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19 janvier 2019 6 19 /01 /janvier /2019 05:05

Dans un petit village des Ardennes, vers l’Aisne…

Brice TARVEL : La montre de Rimbaud.

On ne soulignera jamais assez l’impact que peut produire la lecture des journaux et des magazines sur l’esprit d’une jouvencelle, surtout à une époque où la télévision et la radio n’abrutissaient pas encore la réflexion des masses dites populaires.

Nous sommes en 1905, aux approches de Noël, dans un petit village enneigé des Ardennes. A Voncq plus précisément. Et Clémentine, qui porte le nom d’un fruit qu’elle n’a jamais goûté, a décidé de se prénommer dorénavant Gabrielle, en référence à Gabrielle Dorziat, une comédienne dont elle a découvert le portrait dans un des nombreux magazines qu’elle compulse le soir dans sa chambre en compagnie de sa sœur cadette Etiennette.

Elle caresse le soir, sous son oreiller, un oignon, une vieille montre qu’un unijambiste lui a donnée le 23 juillet 1891 alors qu’il attendait sa carriole en gare de Voncq. Elle n’avait que quatre ans et depuis cette reloque ne la quitte pas. Un nommé Rimbaud, qu’elle ne reverra jamais.

Elle a quitté l’école à treize ans, mais éprouve des difficultés pour lire, écrire et compter. Sa mère Adèle est une femme quelque peu effacée, soumise, comme les deux sœurs, à l’humeur vindicative, acariâtre, voire agressive de Baptiste, le père. Bon, d’accord, son crâne recèle un éclat d’obus depuis des années, et pour autant cela ne lui a pas mis du plomb dans la tête, peut-être dans les ailes. Il passe son temps à la pêche, occupation halieutique fort honorable toutefois puisque le poisson qu’il ramène sert à la consommation familiale.

Gabrielle, est chargée de recueillir les bouts de crin accrochés aux ronces artificielles et aux buissons épineux afin de fabriquer le fil de pêche paternel. Mais pas n’importe quelle sorte de crin. Uniquement en provenance d’équidés mâles, aussi pour les différencier, elle possède son truc, peu ragoûtant. Elle en profite pour caresser Chonchon, un vieux cheval de trait qui jouit d’une retraite bien méritée dans un lopin de terre près de l’Aisne qui passe non loin. C’est ainsi qu’un jour elle est abordée par un militaire, un lieutenant nommé François Sella, qui recherche des chevaux pour sa compagnie. Elle travaille également chez divers particuliers, garder un gamin, faire le ménage, et autres occupations qui lui permettent d’aider financièrement sa mère. Elle a un ami chapardeur affublé d’un sobriquet en concordance avec son aspect physique, Patte-de-mouche, qui à quinze ans aimerait bien être un peu plus qu’un copain.

Entre deux occupations, elle aime se promener dans les environs, et un jour qu’elle décide de se rendre dans le parc d’un château, elle est abordée par un godelureau qui pavane avec son fier destrier. Du moins c’est ce qu’elle ressent et elle accepte de suivre Antoine de Vagny, ainsi se présente-t-il, pour visiter les lieux. Les actuels propriétaires sont actuellement en villégiature et le jeune homme se conduit comme chez lui. Il offre un verre de porto à Gabrielle, puis deux, puis trois. Elle est dans les vaps et lorsqu’elle reprend ses esprits, c’est trop tard. Et un et deux et trois ne font pas zéro et elle hérite du ballon.

Elle cache comme elle peut sa condition mais au bout d’un certain temps, elle est bien obligée d’avouer sa future condition de parturiente primipare et de fille-mère.

 

Gabrielle Dorziat

Gabrielle Dorziat

La montre de Rimbaud aurait pu être un roman misérabiliste à la façon de Xavier de Montépin, de Charles Mérouvel, de Marcel Priollet, d’Hector Malot et quelques autres, un mélodrame comme ces romans étaient communément appelés à la fin du XIXe et début XXe siècle, mais Brice Tarvel apporte sa touche personnelle composée d’un mélange historique, de sociologie et d’étude rétrospective d’une époque, d’affection envers ses personnages (pas tous, faut pas pousser non plus !), d’onirisme et de poésie bucolique.

Si Brice Tarvel se sert des ingrédients et même des ficelles du roman populaire avec sa Clémentine devenue Gabrielle, le père qui boit de l’eau de vie de prune à cause d’une blessure handicapante, le beau militaire, le gandin dévoyé, la jeune mère qui ne regrette pas sa condition malgré les conséquences, les chipies du village qui marmonnent mais sont peut-être jalouses, le gamin qui devient marionnettiste, l’éleveuse de chevaux compréhensive et si gentille possédant un phonographe à cylindres ou encore le maquignon toujours prêt à aider, et quelques autres personnages qui évoluent à travers le récit dont Pimpernelle la sorcière, la femme mystérieuse portant un loup à la vénitienne ou encore le curé démuni de solution sauf de prières, sans oublier le Sibara, le croquemitaine épouvantail ardennais.

Et en toile de fond, omniprésent et pourtant décédé depuis des années, le poète maudit, Rimbaud qui a offert sa montre à Gabrielle, montre devenue un talisman qui ne la quitte guère.

Mais si Brice Tarvel exploite tout ceci, il reste néanmoins sobre, n’accumulant pas les clichés, les intégrant dans une vie quotidienne rurale début vingtième siècle. Ce qui prévaut, c’est cette écriture narrative qui ne verse jamais dans le pathos exagéré. Et en forme de morale, la misère, la pauvreté qui reste digne dans la déchéance, tandis que les nantis se montrent égaux à eux-mêmes, arrogants et méprisants. Ce qui n’a guère changé depuis des siècles et prévaut encore de nos jours.

Malgré le contexte décrit ci-dessus, c’est frais (d’accord il neige !), c’est reposant, c’est fluide, c’est comme si l’auteur avait découvert cette histoire dans un journal de faits-divers de l’époque et l’avait aménagée à sa façon. Mais de quelle façon !

Brice TARVEL : La montre de Rimbaud. Roman. Editions De Borée. Parution le 11 octobre 2018. 240 pages. 19,90€.

ISBN : 978-2812924460

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