Tout comme la France fit appel lors de la Première Guerre mondiale, dite la Grande Guerre, à un contingent militaire en provenance de ses colonies, Sénégal, Maghreb, Madagascar… la Grande Bretagne puisa des réserves dans les territoires des Dominions, l’Australie en tête. Un total de 331 814 Australiens ont été envoyés en Europe, mais parce que les milices existantes n'avaient pas le droit de servir outre-mer, un groupement expéditionnaire de volontaires, l'Australian Imperial Force (AIF) fut créé à partir du 15 août 1914.
Sur le pont du bateau qui le ramène en Australie en ce début d’année 1919, Quinn Walker, un engagé volontaire qui a participé aux batailles de Gallipoli en Turquie, et en France, à Bullecourt notamment, Quinn songe. Il a été sérieusement blessé à la mâchoire (d’où le surnom de Gueules cassées), ses poumons sont mal en point à cause des gaz inhalés et il souffre de surdité. Il ressasse ses souvenirs d’avant son départ pour le front ainsi que ses faits d’armes, se souvenant des compagnons tombant près de lui. Il jette à la mer la médaille militaire qui lui a été remise pour sa bravoure, mais qu’en a-t-il à faire de cette breloque ?
S’il s’est retrouvé enrôlé dans les bataillons militaires, c’est à cause d’une vilaine histoire familiale qui s’était déroulé dix ans auparavant, le 5 juillet 1909. Sa petite sœur Sarah, alors que l’orage grondait sur Flint, en Nouvelle Galles du Sud (au Sud-est de l’Australie) a été assassinée à coups de couteau. Son père, Nathaniel Walker, et son oncle, Robert Dalton, qui s’inquiétaient de la disparition des deux enfants était partis à leur recherche. Les deux hommes ont retrouvés Sarah et Quinn l’un près de l’autre, Sarah morte et Quinn tenant une arme rougie par le sang de la fillette. Quinn a tenté d’expliquer qu’il n’y était pour rien, puis il s’est enfui dans la nature. Plus personne n’a eu de nouvelles de lui pendant des années. En 1916, Mary, la mère, a reçu des autorités militaires un télégramme annonçant que Quinn avait disparu au combat et qu’il était présumé mort.
Ce meurtre est comme un chancre dans sa mémoire. Il revient au pays, essayant de passer inaperçu engoncé dans ses habits de militaire. Alors qu’il s’approche du bourg, un vieil homme, considéré un peu comme l’idiot du village, le reconnaît mais Quinn lui fait promettre de ne rien dire. Et il en profite pour lui barboter son fusil qui lui sert à chasser les lapins. Il lui demande également des nouvelles du village, de sa famille.
Quinn se cache dans les bois, se nourrissant de bric et de broc, dormant dans des feuillis, étant à l’affût du moindre bruit. Revoir sa mère, une idée qui le tenaille depuis dix ans. Il se rend à la ferme familiale, lorsque son père s’en éloigne, afin de retrouver pour quelques moments sa mère. Celle-ci est couchée, atteinte de phtisie, mais les rumeurs alimentées par les superstitions affirment que la peste noire sévit dans le pays.
Au début elle ne veut pas reconnaître son fils, persuadée qu’il est décédé en terre française. Mais celui-ci parvient à prouver qu’il est bien en vie, qu’il n’est pas un fantôme, et lui jure qu’il est pour rien dans le meurtre de sa sœur. Ce qui rassérène sa mère, secret qu’elle garde pour elle, car Nathaniel, le père est toujours colère contre son fils. Quinn lui rendre visite régulièrement, l’aider à prendre ses cachets, à boire son verre d’eau, ce qui soulage quelque peu la souffrante.
Les bruits qu’il entend dans les bois l’inquiètent jusqu’au jour où une gamine se plante devant lui. C’est une petite sauvageonne très mûre pour son âge, agressive et en même temps qui recherche une protection. Elle est orpheline, vit d’expédients, elle assurera d’ailleurs leur subsistance, sachant qui il est mais connaissant bien d’autres secrets. Il en est tout étonné mais Sadie possède plus d’un tour dans son sac. Elle l’encourage, lui fait quelques révélations, tout en restant sur ses gardes. Il leur faut se méfier, car un traqueur est à sa recherche et ils se réfugient dans une masure.
Ce roman, articulé comme un roman policier de suspense, est également un récit émouvant basé sur le souvenir, la mémoire, mais également sur le désir de comprendre ce qu’il s’est réellement déroulé et le besoin de vengeance envers les véritbales meurtriers dont Quinn connait l’un d’eux. Entre souvenances de sa sœur Sarah, de leur complicité, leur grand frère restant en dehors de leurs jeux, de leur connivence qui était mal vue et mal interprétée par les autres membres de la famille, surtout Nathaniel le père et Robert l’oncle, mais également par les villageois. Sarah n’avait que trois ou quatre ans de moins que Quinn, et pourtant elle s’érigeait comme une petite bonne femme dominatrice.
Les épisodes de la guerre en Europe remontent très souvent à la surface, Quinn ne peut s’en débarrasser. Mais d’autres événements ont ponctué son quotidien d’engagé volontaire. Ainsi un de ses compagnons d’arme l’a conduit à Londres chez une femme recevant dans son salon des amateurs de spiritisme, trois jeunes filles invoquant les esprits. Il n’aura pas l’occasion de voir Conan Doyle, qui est pourtant un habitué, mais une des gamines lui remet en catimini un message.
Roman de la douleur, de la rédemption, cette histoire hantera vos esprits comme hante dans l’esprit de Quinn la mort de sa sœur.
Elle attirait leur attention sur la sagesse renfermée dans les livres.
"Une histoire, c'est une merveilleuse création. Une ouverture sur un autre monde".
Vous pouvez retrouver l'avis de Cricé sur son site La ruelle bleue.
Chris WOMERSLEY : Les affligés (Bereft – 2010. Traduction de l’australien par Valérie Malfoy). Collection Les Grandes Traductions. Editions Albin Michel. 336 pages. 20€.