A Rio, l’aencienne capitale emblématique du Brésil, l’image pour les touristes est celle du carnaval, accessoirement les jolies filles qui ne se contentent pas d’étaler leurs charmes lors des danses accompagnées par les musiciens de samba lors des défilés. Elles les tarifient aussi, sans que la morale chrétienne réprouve avec force leurs débordements charnels. D’autant que certaines éprouvent un réel plaisir lors de leurs relations, c’est Jo qui le dit. Et si elle le dit, c’est que c’est vrai parce qu’elle a perdu son pucelage à onze ans. Sa sœur Flo, à treize ans, elle a été enceinte et connu beaucoup d’expériences, parfois en groupe et avec des filles. Mais c’est sa sœur, elle est partie vivre en Suisse, depuis qu’un de ses clients s’est amouraché d’elle et qu’elle l’a suivi. Jo a seize ans, mais elle ne veut pas tromper son homme, Musclor c’est son nom, un peu plus vieux qu’elle et surtout chef de bande dans une favela qui s’échelonne le long des morros, les collines au-dessus de Rio. Musclor, c’est un Blanc qui commande à des Noirs, des ados qui lui obéissent comme s’ils étaient son esclave, ne se rebiffant pas lorsqu’il les appelle Négros.
Musclor, c’est quelqu’un, qui a des idées et n’hésite pas à les mettre en pratique. Par exemple, pour se faire de l’argent, il a enlevé en pleine rue, en formant un barrage avec une voiture obligeant le car à s’arrêter, le fils d’un ponte américain de chez Exxon. Michaël Philips, ou Maïcom Filipi comme l’appellent ses ravisseurs, est un jeune de treize ans, mais il ne les parait pas. Un mètre quatre-vingt douze, cela impose. Mais Musclor n’en a cure, lui il ne pense qu’aux deux cent mille qu’il va demander au père pour libérer son otage. Deux cent mille quoi, au fait ? Deux cent mille réais ou deux cent mille dollars ? Allons-y pour des dollars, mais attention, Maïcom va contacter son père par téléphone, et pas question de parler américain. Il doit s’exprimer en portugais afin que tout le monde comprenne. Aussi bien Musclor que les autres gamins de sa bande qui portent en permanence des masques de Ben Laden. Mais Maïcom voit bien qu’ils sont Noirs, comme lui. Jo aussi est noire, pas très belle physiquement, franchement moche on pourrait dire si on ne voulait pas la vexer. Mais elle est fière de ses fesses. Des grosses fesses accueillantes.
Maïcom, son rêve c’est de devenir basketteur, il en a la taille. Mais il aime aussi le jazz, une influence paternelle. Et il connait bien les armes à feu dont ses ravisseurs sont pourvus, grâce aux magazines spécialisés qu’il lit. Il peut les détailler, leur donner un nom, reconnaître le bruit d’une fusillade. D’ailleurs, tiens, alors qu’il est seul sur sa chaise il entend bien des pa pa pa, des poum poum poum. Ce n’est rien, qu’un échange de coups de feu entre bandes rivales, celles de Musclor et une autre de la favela, avec des morts, ça marque plus les esprits. Maïcom va même jusqu’à demander une trompette, et avec Musclor il échange des propos sur la musique. Ils ne sont pas d’accord. Qui de Ary Barroso ou de Duke Ellington a pillé l’autre. Quelle est le morceau original, Aquarela ou Caravan ? De toute façon, Musclor, son truc c’est le rap. Et puis Maïcom n’est qu’un gamin, il le déclare à chaque occasion.
Court roman, mais texte dense, en trois paries, à trois voix.
D’abord c’est Maïcom qui parle, racontant ses tribulations, son enlèvement, sa vie de prisonnier, ses angoisses, ses petits problèmes de miction. Obligé de changer de vêtements devant tout le monde, devant Jo aussi, qui n’attend que ça, le voir nu.
Puis Musclor prend le relais, à sa façon, en rappant, comme ses idoles, troquant son alias de Musclor pour celui de MC JB, car il n’est pas Eminem ni Beastie Boy. il revient sur son parcours de jeune drogué, ses espérances qui se limitent à la favela, plus loin il voudrait bien, mais peut-il, a-t-il un avenir ?
Jo s’empare de la troisième partie, et elle aussi revient son passé de gamine prête à s’enflammer, enfin c’est surtout son corps qui est prêt à s’enflammer, pour satisfaire ses désirs charnels de plus en plus prégnants. Mais elle aussi sait que son avenir est quelque peu brouillé. Trois parties dans lesquelles chacun s’exprime à tour de rôle et le lecteur sent que peu à peu les relations entre ces trois protagonistes, les autres ne comptent pas, muent, mutent, se modifient, se transforment.
Et comme tous les jeunes de leur condition, échecs scolaires, entrés trop tôt dans la vie, livrés à eux-mêmes, obligés de se forger un destin, leurs propos sont crus, comme pour mieux exprimer leur désespoir dans l’adversité, comme si s’exprimer par des grossièretés pouvait leur donner une aura supplémentaire, une affirmation de leur existence. Construit en huis-clos, ce roman offre pourtant une porte vers l’extérieur, mais ce qu’on y entrevoit n’est guère réjouissant. Comme lorsque Jo évoque la mort de son frère Anizio, décès provoqué par une balle perdue, pas pour lui qui l’a ramassée en pleine tête, alors que des policiers tiraient sur un dealer afin de l’intimider. Une bavure vite transformée par les journaux le lendemain, probablement bien renseignés par des responsables de l’ordre public, affirmant qu’Anizio avait provoqué les flics. Ben voyons. Mais cela se passe au Brésil, en France ce ne serait que pure fiction.
Chacun de ces protagonistes porte en eux un idéal, mais celui-ci est peut-être tué dans l’œuf, dans ce roman dont la fin est ouverte.
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Arthur DAPIEVE : Black Music (Black Music – 2008. Traduction du portugais par Philippe Poncet). Editions Asphalte. 140 pages. 14,20€