L’histoire de la Commune et l’art pictural font partie, entre autres, des centres d’intérêt de François Darnaudet et il s’en nourrit afin d’écrire des romans captivants qui ne sont pas sans rappeler les romans populaires d’auteurs célèbres, comme Féval (père ou fils), Zevaco ou encore Gaston Leroux. Un contexte historique, des scènes d’action hautes en couleurs, des personnages de fiction qui côtoient des hommes et des femmes ayant réellement existé, une histoire d’amour en filigrane et une intrigue policière qui la chevauche, ou le contraire, plus un léger soupçon de fantastique, tels sont les ingrédients utilisés pour construire Trois guerres pour Emma, tout comme il l’avait fait pour Le fantôme d’Orsay, Les Dieux de Cluny et Le papyrus de Venise, trois romans qui louvoient dans le même registre.
Deux ans avant la guerre de 1870 qui vit la défaite des troupes du Second Empire, deux personnages s’affrontent : Passe-Mur, ancien sergent de ville, ainsi surnommé pour sa faculté à disparaître dans la nuit sans laisser de traces et Gueule de Chien qui a combattu dans l’armée envoyée par Napoléon III au Mexique. Gueule de Chien s’attaque aux femmes seules, les tue puis les viole. Signe distinctif, il lui manque une oreille, souvenir d’un combat violent l’opposant à Passe-Mur. Depuis, Passe-Mur, dont tout le monde a oublié le nom, est entré dans la police secrète. Quant à Gueule de Chien il s’est évaporé dans la nature. Mais Passe-Mur ne s’est pas résolu à en rester là et continue ses recherches, bien décidé à avoir la peau de Gueule de Chien.
Septembre 1870, alors que Paris est cerné par les armées prussiennes, Jean-Baptiste Gallenne, jeune garde mobile breton, profite d’une permission pour visiter la capitale. Alors qu’il baguenaude, il aperçoit un attroupement. Un illuminé propose à ses concitoyens d’acheter des bagues prussiques, dont le chaton contient un poison mortel. Emma, jeune institutrice accompagnée de Joseph, un garde mobile, interpelle le camelot. Car elle sait très bien que les éventuels acheteurs pourraient se servir de cette arme insolite contre toute personne avec laquelle ils seraient en conflit. C’est ainsi que Jean-Baptiste fait la connaissance des deux amants. Emma lui offre de dormir dans sa classe, ce qui n’a guère l’heur de plaire à Joseph. Et il a raison, car entre Jean-Baptiste va s’établir une relation qui déborde celle de l’amitié. Les Prussiens resserrent leur étau et Paris connait la famine. Les Parisiens, du moins une grande partie, se révoltent contre les généraux et hommes politiques qui ont conduit la nation à la défaite. C’est le soulèvement populaire, les Communards bravant les Versaillais, Thiers étant à la tête de la répression qui s’ensuivra puis des exécutions sommaires et des déportations en Nouvelle-Calédonie.
Pendant ce temps Passe-Mur et Gueule de Chien continuent leur jeu de cache-cache. Les trois amis se trouvent dans le camp des perdants et seront séparés. Joseph et Jean-Baptiste se retrouveront quelques années plus tard sous les ordres du général Custer.
Si les personnages de Jean-Baptiste et Joseph sont éminemment sympathiques, et ont réellement vécus, c’est toutefois celui d’Emma qui retient l’attention. Elle incarne la figure de la femme libre sans être féministe. Elle porte des pantalons parce que c’est plus pratique pour courir, elle aime ses deux hommes, elle sait élever la voix quand il le faut, ne se laisse pas abattre par les propos injurieux des hommes, et des femmes, qui déblatèrent sur son compte, mène son existence comme bon lui semble. Elle se retrouve souvent à soutenir Louise Michel dans sa cause, et l’on remarquera que parmi tous ces protagonistes sont également évoqués Gustave Courbet, Victor Hugo, Jules Vallès et quelques autres dont Paul Verlaine qui prend une part active dans l’intrigue. Verlaine, gratte-papier dans un ministère s’essaie à la poésie et commence à se faire un nom. Marié à une très jeune femme, il n’est pas insensible au charme de… Joseph, et parle souvent de son ami La Rimbe, Arthur de son prénom.
Mais c’est surtout l’incurie des généraux que François Darnaudet s’attache à montrer, à démontrer, ainsi que celle d’hommes politiques qui pourtant seront reconduits à la tête de l’état. Un roman certes, mais surtout la description d’un épisode mal connu et controversé que les livres d’histoire réduisent à peau de chagrin, ne retenant de la Commune que les atrocités commises, mais sans entrer dans les détails, pourquoi et par qui. L’épopée américaine de nos deux héros masculins est un peu la cerise sur le gâteau, et démontre une fois de plus les erreurs tactiques militaires, et avouons-le, la couardise de certains gradés qui se défilent laissant leurs hommes à l’abandon ou donnant des ordres contradictoires. Un roman destiné à tous ceux qui s’intéressent à l’histoire et apprécient les grandes aventures romanesques.
Du même auteur, chez le même éditeur, lire : Projet Obis; Au chateau d'alcool; La lagune des mensonges; Le glaive de justice.
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François DARNAUDET : Trois guerres pour Emma. Editions Rivière Blanche. 240 pages. 17€.