Bienvenue dans la petite revue de la littérature populaire d'avant-hier et d'hier. Chroniques de livres, portraits et entretiens, descriptions de personnages et de collections, de quoi ravir tout amateur curieux de cette forme littéraire parfois délaissée, à tort. Ce tableau a été réalisé par mon ami Roland Sadaune, artiste peintre, romancier, nouvelliste et cinéphile averti. Un grand merci à lui !
Sur les hauteurs de Nice, le feu s’en donne à cœur joie. C’est l’été, la canicule. Dans ces conditions, retrouver le corps calciné de Sophie serait presque un événement banal. Mais dans le petit immeuble de Lisianne, cet incident va jouer un rôle prépondérant. Au rez-de-chaussée, vit donc Lisianne, la propriétaire, une femme qui s’habitue mal à sa solitude et ne possède comme dérivatif que son piano, et l’observation de ses voisins. Pourtant elle est mariée avec Baudoin, un dermatologue qui prend de temps à autre des plages de remise en forme dans des cures thermales, et deux fils qui se sont éloignés d’elle après leurs études. Au premier étage, végète Magali, une obsessionnelle de la propreté. Elle traque la poussière comme si sa vie en dépendait. Une fée du logis déguisée en souris, une esclave de la serpillière, et que je te frotte, et que je t’astique, une idée fixe,. Au dessus, Jean-Robert et sa femme Angèle vivotent. Il était garagiste avec son frère Etienne mais son destin a basculé lorsqu’il s’est passionné pour la peinture. Mais qu’est-ce qui l’a poussé, alors qu’il se rendait à une exposition à Paris, à brûler ses toiles dans un champ ? D’autant que le retour de flammes lui a été préjudiciable physiquement. Une partie du visage grillée et depuis il s’empâte, grossit, mangeant comme un goinfre, buvant à longueur de jours de la bière, sortant le soir sans prévenir, laissant le chien pisser sur le paillasson du rez-de-chaussée. Une catastrophe. Il peint toujours, avec pour thème immuable le feu.
Comme d’un écran de fumée surgissent les figures de personnages morts ou vivants, marchant sur les épines de pin et dont le bruit est assourdi par le crissement des cigales. Françoise Laurent les sort de son stylo comme un prestidigitateur dévoile le lapin caché dans le chapeau. Un tour de passe-passe mais ces protagonistes s’imposent peu à peu dans l’esprit du lecteur jusqu’à en devenir une obsession. Pas de grands effets de manche, Françoise Laurent avance à pas feutrés dans son histoire avec la grâce et la légèreté d’une ballerine ou d’un fildefériste au dessus d’un foyer attisé par le mistral et dont les flammèches voltigent sans pour autant atteindre leur proie. Françoise Laurent possède l’art de l’ellipse entraînant son lecteur dans des chemins tortueux avant de le remettre dans la bonne voie, sur des pistes noires, rouges.
Françoise LAURENT : L’hiver continue au fond du magasin. Collection Forcément Noir. Editions Krakoen. 232 pages. 10€.