Quai du départ ou de l'arrivée ?
Avec les trois mini-romans composant ce recueil, Dominique Rocher nous démontre l'étendue de sa palette empruntant à la psychologie et au fantastique, dans des histoires qui sortent de son registre habituel auquel elle nous avait habitué depuis quelques romans mettant en scène Olga Vincent, infirmière, dite la Rouquine. Il s'agissait principalement de romans policiers mais Dominique Rocher renoue avec le genre qui l'avait fait connaître alors qu'auteure au Fleuve Noir, elle était édité principalement dans la collection Angoisse.
Quai des âmes nous plonge dans l'univers feutré, flou, d'un hôpital psychiatrique accueillant des femmes, jeunes et vieilles, pour un séjour qui peut s'avérer plus ou moins court.
En attente d'une possible délivrance, sortie ou autre, Violette, Sœur Marie-Josèphe, Mademoiselle Bonneau, Alice, Hélène et quelques femmes dont Laurence dite la Muette, la narratrice, végètent dans le Service libre, séparé par une haute grille du Service fermé. Mais libre ou fermé, c'est quasiment du pareil au même. Le docteur règne sur ce territoire et ses patientes échangent entre elles confidences et espoir, entre deux rangs de tricot, quelques notes de piano. La Valse de l'Adieu de Chopin, joué par Violette, constitue une incitation au départ mais également un regret. Et quel départ? Et pourtant il s'en passe des choses, même si elles semblent insignifiantes. Et comme l'affirme Hélène, un trou dans le vide ça ne fait pas de dégâts.
Ned jeune chirurgien en cardiologie, vient de recevoir un message signé Vénus accompagné d'une vidéo sur son cellulaire. Il balance immédiatement la vidéo sur son ordinateur et découvre une image saisissante : un homme apparemment en état de cryogénisation est allongé dans un cercueil de verre. Rien de spécial sauf que l'individu, il s'en aperçoit avec stupéfaction, c'est lui. Un message est joint à l'envoi lui signifiant de surveiller ses mails et de se tenir prêt. Prêt à quoi, puisqu'il est mort. Non, il s'en assure, il est encore vivant et pense que tout ceci n'est qu'une farce de ces amis carabins. D'autres messages lui parviennent, qui le rassurent. Il s'agit de Valérie, son amante du moment qui lui écrit que, étant atteinte d'un virus, elle ne pourra pas le voir. Il est soulagé car elle prend les joutes sexuelles pour des combats de lutte gréco-romaine et il en sort épuisé à chaque fois.
A l'hôpital où il doit officier, il fait la connaissance d'une infirmière volante, Olga Vincent, qui semble intéressée par son prestance. Elle l'avoue elle-même, c'est une croqueuse d'hommes. Mais foin de la bagatelle, il faut se dépêcher et se concentrer. Un patient doit être opéré et recevoir un cœur tout neuf. Tout irait bien si, lorsque l'hélicoptère arrive apportant l'organe destiné à être greffé, les toubibs pouvaient réceptionner la valise de congélation pleine. Mais, le temps semble se figer une deux secondes, et le bac ouvert ils ne peuvent que constater qu'il est vide. Le malade attendra. Le père de Ned, médecin lui aussi, c'est héréditaire, est abattu, au sens figuré. Sa femme est dans le coma. Seulement Ned a des doutes sur sa filiation, et il va de surprise en surprise dans ce roman fantastico-médical qui entraîne le lecteur dans un jeu de miroir avec en prime une histoire de trafic d'organes.
Jeu de miroir, thème également exploité dans Olga, le dernier texte où l'on retrouve la sympathique Rouquine dans un rôle à sa mesure alors que dans le précédent elle n'était qu'un personnage de second plan. Olga doit remplacer une infirmière partie en congés de maternité. Mais dans les couloirs de l'hôpital, elle est abordée par une vieille femme qui affirme que Claudine, l'infirmière absente est morte, pour la bonne raison qu'on l'a tuée. Propos démenti par le directeur de la clinique, mais allez donc savoir où se niche la vérité ! La référence au miroir prend tout son sens puisque sont évoqués, rapidement, au détour de quelques dialogues entre Olga et une autre protagoniste, le Chapelier fou et le Lapin Blanc, personnages excentriques d'Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll.
Trois romans inédits qui permettent à Dominique Rocher d'élargir sa palette de conteuse tout en restant fidèle à elle-même, le fantastique, l'humour et l'univers médical, univers qu'elle connait bien puisqu'elle a effectué des études d'infirmière. Des romans plus aboutis et moins légers dans leur forme, leur construction, leur propos, leur psychologie que certains romans précédemment publiés chez Manuscrit et Lulu, qui jouaient sur la trame policière avec Olga en vedette, ce qui ne veut pas dire que ceux-ci étaient mauvais. Mais dans ce recueil, Dominique Rocher monte d'un cran, et il faut en avoir !
A lire également de Dominique Rocher : L'Ambassadeur des âmes et La Rouquine tranche dans le vif.
Dominique ROCHER : Quai des âmes. Recueil contenant : Quai des âmes, Ned; Olga. Collection Noire N° 58. Editions Rivière Blanche. Parution décembre 2013. 308 pages. 20,00€.