique, livres qui se trouvent à profusion dans la demeure. Mais que dit-elle lorsqu’elle compare la lecture et la télévision ?
Comme disait Victor Hugo, un cerveau qui ne lit pas est un estomac qui ne mange pas ! De nos jours les gens lisent peu. Ils préfèrent regarder ce machin à balancer des programmes entiers de publicité entrecoupés de morceaux de films ou de bandes annonces. Une vraie calamité ! Tiens pourquoi ne passerait-on pas des réclames au beau milieu d’un discours du président de la république ?
L’humour subtil ne manque pas, j’aurais pu extraire un grand nombre de citations amusantes, de réflexions de bon sens, de petites phrases choc. Je me contenterai de celle-ci : Au restaurant, on vous demande systématiquement de quel côté vous désirez être placé : fumeur ou non fumeur ? C’est bien, mais on devrait demander également « côté braillard ou non braillard » ? Cela nous éviterait d’avoir à supporter de capricieux lardons qui n’arrêtent pas de geindre, de pleurnicher ou de crier, entre deux adultes du genre tête à claques à l’éducation plus que douteuse. Un peu plus loin : Mais le monde est ainsi fait : la moitié des gens semble prendre un malin plaisir à enquiquiner l’autre moitié qui doit, naturellement, se montrer tolérante.
Non, il n’y a pas que les auteurs de romans noirs qui ont quelque chose à dire ou à écrire !
Du même auteur lire : Par le rêve et la ronce; Le réveil des menhirs; Ys, le monde englouti; Qui veut tuer le roi Henri ?
Ainsi qu'un
portrait de l'auteur
Gabriel JAN : Meurtre à Jaujac. Une enquête de Charles Khoems. Editions E & R, La Bouquinerie. (2008 – 2012). 192 pages. 13€.