Entre Hier et Demain…
Combien de fois ne nous sommes pas dits, j’aimerai bien être un peu plus vieux, pour diverses raisons, ou, au contraire, si je pouvais revenir en arrière afin d’éviter certaines erreurs commises à telle ou telle époque, ou au contraire entreprendre telle action ?
Ceci a toujours été une envie ou un regret qui ont mené les hommes vers un destin inéluctable, ce qui n’a pas empêché les romanciers, de science-fiction ou autre genre littéraire, d’extrapoler l’avenir et le passé, pour des raisons nobles ou au contraire néfastes.
Ainsi Cyril Kornbluth met en scène dans Les Dominos un boursicoteur dont l’un des employés vient de mettre au point une machine permettant de se transporter de deux ans dans l’avenir. Or un krach boursier est prévu, nous sommes en 1975, et il désire se rendre en 1977 afin de savoir quelles actions revendre avec profit avant que la bourse s’effondre et à quelle date. Le rêve de bien des banquiers, mais cela ne se passe pas toujours, revenu à la réalité du moment comme cela était prévu. Un paradoxe finement mis en scène qui ne manque pas de piquant pour une histoire publiée à l’origine en 1953.
Par ici la sortie de Lester Del Rey met en présence deux personnes qui se ressemblent étonnamment. Normal puisque l’un est la projection de l’autre mais trente ans plus tard. Et pourtant ils voyagent ensemble dans la machine construite par le premier quelques années plus tard et qu’il s’était projeté dans le futur.
Il est inconcevable de penser que Fredric Brown ne figure pas dans une anthologie de nouvelles policières ou de science-fiction, tant ses textes sont jubilatoires offrant quasiment à chaque fois une chute inattendue. Dans Le paradoxe perdu, nous entrons dans un univers presque parallèle. Shorty McCabe est un étudiant placé au dernier rang, comme les cancres mais c’est un rêveur qui n’est pas vraiment intéressé par le cours de son professeur et ses démonstrations logiques. Il est passionné par la paléontologie et suit les évolutions d’une mouche pendant le ronronnement verbal. Tout à coup la mouche disparait, comme si elle avait absorbée. Shorty lance alors son stylo afin de recommencer l’expérience, et le stylo subit le même sort. Puis c’est la main, et là Shorty commence à être inquiet. Lorsque le corps entier est englouti, il est mis en présence d’une sorte de fantôme qui lui déclare avoir construit un appareil qui permet de se projeter dans l’avenir. Mais quel sera cet avenir ? Avec Fredric Brown, il faut s’attendre à tout et surtout pas au pire mais au meilleur.
Du même Fredric Brown, Expérience, une nouvelle plus courte, trois pages seulement mais intenses, qui confirme son art du texte succinct avec une chute à tomber par terre.
Dans Les éclaireurs, Donald Malcolm nous envoie en compagnie de deux explorateurs du futur à cent millions d’années sur une planète nommée Terre. Ils se réceptionnent, ou se réveillent, sur une plage dans un univers vide, surveillé par la Créature.
Tout comme Fredric Brown, Richard Matheson est un spécialiste de la nouvelle, mais rédigeant également des romans, noir ou de science-fiction, adaptés au cinéma dont Les Seins de glace. Avec L’enfant trop curieux, le lecteur est invité à partager les affres de Robert Graham, qui sortant de son bureau, ne retrouve plus sa voiture. Il est persuadé l’avoir garée à tel endroit mais elle est n’y est point. Et ce trou de mémoire s’amplifie lorsqu’il confond les différents véhicules dont il a été le propriétaire, puis se mélange dans les adresses des divers domiciles qu’il a habités. Et cela ne s’arrange pas.
J.G. Ballard, avec Le jardin du temps, nous entraîne dans une histoire romantique et bucolique, jusqu’à un certain point. Tandis que sa femme interprète à la harpe des morceaux de Mozart, le comte Axel se rend dans son parc, prélevant au passage des fleurs hautes de deux mètres, dont la tige casse comme du verre et dont le cœur de cristal semble drainer la lumière. Au loin une armée de loqueteux accompagnés de soldats guère mieux lotis, s’avance et lorsque le comte cueille une des fleurs, enfermant dans sa main le cœur, le temps s’arrête, recule même, l’armée se retrouvant plus loin que précédemment. Mais cette avance est inéluctable car il reste peu de bourgeons.
Avec ce texte, nous entrons plus dans le domaine du fantastique que de la science-fiction, un sentiment qui se prolonge avec la suite qui emprunte à la psychologie, voire à la psychiatrie. C’est le domaine du rêve et du cauchemar qui prend le relais.
Mais le voyage dans le temps implique des retours en arrière, comme Le jardin du temps, et surtout Souvenir lointain de Poul Anderson qui nous renvoie à la préhistoire avec un homme revenant à la racine de ces ancêtres grâce à un appareil sophistiqué. Mais se plonger dans le passé puis revenir au présent laisse parfois un goût amer, le présent devenant fade.
Un volume indispensable dans toute bonne bibliothèque de l’amateur éclairé, ou pas, qui permet de retrouver des textes initiatiques et découvrir des auteurs confirmés ou n’ayant que peu produit. Un savoureux mélange qui se lit le soir, à tête reposée pour la plupart des nouvelles car parfois celles-ci sont elliptiques, à l’instar de Par ici la sortie, La cure et quelques autres qui relèvent surtout de la psychanalyse.
Mais avant de découvrir les nouvelles, les compilateurs de cette anthologie ont eu la bonne, la très bonne idée même, de proposer une introduction effectuant une sorte de Science-fiction pour les nuls, et une préface présentant plus particulièrement des textes d’exploration du passé ou de l’avenir, ce qui permet de constituer, pour ceux qui le désirent, une bibliothèque sélective dans un large spectre de titres. Une bibliothèque idéale en quelque sorte.
1 - Jacques GOIMARD & Demètre IOAKIMIDIS & Gérard KLEIN : Introduction à l'anthologie, pages 7 à 14
2 - Jacques GOIMARD : Préface pages 15 à 30, Préface
3 - Cyril M. KORNBLUTH : Les Dominos (Dominoes), pages 31 à 43, trad. Marcel BATTIN
4 - Lester DEL REY : Par ici la sortie (And It Comes Out Here), pages 45 à 62, trad. Marcel BATTIN
5 - Fredric BROWN : Le Paradoxe perdu (Paradox Lost), pages 63 à 84, trad. Frank STRASCHITZ
6 - Donald MALCOLM : Les Éclaireurs (The pathfinders), pages 85 à 96, trad. François VALORBE
7 - Richard MATHESON : L'Enfant trop curieux (The Curious Child), pages 97 à 109, trad. Michel DEUTSCH
8 - James Graham BALLARD : Le Jardin du temps (The Garden of Time), pages 111 à 122, trad. Elisabeth GILLE
9 - Poul ANDERSON : Souvenir lointain (The Long Remembering), pages 123 à 138, trad. Francis CARSAC
10 - Henry KUTTNER & Catherine L. MOORE : La Cure (The Cure), pages 139 à 155, trad. Marcel BATTIN
11 - Jack FINNEY : Le Troisième sous-sol (The third level), pages 157 à 163, trad. Gilbert IBERY
12 - Poul ANDERSON : L'Homme qui était arrivé trop tôt (The Man Who Came Early), pages 165 à 199, trad. Bruno MARTIN
13 - Fredric BROWN & Mack REYNOLDS : Sombre interlude (Dark Interlude), pages 201 à 212, trad. Jean SENDY
14 - Henry KUTTNER & Catherine L. MOORE : Saison de grand cru (Vintage Season), pages 213 à 270, trad. P. J. IZABELLE
15 - Fredric BROWN : Expérience (Experiment), pages 271 à 273, trad. Jean SENDY
16 - William TENN : Moi, moi et moi (Me, Myself, and I), pages 275 à 294, trad. Frank STRASCHITZ
17 - Jack WILLIAMSON : Regard en arrière (Hindsight), pages 295 à 322, trad. Pierre BILLON
18 - William TENN : Comment fut découvert Morniel Mathaway (The Discovery of Morniel Mathaway), pages 323 à 343, trad. Frank STRASCHITZ
19 - Poul ANDERSON : La Patrouille du temps (Time Patrol), pages 345 à 399, trad. Bruno MARTIN
20 - Alfred BESTER : Le Temps et la 3e Avenue (Of time and Third Avenue), pages 401 à 411, trad. Frank STRASCHITZ
21 - Robert A. HEINLEIN : Vous les zombies... (All You Zombies—), pages 413 à 432, trad. Michel DEUTSCH
22 - Dictionnaire des auteurs pages 435 à 442
La Grande Anthologie de la Science-fiction. Volume 10 : Histoires de voyages dans le temps. Le Livre de Poche N°3772. Parution 4e trimestre 1976. 448 pages.
ISBN : 2-253-00769-2
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