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1 mars 2017 3 01 /03 /mars /2017 06:23

Si, un peu quand même...

Michel MOATTI : Tu n'auras pas peur.

La pêche au gros est pratiquée, en général, en milieu marin pourtant il est des endroits improbables dans lesquels on peut s'adonner à ce sport physique.

Un mort vient d'être retrouver dans les eaux du Lower lake, un lac de Crystal Palace, quartier situé au sud de Londres. Mais il ne s'agit pas d'un mort ordinaire. Lynn Dunsday est journaliste au Bumper, un média en ligne et elle vient d'être informée de l'horrible découverte par une auxiliaire du journal dont le métier est de traquer les informations susceptibles de constituer le corps d'un article sensationnel.

Lynn se rend donc sur place et retrouve Trevor Sugden, vieil ami et journaliste lui aussi au Broadway News, journal papier à faible diffusion mais dont le format est original. Et sur place, ils s'aperçoivent immédiatement que ce fait-divers devrait passionner les lecteurs à cause de la mise en scène qui l'entoure.

Un palan vient de retirer des eaux du lac un siège baquet sur lequel est attaché un cadavre. Le corps porte autour du cou une pochette bleue, un peu comme en sont dotés les passagers d'un avion. Et des traces de peinture bleue dégoulinent délayées par l'eau.

Les deux journalistes sont refoulés par les policiers qui forment un barrage délimitant l'endroit où le corps a été repêché, mais la télévision est sur place. Lynn et Trevor enragent de ne pouvoir compléter leur reportage, mais rien n'y fait. Toutefois ils possèdent déjà assez d'éléments pour écrire leurs articles.

Andy Folsom est un policier attaché au service des homicide et il est chargé en compagnie de son responsable d'enquêter sur cette macabre découverte. Il sort depuis quelques temps avec Lynn, des rendez-vous amicaux dans des bars ou restaurants, et il aimerait bien que cela devienne plus fusionnel. Lynn n'est pas encore prête à engager une relation amoureuse mais il ne désespère pas. Il peut apporter un peu plus de précision sur ce cadavre pour l'heure encore inconnu.

Avec Trevor, Lynn se lance dans la recherche d'informations plus concrètes. La mise en scène lui rappelle quelque chose, ainsi qu'à Trevor. Et c'est le déclic. Un accident d'avion qui s'est déroulé quelques dizaines d'années auparavant, le 10 décembre 1967. Le Beechcraft à bord duquel le chanteur, alors âgé de vingt-six ans, s'est écrasé dans le lac Momona, Wisconsin. Son corps avait été repêché alors qu'il était encore attaché à son siège baquet. Détail macabre, l'un de ses bras avait été congelé dans les eaux du lac. Or le cadavre possède la même particularité.

Cette mise en scène démontre que l'assassin joue avec les policiers. De plus le meurtrier vient de poster sur Internet des vidéos le montrant exécuter son forfait. Bien sûr il n'est pas reconnaissable mais c'est l'acte de mise à l'eau qu'il a filmé.

Lynn obtient des détails par son ami Andy, malgré les mises en garde de ses supérieurs, tandis que Trevor possède lui aussi ses sources de renseignements, dont il ne veut dévoiler la provenance mais qu'il partage toutefois en partie avec la jeune journaliste.

Un jeu pour le meurtrier, une provocation également. Et un nouveau meurtre est perpétré sur la personne d'une femme, dans une mise en scène tout aussi macabre qui rappelle une autre affaire.

 

Plus que l'enquête en elle-même, une intrigue construite avec rigueur, menée par les policiers d'un côté et les deux journalistes de l'autre, sans que jamais ou presque apparaisse l'assassin, ce sont les parcours des trois protagonistes principaux, Lynn Dunsday, Trevor Sugden et Andrew Folsom qui forment la colonne vertébrale du roman. Chacun d'eux ou presque sont des fracturés de la vie. Et le journalisme est leur rédemption. Mais jusqu'à quand ?

Mais un autre problème est évoqué, celui de l'information partagée que l'on subit chaque jour plus ou moins consciemment et dont le contenu se veut agressif et intrusif afin de capter l'attention du maximum de lecteurs. Dégotter l'information le premier, tel est le mot d'ordre des rédacteurs en chef, et plus particulièrement celui du Bumper, mais pas n'importe quoi. Du sensationnel, des citations, des témoignages. Et comme le déclare Grant, le patron de Lynn :

Un bon papier, c'est quand les gens le lisent et ont envie de raconter l'histoire qu'ils viennent de lire à tous leurs copains.

Pour autant, il ne veut pas entrer dans le système du voyeurisme, dans le genre de sites qui comme Bestgore diffusent des vidéos sordides, d'horreur, de petits films tels que la dégustation par un individu taré de morceaux de viande prélevés sur son copain (véridique!). Ou des viols, des meurtres, tout ce qui plait à une population qui se délecte du visionnage de ces reportages tournés dans un but inavouable. Des photos et des vidéos non bricolées, non retouchées, partagées, car les gens ont le droit de connaître la vérité, d'après le créateur de ce site malsain. Et il en existe d'autres.

Car tous se retranchent non seulement dans le droit mais dans le devoir d'information, la soif de vérité et la lutte contre les prétendues censures du Net. Et la frontière entre information et voyeurisme est floue.

C'est tout cela que Michel Moatti dénonce dans ce roman, car au-delà de l'intrigue bien ficelée mettant en scène un assassin qui justement aime faire de la mise en scène, dans un but bien précis, ce sont les médias toujours à l'affût du sensationnel qui sont visés. Et la mise en ligne de vidéos n'est plus seulement affaire de professionnels, mais d'amateurs qui sur Youtube, par exemple, mettent n'importe quoi pourvu que cela choque et attire des visiteurs. Le poids des mots, le choc des photos, slogan cher à Paris-Match, est détourné au profit de ceux qui veulent faire de l'audience, à n'importe quel prix.

Mais Michel Moatti, tout en apportant quelques descriptions, ne joue pas dans cette cour vénéneuse, et les images que le lecteur peut se représenter, il se les forge mettant son imaginaire au service du suggéré. D'ailleurs le rythme est rapide, les chapitres sont courts, presque comme des articles journalistiques, et l'ennui, qui pourrait insidieusement s'insérer consécutif à de trop longues descriptions, n'a pas le temps de s'installer que déjà on passe à une autre image, comme une lecture kaléidoscopique.

 

Michel MOATTI : Tu n'auras pas peur. Editions H.C. Parution le 16 février 2017. 474 pages. 19,00€.

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commentaires

A
Me voilà tentée par cette lecture kaléidoscopique.
Répondre
O
C'est ce que j'ai ressenti, mais à toi de te faire une opinion...
M
Encore une fois, Paul : merci !
Répondre
O
De rien Michel, c'est sincère...

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  • : Lectures de l'Oncle Paul
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