Après avoir débuté sous la signature de Samuel Dharma, au Fleuve Noir, tu as repris ton nom de Thomas Bauduret, et depuis quelques années tu signes Patrick Eris. Pourquoi ces changements de pseudonymes ?
Je n’ai jamais signé de romans Thomas Bauduret, uniquement mon guide vidéo, qui risque bientôt de se retrouver sur le web. Dharma était un peu gag, donc après un long hiatus sans publier (mais pas écrire) j’ai voulu repartir à zéro. Il faut reconnaître que les romans signés Dharma étaient en général pas très bon… On m’a proposé d’en reprendre certains, mais j’ai dit non ! Et pour certains, avoir écrit au Fleuve est une sorte de péché originel. Dès le départ, je comptais écrire sous pseudo pour des raisons familiales. Ça m’a parfois desservi, mais tant pis ! Reprendre mon "vrai" nom à ce stade serait un brin ridicule !
Quel souvenir gardes-tu de ton passage au Fleuve Noir, et cela t’a-t-il apporté quelque chose ?
Ça m’a permis d’apprendre les galères inhérentes à l’édition… C’était aussi étrange, parce que c’était vraiment une impression de n’avoir aucun retour. Je ne sais s’il y avait déjà des festivals comme celui d’Epinal, mais le Fleuve ne faisait aucune promo, donc les lecteurs restaient virtuels, on avait l’impression d’écrire dans une bulle, sans contact avec l’extérieur, sans dédicaces. Cela dit, ça m’a empêché de mourir de faim !
Tu œuvres en littérature populaire mais plus spécifiquement en fantastique. Un goût naturel ou tu as trouvé ta voie en lisant, et éventuellement chez quels romanciers ?
Naturel dès le départ, et je suis fier de l’étiquette "roman populaire" ! Je suis fan de fantastique depuis toujours. Cela dit, c’est plutôt un genre de nouvelles. On peut citer des paquets de nouvelles marquante du genre, de Lovecraft à Jean Ray (voire Maupassant), et peu de romans. Contrairement au polar, plutôt un genre à romans. Donc, passer de l’un à l’autre ne me gêne pas. J’ai aussi un projet de roman historique, comme quoi… Et puis, le lectorat semble plus ouvert au mélange de genres aujourd’hui, ce qui me ravit. Sinon, j’ai toujours été un lecteur boulimique, et ça n’a pas changé. Je dirais que tout ce que je lis me sert, tout en sachant qu’on peut beaucoup apprendre d’un roman raté ou à moitié réussi. D’un autre côté, je donnerais beaucoup pour avoir le don des intrigues du Brussolo des grands jours alors qu’on ne peut vraiment dire que ce soit une "influence" ! De même, le cinéma, la musique que j’écoute, tout peut resservir. Dans un de mes romans, j’ai même un clin d’œil au jeu "Silent hill" !
Tu es également traducteur, sous ton nom de Thomas Bauduret. Un choix alimentaire ou le plaisir de faire découvrir autre chose ? Par exemple est-ce toi qui propose les manuscrits aux éditeurs ?
Les deux, puisque maintenant, il est illusoire de vouloir vivre de sa plume. Je me verrais vraiment mal arrêter la traduction, que je considère comme mon métier ! Sinon, oui, il m’est arrivé de proposer des textes, comme le génial "Stone baby" de Joolz Denby, ou Graham Joyce, que j’avais présenté au regretté Patrice Duvic à l’époque de la collection "Terreur". A vrai dire, on m’a proposé bien des fois de prendre des directions de collection, et ça a toujours fini par capoter pour une raison ou pour une autre, et comme je me fiche pas mal d’avoir mon nom sur la porte d’un bureau — ou un bureau, d’ailleurs — c’eut été un bon moyen de faire de la prospection. Cela dit, j’ai été lecteur pendant des années pour diverses maisons d’éditions, donc c’est un prolongement naturel. Si je conseille un titre et qu’on me laisse le traduire, je suis content. Quoique, j’ai aussi recommandé des manuscrits d’auteurs français juste parce qu’ils me semblaient dignes d’être publié. Tant que je peux faire en sorte que de bons romans trouvent les bonnes personnes, ça me va !
En parlant de traduction, tu rédiges actuellement des romans dans la série Blade. Et comme la plupart de ces séries américaines, aujourd’hui ce sont des inédits français mais l’éditeur préfère mettre traduit et adapté par… Crois-tu que le public est naïf au point de croire cette annonce ?
Dès que je suis revenu aux Blade, j’ai demandé si on maintenait cette fiction, et on m’a répondu que non, ce qui me permet de signer Patrick Eris et d’avoir parfois ces romans en dédicace, plus aussi de toucher certains sites qui suivent mon travail. Et comme nous avons mis sur place un Facebook avec l’autre auteur, mon collègue Arnaud Dalrune, et le nouvel illustrateur Nemo Sandman, on ne cherche plus à tromper qui que ce soit ! D’ailleurs, maintenant, il y a une synergie très agréable entre nous trois : il arrive que je m’inspire carrément des superbes couvertures de Nemo, et la série y prend une continuité d’un épisode à l’autre qu’elle avait perdu. Et je pense que la qualité s’en ressent également, c’est intéressant de s’approprier un personnage comme Blade tout en restant dans la continuité de la série : dans mon idée, c’est plus un survivant qu’un bourrin et un diplomate cherchant autant que possible à éviter le pire. De même, c’est des romans que je cherche à écrire le plus vite possible pour garder une tension, un sentiment d’urgence, de rythme. Au passage, nous avons eu quelques surprises, comme de découvrir qu’un des premiers auteurs de Blade, Ray Nelson, est le scénariste de "Invasion Los Angeles" de Carpenter et que le papa de Blade, celui qui eut l’idée d’un homme voyageant d’un monde à l’autre par le biais d’un ordinateur, venait d’un auteur légèrement connu, un certain Philip K. Dick… Qui malheureusement, n’en a pas écrit ! Je comprends que certains auteurs n’aiment pas travailler sur des univers mis en place, mais moi, cela m’éclate. Comme me disait Christopher Golden, qui a écrit pas mal de romans dérivés en univers partagés, c’est comme lorsque gamin, on donnait à ses soldats jouets l’identité de ses héros préférés et leur inventait des aventures ! Par exemple, j’ai traduit récemment un roman de la série "Predator" d’après les films, j’adorerais en écrire !
Pour cette série, comme pour le Poulpe, mais dans ce cas il s’agit de ce que l’on appelle un nom maison, les différents auteurs étant plus ou moins masqués, y a t’il un cahier des charges ?
Pas pour Blade. Par conscience professionnelle, j’ai dû me plonger dans le travail des petits camarades pour voir ce qu’il fallait faire ou ne pas faire. Par contre, pour Le Poulpe, il y avait sinon un cahier des charges, du moins ce qu’on appelle une "bible" parfaite : juste assez de détails pour ne pas se tromper et avec pas mal de libertés. En fait, Jean-Bernard Pouy m’a dit après avoir lu le manuscrit qu’il aimait le fait qu’encore une fois, je me sois approprié le personnage pour l’envoyer dans un univers très "gothique" qui m’est personnel !
Je reviens au travail de traducteur : il te faut combien de temps pour traduire un ouvrage (évidemment en fonction du nombre de pages) ?
Difficile à dire, cela dépend de la longueur, mais aussi de la difficulté. Cela dit, ayant travaillé sur des novelizations où les délais sont du genre quinze jours, j’ai appris à travailler vite ! Disons qu’un roman comme "Stone Baby", qui n’était pas vraiment facile, m’a pris dans les trois mois ; les Pendragon que je traduis pour Le Rocher, beaucoup plus épais, dans les six mois. Sachant que j’y intercale les bandes dessinées Warner que je traduis pour Panini ! Là, c’est de la presse, les délais sont plutôt du genre "pour avant-hier" et je m’y tiens, ce qui est également une bonne école. J’ai aussi traduit des novélisations, et là, les délais sont cadrés au jour près pour coller aux sorties des films. Sinon, un rythme raisonnable peut être de vingt feuillets dactylographiés par jour.
N’est-ce pas parfois un travail frustrant en te disant personnellement je n’aurais pas écrit ça comme ça, ou tiens cela me donne une idée ? Restes-tu fidèle au texte et dans ce cas ce n’est pas forcément bon, ou seulement à l’idée d’ensemble et tu as latitude pour édulcorer ?
Heureusement, j’ai rarement eu à traduire de mauvais bouquins ! Une fois seulement en fait, la résolution était particulièrement nulle (du genre le criminel diabolique et tout qui se fait prendre par une erreur de débutant !) Cela dit, mon travail n’est pas de me substituer à l’auteur. Je relis beaucoup, et le stade final est justement de trouver de la texture au texte, de réfléchir au ton que voulait prendre l’auteur et de tenter de le retranscrire. Comme tous les traducteurs, ils m’est arrivé de corriger des erreurs de continuité qui prouvent que les éditeurs Anglo-Saxons dont on nous rebat les oreilles pourraient parfois se payer des relecteurs… Mais comme il paraît qu’ils font tout tellement plus mieux que tout le monde tant qu’on corrige leurs erreurs…
Tu es depuis peu coéditeur. Un travail qui demande du temps mais également peut-être te trouves tu en porte à faux : les relations que tu as avec tes “ auteurs ” sont-elles en contradiction avec tes relations d’auteur avec des éditeurs ?
Malpertuis est plutôt de la micro-édition, ce n’est jamais que du fanzinat glorifié. Pour l’instant, je n’ai vu ni problèmes, ni contradictions. En plus, on sait que je fais de mon mieux pour faire un travail correct et que je ne fais pas de coups fourrés aux auteurs, donc… De plus, je n’ai malheureusement pas d’éditeur "permanent", alors. On verra si cela change !
Tu es passionné de cinéma. As-tu déjà écrit des scénarii ?
Oui, des traitements, des synopsis… J’ai deux projets assez avancés avec le cinéaste Nemo Sandman, chacun tiré d’un de mes romans, "La première mort" et un inédit que j’espère mettre en téléchargement gratuit. Cela change agréablement de faire partie d’une équipe, du moins lorsqu’elle est bonne et que les idées fusent. J’adorerais faire partie d’un "pool" créatif comme ça se fait maintenant. Enfin, ça dépend avec qui ! Mais ce n’est pas un aboutissement pour moi. Ce qui me choque un brin, et je l’ai vu lors des "Seigneurs des Anneaux", on dirait qu’être adapté au cinéma est le Saint Graal pour un roman…
Quels sont tes projets ?
Houlà ! Sortant d’une période assez dure, c’est un peu la boulimie de projets, puisque j’ai retrouvé la pèche ! En écriture : un thriller fantastique un peu dans la continuité de "L’autobus de minuit" sans en être la suite, toujours sur le thème du Paris mystérieux, un éditeur est intéressé, mais rien de définitif. Un roman jeunesse dont je vais bientôt commencer la documentation. Entamer une série de fantasy en collaboration avec Nemo, puisque je prends goût à l’écriture à quatre mains. Comme les Blade m’ont remis le pied à l’étrier de l’écriture, je compte bien en profiter. Sinon, la première antho annuelle Malpertuis ne devrait pas tarder, le sommaire définitif est fait. Mettre mon guide vidéo sur le web, ce qui pourrait se faire assez vite. J’ai aussi à écrire les paroles du second album d’Evolvent, un groupe composé d’amis, et je risque moi-même de passer en studio cette automne avec d’autres amis qui m’ont débauché ! Et bien d’autres choses, c’est un peu une période charnière en ce moment et il faut voir ce qui va en déboucher, surtout que, comme je l’ai dit, je suis un boulimique de travail. Dans ce métier, tout peut basculer très vite, pour le meilleur ou pour le pire… et parfois les deux !