L’Ardennais pratique l’art des niais !
Correspondant local du quotidien L’Est pluvieux, le narrateur vit tranquillement sa petite vie tranquille. Sa philosophie se résume en ces quelques mots : pas d’ambition, pas d’effort, pas de soucis ! Et pour évacuer un stress toujours possible, il épluche des pommes de terre, essayant d’obtenir des pluches de plus en plus fines.
Cela fait dix ans qu’il est installé dans cette petite ville du nord-est de la France et son emploi de localier est une véritable sinécure. Il a tout compris. Il suffit de brosser dans le sens du poil le rédacteur en chef, les édiles, les lecteurs. Et il utilise, réutilise lors de la rédaction de ses articles, d’anciennes notules parues les années précédentes. Il lui suffit de changer la date, le lieu, le nom des protagonistes, et ce qui a plu une fois plaira l’année d’après. Il lui faut également aller sur les lieux des diverses manifestations qui rythment la vie d’une petite commune, assemblées générales des associations par exemple, mais pour ne pas encombrer les salles, il ne se présente qu’au moment du vin d’honneur.
Il est ami avec Basile, son voisin, et vide consciencieusement avec lui quelques chopes de bière, mais pas tout le temps. Chacun a ses obligations, le localier à repomper ses articles et à se déplacer pour faire acte de présence, Basile exerçant fièrement sa fonction de magasinier dans une fabrique de jouets en matière plastique. Il prend son travail à cœur, et lorsqu’une stagiaire lui est confiée, il lui montre toutes les ficelles du métier afin qu’elle puisse obtenir un contrat à durée indéterminée.
Il s’accomplit si bien de sa mission, et Marise, une jeunette de vingt ans, est si réceptive, si déterminée à se glisser dans l’organigramme de la société, qu’ils en arrivent à batifoler. Basile trompe Rose, sa femme dépressive, au grand dam de celle-ci car elle s’aperçoit tout se suite de sa situation d’épouse trompée.
Il n’aurait pas dû Basile, mais c’est une fois qu’on a mis le doigt, et le reste, dans l’engrenage et ailleurs, que les remords viennent tenailler un homme. Bref Basile est fort marri de cette situation et veut reconquérir sa femme en appelant le docteur, en allant chercher les médicaments, en se mettant en quatre pour satisfaire les moindres désirs de Rose, et il s’aperçoit alors que les Rose ont des épines. Il est malheureux Basile. Et il se confie à notre localier qui ne trouve pas matière à écrire un article à cet événement.
Reconquérir une femme trompée n’est guère aisé, et Rose se montre agressive tout en soignant sa dépression en se rendant en ville à de mystérieux rendez-vous. Elle va même jusqu’à se montrer langue habile auprès du narrateur. Le scandale éclate lorsque Marise est retrouvée noyée.
Dans ce roman humoristique, Franz Bartelt se montre parfois cynique, voire caustique dans ses nombreuses digressions qui sont le sel de cette histoire. Quant aux bottes rouges du titre, le lecteur ne comprendra leur signification qu’à la fin du roman.
Contrairement à certains romans, ici les digressions sont jouissives, et l’auteur égratigne ici et là. Les localiers et leur implantation dans une communauté villageoise sont décrits avec verve. Ils n’apportent guère d’informations mais pourtant les lecteurs des quotidiens ou hebdomadaires aiment leurs chroniques, puisque l’on parle d’eux et qu’ils figurent souvent en bonne place dans les colonnes consacrées au canton. Les photographies remplacent souvent les textes qui se répètent tous les ans. Ce que l’on appelle des marronniers. D’ailleurs la définition du marronnier est assez explicite pour que je ne m’étende pas davantage sur le sujet :
Un marronnier en journalisme est un article ou un reportage d'information de faible importance meublant une période creuse, consacré à un événement récurrent et prévisible. Les sujets « débattus » dans un marronnier sont souvent simplistes, parfois mièvres.
Bien d’autres thèmes sont développés comme le théâtre municipal, les poètes locaux, ou encore l’infidélité qui génère le trou de la Sécurité Sociale.
Florilège :
Quand on n’a envie de rien, on met la télé.
Le meilleur moyen d’être tranquille, c’est de ne pas dire ce qu’on pense, surtout aux femmes.
Les flics brandissaient leur arme en direction de la fenêtre. Ils étaient une demi-douzaine, pas très héroïque, des pères de famille, un peu soiffards et qui s’étaient engagés dans la police non par vocation mais pour la sécurité de l’emploi. Je les connaissais tous. J’ai vidé, en leur compagnie, sans procès-verbal, et pour des motifs professionnels, d’ébahissantes quantités de produits fermentés, j’admets qu’ils m’imposent leur respect : il n’est de bonne descente qu’une descente de police.
Mais d’abord un journal est fait pour être vendu. Lu c’est l’important. Vendu, c’est l’essentiel. Informer, c’est le prétexte. La priorité des priorités, c’est la survie de l’entreprise. Tout le reste est secondaire. Quant à l’information, elle n’est que la cerise sur le gâteau.
Franz BARTELT : Les bottes rouges. Editions Gallimard. Parution 25 août 2000. 208 pages. 18,50€.
ISBN : 978-2070759132
Réédition Collection Piment. Editions France Loisirs. Parution février 2001. 224 pages.
Prix de l’Humour noir 2001.
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