Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
31 août 2012 5 31 /08 /août /2012 07:51

geneve.jpg

Réaliser un entretien par mail interposé n’a pas la spontanéité de la présentation d’un auteur sur une estrade face à un public, et le modérateur n’est pas sûr de poser les bonnes questions, dans un cas comme dans l’autre. Devant une assemblée au moins a-t-il la possibilité d’interrompre son invité (comme les journalistes qui ne s’en privent pas, se moquant totalement des réponses de leurs invités, ne pensant qu’à se hausser du col et devenir la vedette à la place de celui qu’ils questionnent), de rendre vivants les échanges, de rebondir en attrapant la balle au bond comme au ping-pong. Ici tout est soupesé, ou presque, moins les questions que les. Celui qui est sur la sellette a la possibilité de peser ses mots, et l’intervieweur est confiné dans son rôle, laisser la parole à celui qui est en face de lui par écran et claviers interposés.

 

Pourriez-vous nous donner une biographie (la solution de facilité serait de piocher dans le Dilipo de Claude Mesplède, mais je préférerais une approche personnelle)

La meilleure bio figure dans le « Dictionnaire des écrivains français par eux-mPrise-geneve.JPGêmes » de Jérôme Garcin (Fayard), mais elle s'arrête en 2004.

Je suis né à Mulhouse en 1945, sous le nom de Jean-Marie Geng. Après mes études universitaires (maîtrise de philo, doctorat de socio), j'ai enseigné la sociologie à Strasbourg pendant une dizaine d'années et publié à cette époque 4 essais, tous polémiques, dont le plus connu est « Mauvaises pensées d'un travailleur social » (Seuil, coll. Points). Barthes, Bourdieu et Derrida ont salué ces essais. En 1980, suite à une grave crise personnelle, j'ai démissionné, quitté Strasbourg et pris la décision de me consacrer à la littérature. J'ai choisi comme nom d'auteur Max Genève et m'en suis expliqué dans un court récit, « La Prise de Genève » (Zulma), publié en même temps qu'un recueil de nouvelles fantastiques « Notre peur de chaque jour » chez Bourgois. Mon premier roman est paru l'année suivante, en 1981, chez Stock. Suivront neuf autres romans, chez Stock, Barrault, Flammarion et Zulma.

J'avais donc publié dix romans, de la littérature « blanche » donc, quand est sorti, en 1995, le premier Simon Rose, « Autopsie d'un biographe », chez Zulma. Par la suite, jusqu'en 2001, j'ai alterné les Simon Rose et d'autres romans, dont « Ramon » en 1998 que certains critiques tiennent pour mon meilleur livre. Cela a quelque peu désarçonné mes commentateurs, mais voyez un auteur comme Manuel Vasquez Montalban : son Pepe Carvalho est un peu mon Simon Rose.

 

Pour moi votre véritable entrée comme romancier est liée à la création de Simon Rose, détective. N’est-ce pas un peu réducteur ?

tigresses.jpgC'est en effet très réducteur. Après vingt-deux romans publiés, dont seulement six Simon Rose (qui sont plus des romans de détective que des polars proprement dit), je me considère d'abord comme un romancier tout court, passionné par toutes les formes du roman, y compris les populaires. Il est vrai que « Le Salon » (1986), bien avant les Simon Rose, était déjà une sorte de polar métaphysique. Il est donc plus juste de distinguer dans mon travail plusieurs veines : fantastique (comme « Ordo », « Le Défunt libertin », « Ramon », « L'Ingénieur du silence »), musicale (« Le compositeur », « Le Château de Béla Bartok », « Le Violoniste », « Mozart, c'est moi »), érotique (« La Nuit sera chienne », « Chair ») et policière.

 

Comment est né Simon Rose ?

teaAu début des années quatre-vingt dix, alors que j'avais écrit pour la télévision (France 2), à la demande de René Belletto et Françoise Verny, deux scénarios pour la série Le Lyonnais (« Le massacre de la Saint-Thomas » et « Sanguine »), qui ont été tournés, notamment par Paul Vecchiali, et diffusés plusieurs fois, j'ai été pris d'une furieuse envie d'égorger mes éditeurs, Laure Leroy et Serge Safran qui venaient de fonder Zulma, maison qui a publié onze de mes livres, avec des succès. Ils m'ont conseillé, pas fous, de transformer cette pulsion en polars.

Simon Rose m'a d'abord longtemps occupé l'esprit avant de prendre forme. Je le voulais malin, enquêteur à ses heures (pas trop n'en faut), assez désinvolte, joli garçon aimant séduire, et pas en odeur de sainteté chez les flics.

 

Ce personnage vous a suivi quelles que soient les maisons d’éditions que vous avez fréquentées. Gallimard, Zulma, La Nuée bleue et maintenant Anabet. Ces différents déménagements l’ont-ils perturbé ?noir goncourt

Pas le moins du monde. Simon Rose a poursuivi dans ma tête une carrière totalement indépendante de ses aléas éditoriaux. Trois de ses enquêtes ont paru chez Zulma, deux autres sont des commandes, l'une de Patrick Raynal pour la Série Noire, l'autre de Bernard Reumaux, patron de la Nuée bleue. Enfin, la plus récente, « Noir Goncourt » est une ultime tentative de montrer ce qu'est devenue la littérature aujourd'hui : une assez innommable porcherie.

 

Avez-vous été obligé de vous soumettre à lui et s'est-il imposé partout où il passait ?

Naturellement, un vrai romancier se soumet toujours à son personnage, s'il veut lui donner vie. Simon Rose n'a pas toujours été bien compris. On l'a trouvé paresseux, obsédé sexuel (il ne l'est guère plus que tout homme en bonne santé et dans la force de l'âge) et j'en passe. On lui a cherché des ancêtres, comme l'excellent Nestor Burma. C'est un parrainage que j'accepte volontiers.

 

Parallèlement vous publiez chez J.P. Bayol un recueil de nouvelles, un genre que vous avez abordé avec parcimonie (je ne connais qu’une nouvelle qui a fait partie du recueil collectif « Les treize morts d’Albert Ayler » dans la Série noire, et que vous reprenez dans « La Cathédrale disparue »).

ayler13.jpgJ'ai écrit au moins soixante nouvelles, la plupart parues en revue ou dans des journaux (comme Le Monde ou les NDA). C'est vrai, « La Cathédrale disparue » n'est que mon troisième recueil. Le premier livre signé Genève était déjà un recueil de nouvelles (chez Bourgois, en 1980). Zulma a édité en 2003 « Mes vies américaines », six nouvelles écrites à la suite de plusieurs voyages aux Etats-Unis. Les « Treize morts d'Albert Ayler » était, en effet, une commande de Patrick Raynal, que j'avais rencontré par le biais de mon ami, le poète et romancier Jean-Claude Charles, récemment disparu.

 

Votre rapport avec le jazz ?

J'aime toutes sortes de jazz, surtout Miles Davis et Coltrane, avec une préférence pour le free. Mais mes goûts en matière de musique se portent avant tout sur la musique classique, de Monteverdi à Bartok, de Guillaume Dufay à Dutilleux.

 

Après les questions « bateaux » passons au vif du sujet.

Vous êtes un homme discret, calme, pondéré, du moins c’est ce que j’ai ressenti lors de nos brèves rencontres. L'écriture vous permet-elle de pousser vos coups de gueule, de vous défouler ?

Si l'écriture n'était qu'une occasion de libérer des rages refoulées, elle ne prêterait pas à conséquence. Pris dans le fil d'une narration serrée, on peut épouser la colère de tel ou tel personnage, et dans le monde où nous vivons, chacun connaît des moments où la pression sociale est si forte qu'une explosion est possible. Bref, je ne crois pas que l'écriture doive servir à exhaler ses humeurs, mais qu'une sainte rage peut aider à bien écrire.

 

Les éditeurs détestent se faire avoir, prérogative dont ils entendent conserver le privilège exclusif, écriviez-vous dans Autopsie d’un biographe. Dans Noir Goncourt, vous allez beaucoup plus loin dans cette diatribe enrobée d’ironie grinçante. Avez-vous du ressentiment envers certaines maisons d’éditions ?

J'ai une oautopsieriginalité absolue parmi mes confrères écrivains : j'ai participé au lancement de plusieurs maisons d'édition. En 1984, l'un de mes amis, alors en cheville avec Grasset et qui voulait m'y introduire, a fait lire à François Nourissier le manuscrit du « Dernier misogyne ». Nourissier s'est dit enthousiaste, prêt à soutenir mon roman au-delà de sa parution (on sait ce que cela signifiait : à l'époque Nourissier était LE prescripteur par excellence, tant par son audience comme critique que par son influence au Goncourt). La porte m'était grande ouverte, j'ai préféré suivre mes éditeurs Bernard Barrault et Betty Mialet qui, quittant Stock, créaient les éditions Barrault. Tout s'est bien passé avec eux jusqu'au moment où j'ai commis le crime de signer avec un agent littéraire, François Samuelson.

(J'ai toujours pensé, je le pense encore, que les auteurs français, je parle des professionnels, souffrent de ne pas avoir d'agent, l'édition française mène un combat d'arrière-garde contre cette utile corporation. L'une des conséquences de l'absence de ces agents est la faiblesse notoire de la littérature française à l'étranger).

Donc brouille avec Barrault, qui d'ailleurs ferma sa maison quand à son tour Philippe Djian signa avec le même Samuelson pour passer à l'ennemi (Gallimard).

Qu'à cela ne tienne, après un bref, mais fructueux passage chez Flammarion (à l'invitation de Françoise Verny), j'ai contribué à lancer les éditions Zulma dirigées par Laure Leroy et Serge Safran. Je leur ai confié un petit érotique (« La nuit sera chienne », 1992) qui eut du succès, surtout en poche (Pocket) où il a été réédité plusieurs fois et continue de se vendre. Parti de rien, Zulma s'est imposé comme un éditeur qui compte. Nous avons fait équipe de longues années et pour onze livres (notamment trois Simon Rose) avec des fortunes diverses jusqu'à ce que Laure Leroy eut la curieuse idée de restreindre l'essentiel de sa production française à un seul auteur, lequel se trouve être celui qui partage sa vie. Ce dernier, apparemment, supporte mal la présence de confrères qui pourraient lui faire de l'ombre. En tout cas, exit Genève. La chose est assez drôle, mais je me suis senti floué.

Cela étant, j'aime m'associer à des gens audacieux prêts à tenter l'aventure éditoricathedrale.jpgale - le charme des commencements sans doute. Vous verrez, Jean-Paul Bayol (avec sa collection « L'esprit de l'escalier » animée par Félicie Dubois) comme les éditions Anabet de Nathalie Guiot et David d'Equainville sont des noms qui vont s'imposer. De toute façon, pour « le franc-tireur des lettres françaises » que je suis - je cite un critique -, les grandes maisons me sont aujourd'hui fermées. Un lecteur de Gallimard me disait : tu pourrais leur apporter une « Lolita » et un « Au-dessous du volcan » réunis dans un même manuscrit, Antoine refuserait même de l'ouvrir.

 

C’était une envie, un besoin viscéral d’écrire Noir Goncourt, ou un amusement visant à dénoncer les agissements de deux ou trois maisons d’éditions tenant le haut du pavé germanopratin ?

D'abord l'envie de revenir à Simon Rose, je me sens en pleine confiance avec lui, je le connais si bien. Surtout une volonté réitérée de placer les maîtres du champ littéraire devant leurs contradictions. Il n'est pas acceptable que des écrivains qui gagnent leur vie chez des éditeurs en refusant les manuscrits de leurs confrères se fassent éditer par ces mêmes éditeurs. Je ne suis pas le premier à dénoncer ce système : Gracq, Debray et quelques autres l'ont fait avant moi, sans jamais parvenir à l'amender.

 

Croyez vous que le monde littéraire est une pomme creuse, vidée par les vers ?

C'est vous qui le dites, cher Paul Maugendre. Je ne vous donnerai pas tort.

 

Croyez-vous en vos chances d’être nominé pour un prix littéraire ?

M'en fous. Quand parut mon premier roman (« Ma nuit avec Miss Monde », Stock, 1981), j'ai exigé de Betty Mialet qu'elle n'envoie aucun service de presse aux gens des prix. C'était naïf, mais sans équivoque. Par la suite je n'ai jamais rien écrit, durant ma déjà longue carrière, dans l'intention de séduire quelque jury que ce soit. J'ai eu des prix, quelques-uns gentiment dotés, j'ai dit merci, improvisé le petit discours d'usage, pris le chèque et basta.

 

Avez-vous reçu de la part de vos confrères des critiques laudatives ou acerbes ?

On me félicite, on admire mon culot tout en pensant : « Qu'est-ce qu'il va se prendre comme raclée, le pauvre ! » Non, même pas. Le milieu préfère exécuter par le silence ou la censure. Je figure dans les listes noires de plusieurs quotidiens. A propos du Monde, j'ai pourtant été l'un des premiers à m'indigner que ce journal ait eu pendant des années un chien de garde de l'idéologie libérale à la tête du conseil de surveillance.

 

Et de la part de chroniqueurs littéraires professionnels ou amateurs ?

Jeune auteur, Barthes, Bourdieu, Derrida (devenu par la suite un ami proche) m'ont vivement encouragé. Aujourd'hui comme hier, de nombreux critiques ont salué mon travail. Je pense à Jérôme Garcin, André Clavel, Antoine Wicker, Jacques Lindecker, Dominique Bona, André Rollin, Claire Paulhan, François Cérésa, Laure Adler, Danièle Brison, Claude le Nocher, Antoine Spire, le regretté Jean-Pierre Enard, Bernard Quiriny et quelques autres, dont Bernard Pivot n'est pas le moindre.

 

Simon Rose est un détective qui sort des sentiers battus. Il est loin de l’image que l’on se fait de ce genre de personnage, souvent décrit comme un dur-à-cuire. Envie de vous démarquer d’un système américain qui a fait ses preuves ?

Que certains auteurs français de romans noirs fassent en moins bien ce que les Américains ont si bien fait pendant des décennies me laisse perplexe. Simon Rose, lui, est certes un Européen convaincu, mieux, un citoyen du monde. Très Parisien aussi, même s'il se déplace beaucoup pour mener ses enquêtes.

 

Vous êtes un écrivain éclectique (ça sonne mieux que touche à tout) et parmi votre production littéraire, le roman policier ne représente qu’une part infime. D’où vient ce besoin de toucher à tous les genres ? Et pour vous le roman policier est-il plus exigeant ou travaillez-vous de la même façon quelle que soit la rédaction de l’ouvrage entrepris ?

autopsie.jpgPas infime, non : mon Simon Rose, existe aussi en nouvelles (parues ici et là, en revue ou recueil collectif, elles n'ont pas encore été réunies en un seul ouvrage, cela viendra). Au total, cela représente un bon quart de ce que j'ai écrit.

J'aime la littérature la plus haute, de Rilke à Musil et Blanchot, par ex., mais aussi la populaire. Comme lecteur, j'aime lire en dehors des clous. Les best-sellers me séduisent rarement, mais je sais qu'un livre qui obtient un grand succès peut, parfois, être aussi un grand livre. Simenon, Highsmith, Le Carré sont des maîtres, ils ont pourtant vendu beaucoup de livres.

Le plaisir que je prends à pratiquer tous les genres, ou presque, est peut-être une conséquence de ma boulimie de lectures. Pour tout dire, je crois être plus électrique qu'éclectique. Il y a dans tout ce que je fais une nécessité qui n'apparaît peut-être pas au premier coup d'œil, messieurs-dames, mais qui existe bel et bien.

Bref, j'ai la même exigence pour tout ce que j'écris. Le polar, comme genre, est plus contraignant, donc un peu plus facile. Quand je me lance dans un livre, c'est toujours sans réserve, à la vie à la mort. J'ai mis trente ans pour comprendre que pour écrire une bonne histoire et se laisser porter par elle, il faut savoir renouer avec la bêtise et ce n'est pas simple.

 

Vous pouvez éventuellement, mais c'est fortement conseillé de lire ma chronique sur Noir Goncourt 

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Lectures de l'Oncle Paul
  • : Bienvenue dans la petite revue de la littérature populaire d'avant-hier et d'hier. Chroniques de livres, portraits et entretiens, descriptions de personnages et de collections, de quoi ravir tout amateur curieux de cette forme littéraire parfois délaissée, à tort. Ce tableau a été réalisé par mon ami Roland Sadaune, artiste peintre, romancier, nouvelliste et cinéphile averti. Un grand merci à lui !
  • Contact

Recherche

Sites et bons coins remarquables