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9 avril 2019 2 09 /04 /avril /2019 04:30

Un roman solide, qui n’est pas construit de briques… et de broc !

Georges-Jean ARNAUD : Le Néant des pierres.

Imaginez une bicoque, à l’écart de la ville, non loin d’un super marché. Imaginez une maison dont le rez-de-chaussée sert de rendez-vous à des toxicomanes, à de jeunes voyous, à des adolescents qui découvrent le simulacre de la reproduction, simulacre tarifé ou non. Imaginez au premier étage une famille qui vivote avec un téléphone qui ne communique avec l’extérieur que dans un sens, celui de la réception, du minimum électrique, pas d’eau chaude sinon le compteur disjoncte. Imaginez cette famille composée d’une mère dont le cerveau est en berne vingt deux heures sur vingt quatre, un fils, Tony, qui assure l’essentiel grâce à de petits boulots et de rapines, une fille, Julie, un peu naïve, une peu simplette, un peu amoureuse de son frère aîné, déboussolée quoi. Et le père, Germain, qui traîne derrière lui des espérances de fortune, des cadavres, des regrets, des espérances qui tournent en eau de boudin. De l’argent, ils en ont eu, mais acquis par quel mystère, et dilapidé dans quelles conditions ?

Imaginez plus loin, une sorte de ferme perdue entre vignoble et garrigue, habitée par une vieille mais robuste femme, hommasse dans son comportement, frustre et madrée, fusil en bandoulière quelle que soit la saison, chassant malgré les interdits, amassant le pécule sans vergogne.

Le trait d’union entre Lucrèce, prénom de cette baroudeuse anachorète, et Germain (et sa famille) réside en une simple histoire de parentèle. Ce fut sa belle-mère, c’est toujours sa belle-mère, mais il la fuit, comme on fuit le diable, personnification du remords. Car un autre lien les attache, depuis dix-sept ans, l’enlèvement sur la plage de Leucate d’une gamine de cinq ans, la rançon encaissée, et la disparition de la fillette. Depuis, Germain et sa famille errent de ville en ville, dix sept ans de vagabondages et de déménagements, avec toujours au bout du compte Lucrèce qui réclame de l’argent, encore de l’argent, une rente qu’il fournit jusqu’à épuisement. Epuisement financier mais également moral.

Imaginez cette famille traquée, au bout du rouleau, vivant d’expédients, dans une atmosphère lourde, compressée, étouffante, oppressante, angoissante, obsédante, vivant au jour le jour, avec comme phare une génitrice confondant les prénoms d’une fille qu’elle tarabuste et de sa mémoire surgissant par à-coups celui d’une gamine source de richesse dix sept ans auparavant.

Imaginez cette Lucrèce sangsue accueillant un Germain trop confiant dans son rôle d’acteur de seconde zone animé de componction, secouant une faiblesse collée à sa peau comme une carcasse de crocodile dont les larmes affaibliraient, amolliraient une marâtre haïe.

Imaginez cette ambiance suffocante, traumatisante, avec en silhouette obsédante, une jeune femme qui dix sept ans après un événement oublié de tous, sauf les parties concernées, c’est à dire les familles ravisseuses et les familles spoliées, se met à la recherche de l’ombre d’une sœur vomie, encombrante, adulée par une mère méprisante qui reportait l’affection qu’elle aurait dû vouer à son aînée sur une cadette qui ne la méritait pas. Point de vue tout à fait personnel qui ronge la mémoire de la rescapée d’une famille qui a vécue durant des années dans la mémoire d’une disparue quasiment sanctifiée.

Imaginez un univers confiné entre trois points d’ancrage qui peu à peu se rejoignent inexorablement, attirés par l’âme, la présence indéfectible d’une absente minant les esprits.

Imaginez, non n’imaginez plus mais laissez-vous porter dans ce nouvel opus du géant de la littérature populaire, qui se dresse tel un roc, un menhir à six faces, du haut de cinquante ans de carrière, et qui ne s’érode pas. Trois larges pans représentant l’espionnage, le policer, la science-fiction, et trois autres plus réduits symbolisant l’angoisse, l’érotisme, l’historique.

 

Dans sa postface, Serge Perraud annonce que ce titre est le 401ème roman écrit par cet auteur prolifique, le deuxième publié aux éditions du Masque. Pour la bonne bouche comme disent les gastronomes en culottes longues qui se délectent de lectures saines, j’ai choisi une citation extraite de ce nouveau roman, qui j’en conviens, placée hors contexte peut paraître anodine mais prend toute sa signification à la lecture du texte.

Tu ne sais pas ce qu’est une jeune fille, tu as toujours été vieille.

Georges Jean Arnaud signe ce nouveau roman qui le confirme comme auteur hors normes. Il s’inscrit comme l’auteur majeur, pour ne pas dire plus, du dernier demi siècle passé et il entame le XXIème siècle en fanfare. Certains diront qu’il y a eu aussi Simenon, mais je leur ferai remarquer humblement que ce fut un Belge même s’il vécu longtemps en France et que sa production, sauf peut-être les romans dits noirs et qu’il considérait comme littéraires, sont datés, tandis que ceux d’Arnaud, Georges Jean de ses prénoms, restent de petits chefs d’œuvre.

Georges-Jean ARNAUD : Le Néant des pierres. Grand Format. Editions du Masque. Parution 10 octobre 2001. 310 pages.

ISBN : 978-2702479902

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