Une palette de nouvelles à la Seurat, un pointillisme littéraire.
Certains auteurs voyagent dans leur tête, et ils s’en trouvent bien, puisant leurs histoires dans un imaginaire personnel. D’autres ont parcouru le monde, enfin une grande partie, et ce qu’ils ont amassé comme images leur permet de faire profiter leurs lecteurs de leurs expériences et des narrations, légendes ou autres, récoltées par-ci par-là, tout en les embellissant et en apportant leurs propres mots, leurs propres envies, leurs propres divagations et ensemencer les fictions de leurs besoins et envies. Pierre Brulhet est une sorte de compromis entre les deux.
Pierre Brulhet est né en 1971 à Coutances dans la Manche mais conçu au Cambodge, et, comme tout bon fils qui se respecte, a suivi son père, coopérant, en Mauritanie, en Côte d’Ivoire. En 1998, il obtient un diplôme d’architecte avec pour sujet de mémoire : Une base sur Mars. Tout un programme !
Et tel l’architecte, il construit ses nouvelles et romans d’abord dans sa tête, puis les couchent sur le papier, avec ce petit grain de folie sans lequel une histoire n’aurait aucun sel, aucun attrait, aucun goût.
Parmi les treize nouvelles que comporte ce recueil, la première, Le trésor de l’arbre aux fées, et la dernière, Les fantômes de Mars, me semblent assez représentatives de l’imaginaire de Pierre Brulhet.
Le trésor de l’arbre aux fées, qui aurait pu débuter par Il était une fois, prend pour décor le petit village d’Heugueville-sur-Sienne, non loin de Coutances. Un vieil homme qui loge dans l’auberge vient de narrer l’histoire de l’Arbre aux fées à cinq adolescents qui l’ont écouté religieusement ou ont pris son histoire pour une fable.
-C’est vrai ton histoire, Arthus ? demanda un jeune homme à sa gauche.
-Aussi vrai que je me trouve devant toi, Raoul.
Les cinq garçons, dont des frères jumeaux, sont dissemblable physiquement et mentalement. Mais ils se promettent de vérifier les dires du vieil homme et de se rendre selon ses instructions, près de la forêt de Bricqueville-la-Blouette, non loin d’un moulin à eau. Pour accéder à L’arbre aux fées, il faut attendre minuit précise, un soir de pleine lune et le rocher qui barre l’accès se déplace ne laissant passage qu’à une seule personne. Rendez-vous est pris et celui à qui échouera l’honneur de se rendre dans l’arbre aux fées sera tiré au sort avec un jeu de cartes. Il s’engouffrera et accèdera au trésor. Seulement l’heureux élu ne revient pas de son périple.
S’il fallait une morale à ce conte, il ne faut pas aller chercher bien loin. Parfois être différent des autres n’est pas un défaut mais un bienfait.
Les fantômes de Mars, nous emmène sur la Planète Rouge, alors qu’un couple d’explorateurs vient de se crasher à bord de leur rover. L’appareil est en position instable et risque à tout moment de s’écraser au fond d’une crevasse. John ressent un mal de tête épouvantable mais il s’inquiète pour sa compagne Margaret, dont le front est ensanglanté. Peu à peu elle revient à elle mais est encore faible. En dépit des consignes, ils décident de rejoindre, engoncés dans leurs scaphandriers, la base située à quelques heures de marche.
Entre ces deux nouvelles qui pourraient servir de cadre, Pierre Brulhet peint un tableau à la Seurat, des nouvelles en forme de pointillisme explorant toute la palette de l’auteur, avec le noir et le rouge en couleurs dominantes, avec des touches de vert, de rose et de jaune sable.
Le vert est destiné principalement pour ce que j’appellerai les contes du terroir ou contes normands, Trois amours, La cabane ou Signes. Trois amours est représentatif de l’humour ironique, avec ce vieillard qui narre à trois gamins l’histoire de Jean, leur pauvre père, en cette année 1798. Jean aimait trois femmes, mais il n’arrivait pas à se décider à choisir l’une d’elles pour convoler en justes noces. La cabane nous propulse au mois de juin 1944, alors que la soldatesque normande traque cinq soldats américains qui ont été parachutés dans la région normande. Le général Wolfhart décide de tuer des otages tandis que la jeune Mathilde, onze printemps au compteur mais six dans sa tête, assiste à ce qu’elle croit être une fête du village. Signes est une nouvelle personnelle puisque le narrateur pourrait être l’auteur, alors qu’à dix-sept ans il vivait à Coutances. Une randonnée organisée dans une carrière près de Coutainville alors que le narrateur est subjugué par les écrits de Lovecraft et que son livre de chevet est le Necronomicon ou Livre des morts. L’ombre de Lovecraft plane également dans La faille, puisque l’hôtel qui sert de décor se nomme L’Arkham hôtel.
Le jaune sable se rapporte aux contes africains comme Le long puits ou Spécimen. Specimen narre la quête de la tranquillité dans le désert, tandis que Le long puits se réfère aux origines du Vaudou, des zombies mais surtout du manque poignant d’eau ressenti par les habitants et surtout d’un gamin, Mamadou qui pense pouvoir tirer d’affaire les villageois, malgré les mises en garde de l’Ancien, la Mémoire du village.
Le rose se définit dans des nouvelles comme Le corset, dans lequel des jeunes femmes, Freaks Women Power Show se produisent dans un cabaret. William tombe amoureux de l’une d’elles, habillée d’un corset seyant, et il semblerait que ce soit réciproque. John Clint lui va se confronter aux Poupées, dans une galerie dite les Gorges Noires, et où évoluent des femmes surnommées Mademoiselle B., La Cavalière ou encore la Trompettiste, des poupées plus vraies que nature, habillées de latex.
Les jeux de téléréalité, le dépassement de soi, sont mis en scène dans DarKrün, nouvelle éponyme du recueil, sorte de course à travers le désert, puis les Rocheuses, pour accéder à la récompense. Un million de participants à une quête du Graal, une scène qui m’a fait penser à Marche ou crève de Richard Bachman, alias Stephen King, et qui pourtant est totalement différente. Le jeu encore avec Fantasm 13, auquel Damien a participé et gagné, lui permettant de séjourner durant un an sur une île. Seule contrainte entretenir l’île. Et le soir, grâce à son ordinateur, il se met en contact avec des créatures de rêve.
Le Noir et le Rouge dominent dans toutes ces nouvelles, dont certaines prennent pour thème l’Apocalypse, les spectres, l’étrange. Deux frères va même plus loin puisque Bek et Rek sont en Enfer. Mais Bek s’ennuie et il déclare qu’il voudrait mourir, ce qui est impossible lui déclare son frère, puisqu’ils sont déjà morts.
D’inspiration fantastique, un fantastique plus ou moins prononcé, ces nouvelles possèdent un point commun : La mort. Et c’est bien la Mort qui constitue le liant de l’ensemble de ces nouvelles, la Mort programmée, accidentelle, voulue, ou sous forme de dommage collatéral.
La mort dont chacun de nous porte le germe qui éclora un jour ou l’autre.
Pour découvrir l'univers de Pierre Brulhet, n'hésitez pas à visiter le site de l'auteur.
Pierre BRULHET : DarKrün. Nouvelles. Préface de Jean-Pierre Favard. Collection KholekTh N°28. Editions de La Clef d’Argent. Parution décembre 2014. 210 pages. 12,00€.
commenter cet article …