Non, les petits éditeurs de province (terme souvent péjoratif qui ne désigne en réalité que des maisons d’édition de petite structure et au catalogue encore peu fourni, ne possédant pas un diffuseur national) ne jouent pas tous dans le polar régionaliste dont les titres sont racoleurs, style Elle est vilaine en Ille et Vilaine, Des hordes de rennes à Rennes, et autres joyeusetés destinés à appâter les gogos. Dernier petit éditeur dont je viens de faire la connaissance, les Editions Critic basées justement à Rennes. Il propose son petit dernier lequel est pour moi un vrai régal et qui publié par une maison d’édition parisienne basée rive gauche, serait déjà en tête des ventes. Pourquoi ? Parce que ce serait justifié. Tout autant pour la narration, le style, le développement de l’intrigue que pour le choix de cette intrigue qui nous promène allègrement de nos jours des Etats-Unis en Belgique, en passant par la Suisse, nous replongeant dans les années 2009, 1924, 1936 et durant la Seconde Guerre Mondiale. Mais entrons dans ce roman habilement construit, qui mêle suspense, politique-fiction, histoire et manipulations.
Si le point de départ se joue au camp de Stutthof en Pologne en 1942, la genèse se situe en 1938, en Westphalie, avec la rencontre entre Heinrich Himmler et un jeune savant en physique nucléaire et chimie, Victor Bleiberg.
Jeremy Novacek, familièrement surnommé Jay, est à un peu plus de trente un trader qui a réussi un gros coup en 2008 et s’est vu propulsé du jour au lendemain millionnaire. Cela a profondément influé sur son existence, car à la suite d’un accident de parcours il est devenu alcoolique et dépressif. Ce matin là, alors qu’il est encore plongé dans les brumes éthyliques, des militaires de l’Air Force lui apprennent que son père, dont il n’a plus eu de nouvelles depuis près de vingt cinq ans, est décédé. Sa mère à laquelle il rend visite dans l’hôpital où elle végète, afin de lui apprendre la mauvaise nouvelle, lui remet une clé qu’elle gardait dans un médaillon. Or lorsqu’il gratte cette clé rouillée, apparait une croix gammée. Les révélations s’enchainent et son esprit perturbé à du mal à assimiler toutes les confidences qui lui sont faites par son patron Bernard Dean. Son patron et ami, qui se révèle être également son parrain, Dean ayant fort bien connu Daniel Corbin, le père de Jeremy. Dean et Corbin père appartenaient tous deux à la CIA, et si le père a déserté un jour la maison familiale, c’était pour protéger femme et enfant. Sa mère décède juste après, dans des conditions douteuses et Jay échappe de peu à un attentat. Dean luioctroie un garde du corps en la personne de Jacky, une petite bonne femme qu’il surnomme Buffy, et qui n’a pas peur de se servir d’un revolver. Il leur faut se rendre en Suisse afin de découvrir ce qu’un coffre bancaire recèle et se voyage leur réserve de multiples surprises dont la moindre n’est pas d’apprendre qu’ils sont suivis par Eytan Morg, un agent du Metsada, une branche du Mossad et que Dean vient d’être assassiné. Le chasseur devient leur allié et tous trois auront à affronter une bande de tueurs qui se réclament du Consortium.
Ecrit comme ça, ce roman pourrait sembler n’être qu’un ersatz de thriller américain, mais David S. Khara réussit son pari, celui de nous plonger dans une intrigue solide, envoûtante, captivante, alternant avec virtuosité péripéties trépidantes situées de nos jours et entractes puisés dans l’histoire. Et le lecteur découvrira au détour des pages des personnages célèbres tels que Rudolph Hess, Himmler, Hitler, qui ne sont pas là que pour la figuration mais jouent des rôles prépondérants.
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David S. KHARA : Le projet Bleiberg. Thriller. Première édition : éditions Critic. Réédition éditions 10/18. N° 4497. 312 pages. 7,50€.