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22 octobre 2018 1 22 /10 /octobre /2018 13:18

Ne méprisez pas les collections sentimentales : elles recèlent souvent des perles policières !

Joséphine TEY : Retour au bercail

Surtout lorsque les informations déposées sur certains sites, genre Wikipédia, ou les notules rédigées dans des encyclopédies de référence s’avèrent erronées. Ainsi, concernant ce roman, sur Wiki, le rédacteur de la notule spécifie que ce roman, En trompe l’œil dans la collection Panique N°6, chez Gallimard en 1963, a été réédité dans une traduction tronquée sous le titre Retour au bercail, Paris, Éditions Mondiales, coll. « Intimité » no398, 1979.

Une vérification s’imposait et comme je possède les deux versions, celle de la collection Intimité et celle du Masque, qui est une reprise de la version de la collection Panique, il ne subsiste aucun doute. C’est bien la version Intimité qui n’est pas tronquée ! Quant au Dilipo, le résumé précise que Simon vient d’hériter du domaine de ses parents, ce qui est justement le contraire car s’il avait hérité, l’histoire n’aurait plus lieu d’être. En réalité il est en passe d’hériter !

Juste pour la bonne bouche, avant de présenter l’intrigue, deux extraits prélevé dans la première page du livre version Masque/Panique :

Non, mais sérieusement, lequel était le plus intelligent ? Insista-t-elle, car elle n’abandonnait jamais son idée. Noé ou Ulysse ?

Ulysse, affirma son frère sans lever les yeux de son journal.

Ruth demanda à son tour :

Dis donc, Simon, fêter ses vingt et un ans, ça doit faire un peu comme un mariage, non ?

Non, à tout prendre, c’est mieux que de se marier.

Ah, tu trouves ?

Le soir de sa majorité, on peut danser aussi tard qu’on veut. Pas le soir de son mariage.

 

Voyons maintenant la version Intimité :

Dis, Tantie ? Reprit Jane qui ne se décourageait jamais. Quelle histoire préfères-tu, celle de Noé ou celle d’Ulysse ?

Puis, comme sa tante ne répondait pas, elle se tourna vers Simon, son frère aîné.

Et toi, Simon ?

Celle d’Ulysse, répondit le jeune homme sans lever les yeux de son journal.

Il n’y a que Simon, pensa Tantie, pour pouvoir répondre à une question, tout en continuant à parcourir la liste des chevaux engagés dans le Grand Prix et à manger sa soupe.

Pourquoi préfères-tu Ulysse ? Questionna Jane.

Parce qu’il buvait moins que Noé, répondit tranquillement Simon, qui ajouta aussitôt : C’est curieux, je ne trouve pas le nom de Firelight dans cette liste ?

Dans le fond, murmura pensivement Ruth, devenir majeur, c’est presqu’aussi important que de se marier !

Beaucoup plus ! s’exclama son frère en riant. Une fois majeur, on peut faire ce que l’on veut, tandis qu’une fois marié, c’est est fini.

 

Edifiant, non ?! Comme quoi, il faut se méfier des à-priori et des informations qui se révèlent erronées.

 

Mais revenons à notre intrigue :

Depuis huit ans, Tantie Béatrice élève Simon, Nelly et les jumelles de dix ans, Jane et Ruth. Dans quelques semaines, Simon sera majeur et il héritera de ses parents décédés huit ans auparavant dans un accident d’avion. Il héritera seul du domaine des Ashby selon la loi anglaise. Et Tantie Béatrice se fait du souci. Que deviendront le domaine Lachett, Nelly et ses deux sœurs. Elle ne pense guère à elle, malgré le dévouement qu’elle a prodigué durant ces huit années.

Soudain, sans que rien le laissa présager, Patrick, le frère jumeau de Simon et considéré comme l’aîné refait son apparition. Il avait disparu bien des années auparavant, laissant juste un mot dans lequel il déclarait : Désolé, mais je ne peux plus continuer à vivre ainsi. Ne m’en veuillez pas. Patrick. Ce petit mot avait été retrouvé près de ses vêtements, et tout le monde avait conclu à un suicide, près d’une falaise.

Or Patrick refait surface et c’est lui qui va hériter du domaine. Mais il s’agit d’un faux, d’un sosie, du nom de Rick Farrar, enfant abandonné à sa naissance, élevé dans un orphelinat puis une pension, et enfin ayant parcouru la France et les Etats-Unis, travaillant également sur des navires effectuant la liaison entre l’Europe et l’Amérique.

Rick, de retour des USA, déambulait dans Londres lorsqu’il avait été abordé dans la rue par un jeune homme, un acteur natif des environs de Westover, la grande ville portuaire près de laquelle est sis le domaine de ses parents et celui des Ashby. C’est dire s’il connait bien la famille Ashby et grâce à la ressemblance frappante entre Patrick et Rick, il imagine aussitôt faire passer l’un pour l’autre. Malgré les réticences premières de Rick Farrar, durant quelques petites semaines il va « éduquer » son protégé, lui offrant de nombreux souvenirs, lui expliquant tout ce qu’il devra connaître afin de se comporter en tant que Patrick sans fausse note. Contre rémunération bien sûr, car son statut d’acteur de seconds rôles ne lui fournit guère de subsides.

Rick débarque donc au domaine au grand étonnement de Tantie Béatrice et de ses sœurs, et de son frère naturellement. Pour Simon, il s’agit d’un intrus venu le spolier. Si tout le monde se tient sur la réserve, Rick, qui se fait appeler ainsi prétextant un diminutif de Patrick, tient son rôle à la perfection d’autant qu’il possède de sérieux atouts dans sa manche. Outre qu’il connait parfaitement le domaine, les lieux et les habitants de la région, grâce aux conseils avisés d’Alec son mentor, il est un amoureux des chevaux.

En effet lors de son séjour aux USA, il a travaillé dans un élevage équin. Et donc il n’est pas dépaysé au domaine de Lachett qui est réputé comme centre équestre, accumulant les succès, selon les années dans les divers concours hippiques auxquels participent Nelly et Simon.

 

Dès le début du roman, le lecteur sait qu’il va lire une histoire d’imposture. Et il est le témoin privilégié, assistant aux coups bas concoctés par Simon à l’encontre de ce frère arrivé inopinément et qui va lui souffler son héritage. Il partage également les interrogations, les réserves de la famille Ashby et de leurs amis.

Mais cette intrigue prenant sa source dans une fausse gémellité se mue en enquête de la part de Rick. Patrick est-il vraiment décédé, d’un accident ou d’un suicide, s’est-il enfui, tout autant de questions qui le turlupinent tout en essayant de s’attirer les bonnes grâces de ses proches. Parfois il se demande s’il ne s’est pas embarqué dans une histoire qui pourrait causer sa perte, mais en même temps il désire rester, car outre cette enquête qu’il compte bien mener à bon terme, il se prend d’une amitié amoureuse envers sa prétendue sœur Nelly. Un drame cornélien et comment cela va-t-il se terminer ?

Un roman d’énigme et de suspense psychologique particulièrement prenant, surtout dans la version Intimité.

 

Quant à cette collection Intimité, ainsi que celles de Nous Deux et Modes de Paris qui paraissaient dans les années 1950à 1970, il serait bon de vérifier si les publications sont véritablement tronquées ou non par rapport à d’autres éditions antérieures ou postérieures

Première parution : sous le titre En trompe-l'œil. Collection Panique no6. Editions Gallimard. Parution 1963.

Première parution : sous le titre En trompe-l'œil. Collection Panique no6. Editions Gallimard. Parution 1963.

Réédition Le Masque no2137. Librairie des Champs-Élysées. Parution 16 juin 1993. Traduction de Denise Rousset. 224 pages.

Réédition Le Masque no2137. Librairie des Champs-Élysées. Parution 16 juin 1993. Traduction de Denise Rousset. 224 pages.

Joséphine TEY : Retour au bercail (Brat Farrar ou Come and Kill me – 1949. Traduction de A.M. Jarriges). Collection Intimité N°398. Les éditions Mondiales. Parution 12 octobre 1979.

ISBN : 270742398X

Première parution : sous le titre En trompe-l'œil. Collection Panique no6. Editions Gallimard. Parution 1963.

Réédition Le Masque no2137. Librairie des Champs-Élysées. Parution 16 juin 1993. Traduction de Denise Rousset. 224 pages.

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commentaires

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Je pense qu'une certaine misogynie a pu jouer son rôle elle aussi. Le roman policier féminin n'avait pas vraiment la côte en France en ce temps-là, il suffit de relire les pages critiques de Mystère Magazine ou les palmarès du Grand Prix de Littérature Policière de l'époque. Rien d'étonnant donc à ce que des livres jugés trop peu "virils" pour les grandes collections se soient retrouvées aux Editions Mondiales. Aucune étude n'ayant jamais été consacrée à cette maison, on ne sait même pas s'il s'agissait d'une politique éditoriale délibérée ou s'ils publiaient juste n'importe quoi pourvu qu'il y ait une histoire d'amour dedans... Cette obscurité a en tout cas bien fait les affaires de ceux qui sont venus par la suite piocher dans leur catalogue en présentant leurs trouvailles comme des "inédits". Et le pire c'est qu'il reste encore bien des pépites à exhumer!
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O
J'adhère complètement à votre analyse. Et je regrette le manque d'études concernant ces romans dits sentimentaux. Masochisme, certes, d'ailleurs bon nombre d'auteurs féminins ont dû se cacher sous des pseudonymes virils (!) telle Mario Ropp, l'un de support du Fleuve Noir qui s'appelait Maïa De Villers et avait publier chez La Chouette Ditis / J'ai Lu sous le pseudonyme de Dominique (prénom épicène) Dorn...
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Il y a effectivement des perles dans les collections "sentimentales" des Editions Mondiales, dont certaines n'ont jamais été rééditées depuis. La qualité des traductions est variable comme c'était la norme à l'époque (tout dépend en fait du traducteur, certains étant plus respectueux du texte original que d'autres) mais celle des textes est souvent remarquable, et c'est bien là que se pose la véritable question: Comment ces livres se sont-ils retrouvés dans une collection de romans à l'eau de rose? et accessoirement, pourquoi n'ont-ils pas intéressé à l'époque, ni depuis pour certains, des éditeurs plus "respectables" et surtout plus "appropriés"? Nous disions souvent avec ma mère, qui était une grande lectrice de cette collection, que les Editions Mondiales dans ces années-là publiaient les livres qui auraient dû sortir chez Le Masque (ce fut d'ailleurs le cas pour celui-ci, même si avec vingt ans de retard...) L'édition policière française marchait déjà sur la tête à cette époque. ;)
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O
Hélas, si Le Masque a récupéré ce roman ce fut dans la version tronquée, et cela n'est guère en faveur des dirigeants (ou commerciaux) de l'époque. Seulement les romans sentimentaux des Editions Mondiales et Cino Del Duca avaient mauvaise presse auprès des critiques et chroniqueurs spécialisés. Pourquoi ? Des a-priori sans nul doute. Et dans deux ou trois décennies des chroniqueurs découvriront parmi le fatras Harlequin quelques perles (d'ailleurs il en existe déjà dont Nora Roberts)? Nous Deux, Intimité, Mode de Paris ne publiaient qu'un roman par mois et donc n'inondaient pas le marché... Et je vais vérifier parmi les autres livres que je possède de ces collections si il y a des précédents littéraires de traduction M.R. Roberts, Mildred Davis...

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