Il soumit la presse à ses bottes.
Sa mère, née Juliette Hugo, aurait pu lui laisser en héritage le goût de la poésie. Son père Victor, celui des grands espaces marins, lui qui fut capitaine au long cours avant de finir comme pilote sur la Seine entre Rouen et Le Havre. Né le 31 janvier 1920, Robert Hersant, en homme pressé possède plutôt l'âme d'un compresseur. Bien plus qu'Emile de Girardin, considéré comme le père de la presse moderne, Robert Hersant aura laissé son empreinte sur la presse. Comme une herse qui pulvérise les mottes de terre et aplanit la terre, la rendant meuble et friable, il a broyé sur son passage les titres des journaux qu'il s'est approprié, les achetant en leur mettant le couteau sous la gorge, les soumettant à sa poigne de fer, les affadissant, ou pour employer une métaphore largement utilisée actuellement, en procédant au copier-coller.
A dix huit ans, Robert Hersant écrit quelques chroniques dans un journal local, 'L'Eveil Normand", où son style insolent indispose lecteurs et annonceurs. Alors il crée son propre journal, "Rouen Cocktail", avec notamment André Boussemart, un condisciple qui ne le quittera plus jamais. L'expérience tourne court et comme Rouen n'est guère accueillante pour les "Horsains" (personnes considérées comme étrangères au département ou au village) Robert Hersant décide de monter à Paris. L'ambition le tenaille et après avoir été membre des Jeunesses socialistes, il se tourne vers l'ultranationalisme, s'enrôlant dans les Gardes françaises, devenant le chef du Jeune Front, d'obédience nazie, à vingt ans.
Le 20 août 1940 il participe à une manifestation qui dégénère en violences antijuives. Evincé du Jeune Front il se tourne vers le gouvernement pétainiste. C'est à cette époque qu'il fait la connaissance de Jean Marie Balestre avec qui il crée l'Auto-Journal lancé le 15 janvier 1950. Après des années d'occupation tumultueuses dont il sort à moitié blanchi, l'ambition le dévore toujours. L'Auto-Journal marche bien, mais la politique le tente. En rachetant La Semaine de l'Oise, un hebdomadaire qui périclite et dont il change le titre en Oise Matin ainsi que sa périodicité, il prépare son tremplin électoral. Les articles élogieux abondent dans son journal propagandiste. Il est élu maire, conseiller général puis député apparenté Radical. A l'Assemblée Nationale il reçoit un camouflet de la part d'un de ses adversaires de droite. Tombé de son piédestal Robert Hersant ne saura que mieux rebondir pour devenir ce cannibale (surnommé le Papyvore, et par le Canard Enchainé Herr Sant) qui s'accapara journaux provinciaux et parisiens jusqu'à plus soif. En 1984, la majorité de gauche tente de faire adopter une loi restreignant la concentration dans la presse, afin de contraindre Robert Hersant à vendre une partie de son empire. Mais cette loi, largement vidée de sa substance par le Conseil constitutionnel, est abrogée après le retour de la droite au pouvoir, en 1986.
Il décède le 21 avril 1996, à Neuilly sur Seine.
Le seul mérite de ce document de 500 pages, dû à deux anciens journalistes de Paris-Normandie qui ont travaillé sous la férule du maître, ne réside pas dans la biographie d'un homme provocateur, frondeur et secret. Au détour des pages le lecteur retrouve, ou découvre, le Paris de l'Occupation, les années d'après-guerre, les révélations de l'Auto-Journal qui firent grand bruit à l'époque (dont la parution des plans, pourtant soigneusement gardés au secret, de la DS) de l'achat à Marcel Dassault de Semaine de France, pour 1 franc symbolique, un magazine qu'il revendra plus tard au même Marcel Dassault pour trois fois sa valeur, jusqu'à sa tentative de prolonger son empire par d'autres moyens de communication et son échec avec la Cinq. C'est l'ascension également de quelques futurs ténors de la scène politique, dont Charles Hernu, alors le plus jeune député de France, François Mitterrand que certaines mauvaises langues appelaient Francisque Mitterrand, ou économique comme Jean Marie Balestre, et bien d'autres qui surent recouvrer une virginité de bon aloi.
Philippe Huet a décrit de façon fort réaliste la manière de procéder de Robert Hersant lors du rachat de journaux de province, de leur fusion, et a mis en scène quelques uns des personnages gravitant autour du boulimique, dans notamment Quai de l'oubli et La nuit des docks, ses premiers romans policiers parus chez Albin Michel, et que l’on retrouve dans Nuit d’encre, son dernier titre paru.
Elizabeth COQUART et Philippe HUET : Le monde selon Hersant. Editions Ramsay. 504 pages. (1997).