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24 février 2019 7 24 /02 /février /2019 05:46

Mais bon pied, bon œil ?

Gilbert GALLERNE : Mauvaise main.

Il suffit de traverser la rue pour trouver du travail, qu’il a dit, l’homme aux piques plus nocives que le frelon asiatique.

Alors Eric, informaticien au chômage, et sa femme Elise, employée dans une boutique de chaussures, renvoyée par son patron parce qu’elle est enceinte, peut-être n’avait-il pas trouvé chaussure à son pied, ont décidé de quitter Annecy pour se rendre dans les Vosges. Mais retrouver sa famille vingt ans après l'avoir quittée, pour Eric c'est comme un espoir de repartir d'un bon pied à défaut d'une bonne main.

Suite à un accident à l’âge de cinq ans à la scierie familiale, il avait été envoyé chez une tante qui l’avait élevé et servait également de famille d’accueil. C’est là qu’il a rencontré Elise, une enfant de la DASS. Vingt-cinq ans, une prothèse à la place d'une main perdue dans un accident, Eric n’a guère de débouché et c’est pourquoi il revient dans ce coin des Vosges, près de Saint-Dié, perdu dans la nature et la scierie ne tourne qu'au ralenti.

Il retrouve la tribu avec appréhension. Et il faut avouer qu'il arrive un peu comme un chien dans un jeu de quilles. Eléonore, sa mère lui affirme qu'il a fait un mauvais choix en revenant, mais de toute façon s'il ne l'a pas vue depuis l'âge de ses cinq ans et son accident à la scierie, c'est un peu sa faute.

Eléonore, c’est la matriarche mais elle n’a pas réussi à dresser Léo, le lion, son frère aîné, dix ans de plus que lui, marié avec Rose-Marie et père de quatre enfants dont Bernard, qui est un peu le chef de bande des gamins. Michel, son autre frère, fait ce que Léo commande. C'est un être frustre marié avec Annabelle, et ils ont trois gamins dont Ludovic et Solange. Enfin Marcel, son oncle qui ne sait pas parler. Il couine, il glapit, il végète et est considéré comme le simplet de la famille. Pourtant il en aurait des choses à dire, Marcel, qui s'accroche comme un pantin à la grille d'entrée, pour voir au-delà, mais rien ni personne ne passe.

Léo s'érige en maître incontesté de la scierie. Il décide pour tout le monde, impose sa loi et éventuellement exerce le droit de cuissage. Comme les tyranneaux du temps jadis. A croire que le temps s'est arrêté à la scierie. D'ailleurs la scie ne tourne plus guère, juste pour faire du bruit. Pourtant la famille ne manque de rien, et Léo possède même une Peugeot 607 qu'il remise dans l'un des bâtiments. Parfois ils sortent ensemble le soir, Michel et lui, pour aller Dieu, ou le Diable, sait où. Eric se rend à Saint-Dié, effectue une petite visite à madame Paule Emploi, il rédige des CV, des lettres, mais rien n'y fait, il ne reçoit aucune proposition d'emploi.

L'ambiance dans la scierie est lourde, délétère, et Elise souhaite repartir, mais sans argent comment survivre. Et puis l'enfant frappe à la porte et c'est Eléonore qui procède à l'accouchement, comme pour les autres femmes de la famille. Heureusement Elise trouve en Annabelle une complice ainsi qu'avec Ludovic. Mais Annabelle possède elle aussi un fil à la patte. Quant à Ludovic, contrairement à son cousin Bernard, c'est un enfant calme, qui aime lire, souhaite pourvoir prolonger ses études. Léo l'oblige à manquer parfois l'école, pour aider à la scierie, mais il se demande bien pourquoi, car il n'y a que peu de travail. C'est le dédain et la jalousie qui guident Léo.

Chaque famille possède son habitation, en bois, et les dépendances se dressent tout autour d'une cour centrale, donnant l'impression d'un village de western. Afin de justifier son appartenance à la famille Eric est sollicité, avec autorité, par Léo à participer à une des virées nocturnes. Le côté obscur des rentrées financières.

 

Le lecteur entre de plain pied dans une ambiance qui ne sera pas sans lui rappeler quelques romans de Pierre Pelot. Le décor, les forêts vosgiennes, un lieu quasi abandonné en pleine nature; les personnages, des hommes âpres, durs, avec un chef de famille qui s'érige en dictateur sans scrupule, imposant sa loi par tous les moyens, une véritable brute qui aime broyer ceux qui sont sous sa coupe. On pourrait également évoquer Jim Thompson dans certains de ses romans âpres et durs.

Mais peu à peu, l'histoire bifurque, et le lecteur se lance sur la route, à pleine vitesse, s'arrête à une aire de parking et assiste à des actes illégaux. Puis c'est le début d'une lente décomposition familiale qui explose dans un cataclysme que l'on pouvait pressentir tout en le redoutant. Pourtant un jour à Saint-Dié, une sorcière l'avait lu dans les lignes de la main d'Elise, mais peut-on croire une vieille femme un peu folle.

Véritable roman noir, violent parfois, qui malgré la nature environnante ne joue pas dans le thème bucolique (ce serait plutôt Bu, alcoolique) Mauvaise main conte l'histoire d'un homme qui abandonné recherche avec espoir une famille à laquelle se raccrocher. Si au départ on apprend pourquoi il possède une prothèse plastique, les conditions dans lesquelles il a perdu sa main sont peu à peu dévoilées, même si au cours du prologue certains éléments sont mis en place.

Un roman qui s'articule autour de la famille, l'explore, la dissèque, l'analyse, les parts d'ombres étant mises au jour avec subtilité et sans concession. Pourtant il existe quelques scènes où l'humour se fraie une petite place, mais un humour pathétique comme la scène au cours de laquelle Marcel, qui ne se lave jamais, est nettoyé à l'aide d'un jet d'eau dans la cour devant la tribu réunie.

Gilbert GALLERNE : Mauvaise main. Collection Polar. Editions French Pulp. Parution le 10 janvier 2019. 272 pages. 18,00€.

ISBN : 979-1025104613

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