Oh Marie, si tu savais…
Avec un père charpentier et une mère lavandière, la petite Marie ne s’épanouit guère. Son père est mutique, ne s’exprimant que lorsqu’il a quelque chose à dire, et encore. Mais il n’est pas comme la mère qui avec ses mains en forme de battoirs n’est pas avare de torgnoles et de beignes. Marie n’est pas jolie, enfin pas vraiment, mais elle est avenante et gentille.
Ses sœurs se marient et quittent la maison paternelle, la mère décède après avoir bu un grand verre d’eau froide alors qu’elle était en sueur. Marie a dix ans. Elle trouve en Bernard, un gamin de trois ans plus âgé qu’elle, un compagnon de jeux aimable et intentionné. Un jour, s’amusant dans la forêt avec quelques gamins, garçons et filles, Marie se retrouve seule. Elle est attaquée par un loup alors qu’elle ne prétendait pas jouer au Petit Chaperon Rouge, et Bernard la sauve des griffes et des dents de l’animal.
Rose d’Amour et Bernard deviennent peu à peu amoureux l’un de l’autre. Ils sont souvent ensemble, mais cela reste platonique. Le père de Bernard et les parents du jeune homme pensent que cela se traduira par un mariage, cérémonie à laquelle ils n’opposent aucun véto, mais la guerre du Maroc réclame des moyens humains. Bernard pense échapper à la conscription malheureusement pour lui, le sort en décide autrement. Il a vingt ans et Rose d’Amour en a dix-sept, le bel âge pour convoler.
Les parents de Bernard ne roulent pas sur l’or même s’ils possèdent quelques biens. L’idée est de trouver un remplaçant à Bernard, contre une forte somme. Pour cela ils hypothèquent leur maison, seulement la mère Bernard, malade met le feu aux rideaux. Plus de maison, plus d’hypothèque, plus de remplaçant.
Bernard part pour l’armée pour sept ans, et Rose d’Amour se découvre enceinte. Ils avaient quelque peu précipité les noces, et elle se retrouve la risée, la honte de pratiquement tout le village. Même son père pourtant si calme et si accommodant lui fait la tête. Elle travaille dans une usine de couture et sa joliesse attire les yeux du contremaître. Elle refuse de se laisser aller, de devenir une femme soumise, et taloche le malotru devant ses collègues.
Les ans passent, elle ne reçoit pas de courrier de Bernard. Elle pense qu’il l’a oublié et entame des études du soir afin d’apprendre à lire et à écrire auprès d’un jeune adulte bénévole. Bientôt celui-ci tombe amoureux d’elle mais elle refuse de manquer à sa parole donnée à Bernard. Sept longues années durant lesquelles la petite Bernardine grandit gentiment. Jusqu’au jour où, au cours d’une algarade avec un voisin, un dénigreur et un malveillant qui ose appeler sa petite-fille la petite bâtarde, Bernard est tué à l’aide d’un compas. L’homme a beau jeu de rejeter la faute sur Bernard et la honte une fois de plus déteint sur Rose d’Amour.
Romans de terroir, réaliste et misérabiliste, comme c’était la mode à l’époque, Rose d’Amour serait une nouvelle ou un roman catalogué, de nos jours, comme une romance destinée à l’édification des jeunes filles vertueuses. Mais il y a un peu de Zola dans cette histoire sociale ou plutôt le contraire car si Assolant a fait paraître Rose d’Amour en 1862, La Terre de Zola date de 1887.
L’histoire se déroule dans un petit village, Saint-Sulpice, en Auvergne. Peut-être dans le Puy-de-Dôme, mais rien ne permet de l’affirmer.
Rose d’Amour est un roman écrit à la première personne et la narratrice, Rose d’Amour, s’adressant à une interlocutrice dont on ne sait rien, narre ses mésaventures et dénonce les ragots, les rumeurs, les fausses déclarations, les préjugés, les jalousies également ainsi que ceux qui veulent profiter du malheur des autres pour en tirer bénéfice. Un constat peu flatteur de la campagne d’alors mais qui n’a guère changé dans les mœurs même si celles-ci sont plus libres et plus tolérantes. Et ce problème n’est pas l’apanage de la campagne car on le retrouve également dans les villes et les banlieues. Le syndrome de la fille-mère est encore bien prégnant dans les esprits étroits, mesquins, bigots, et enfreint la morale de certaines religions intégristes.
Nous sommes loin des aventures débridées décrites dans Les Aventures (merveilleuses mais authentiques) du Capitaine Corcoran, un roman destiné à la jeunesse et prenant l’Inde pour décor, mais ces deux ouvrages possèdent en commun d’être des contes philosophiques. Si Rose d’Amour est l’histoire d’une fille-mère à cause d’événements imprévus et dans l’obligation de trouver un remplaçant si le tiré au sort ne veut pas partir à la guerre, contre rétribution onéreuse, Capitaine Corcoran dénonce le colonialisme anglais et par là-même toute forme de colonialisme.
Le côté social prédomine et le système de la conscription est un privilège accordé aux riches qui peuvent y échapper contre monnaie sonnante et trébuchante :
Ah ! dit le père Bernard, il est bien dur de travailler toute sa vie et d’amasser avec beaucoup de peine quatre ou cinq mille francs pour en faire cadeau au gouvernement ou n’importe à qui, quand on est vieux et quand on ne peut plus travailler.
La question de l’égalité des salaires est également soulevée, mise en avant comme un fait acquis qu’il faut dénoncer :
Car il faut vous dire, madame, que je travaillais dans un atelier avec trente ou quarante ouvrières. Chacune de nous avait son métier et gagnait à peu près soixante-quinze centimes. Pour une femme, et dans ce pays, c’est beaucoup ; car les femmes, comme vous savez, sont toujours fort mal payées, et on ne leur confie guère que des ouvrages qui demandent de la patience.
Pour vous procurer ce court roman en version numérique gratuite, une seule adresse :
Alfred ASSOLANT : Rose-d’Amour. Nouvelle. Version numérique. Editions Ebooks libres et gratuits. Environ 70 pages.
Première édition : L. Hachette & Cie. 1862. Contenait en outre Jean Rosier ainsi que Claude et Juliette.
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