Quand il était enfant, sa mère lui disait
"Mange ta soupe, Herman..."
Depuis il a bien vieilli, connu des vicissitudes, la guerre, la démolition du mur de Berlin.
Installé dans son fauteuil, Herman a du mal à suivre les documentaires sur sa télévision. Pourtant les documentaires sont intéressants, tels que la vie sexuelle des mygales roses ou la masturbation des escargots en période de reproduction. Non, ce qui est dérangeant, c'est cette neige qui tombe continuellement et en permanence dans son petit écran.
Il est vrai que son téléviseur grand écran, vu de côté, n'est plus de toute première jeunesse, mais quand on a soixante-trois ans, que l'on a une jambe dans le plâtre, que l'on vit à Berlin dans ce qui était encore il y a peu Berlin-Est, que le mur est tombé depuis six mois, il faut bien occuper son esprit. Et justement son esprit vient d'être accaparé par un reportage sur les plages du Débarquement.
Les plages du Débarquement, il connait. Il les a visitées en 1944, alors qu'il n'avait que dix-sept ou dix-huit ans. Et d'un seul coup, en cette année 1990 (et non 1994 comme précisé en quatrième de couverture) une figure bien connue quoiqu'effacée s'inscrit sur son écran. Jeanne, sa Jeanne, la jeune fille qu'il a connue et aimée... Il la reconnait, elle n'a pas changé.
Herman a été marié, il a eu un fils, mais les aléas de la vie font qu'il est seul maintenant. Sa femme et son fils ont préféré le laisser vaquer à son sort. Alors, puisque rien ne le retient à Berlin, sauf ses béquilles car il s'est cassé une jambe, il décide de retourner sur les lieux de sa jeunesse militaire, là où il a connu et aimé Jeanne, la retrouver peut-être, lorsqu'il sera remis sur patte. Les souvenirs qu'il garde d'Isigny-sur-Mer, des marais, des plages, des fossés et des haies, sont encore tenaces. Il a été soldat, il le fallait, on ne leur demandait pas leur avis, mais il n'a jamais considéré les Français, les Normands, comme des ennemis. Il devait plus se préserver qu'abattre des hommes comme lui lancés dans une guerre qui n'était voulue ni par les uns ou par les autres, en grande majorité. Et puis c'étaient les Américains qui les traquaient.
Herman réunit son pécule, puis il prend le train, Paris, Caen, où il effectue une station, avant de rejoindre Isigny et tenter de retrouver Jeanne, qui a dû bien changer elle aussi, s'est sûrement mariée, à moins que l'après-guerre lui ait réservé de mauvaises surprises. Une quête, la quête d'un amour improbable.
A Isigny, Alain est une vedette locale ayant connu au plan national son heure de gloire. Il avait enregistré un disque qui a connu le succès, avec sa chanson fétiche Marie-France, a donné des concerts, est passé à la télé, mais depuis il est passé à la trappe. Un peu par sa faute. Beaucoup à cause de l'alcool et de la drogue.
Pourtant Marie-France, sa compagne l'aime et ne le laisse pas tomber. Elle travaille à Isigny, d'ailleurs elle est quasiment la seule à faire vivre le ménage. Parfois il trouve un petit boulot de remplacement, un gala pour des fêtes de village, rien de bien enthousiasmant. Et son addiction à la drogue lui coûte cher. Dragan, un mafieux qui lui a prêté de l'argent sait se rappeler à son bon souvenir. Et comme Dragan en a marre de le relancer téléphoniquement, il envoie sur place deux de ses sbires qui devraient le raisonner, par les grands moyens s'il le faut.
Le Petit Tonio et Le Shérif ne sont pas des tendres, ne sont pas très futés non plus, surtout le Shérif, mais ils prennent leur travail à cœur, ne ménageant pas leur peine. Et naturellement leur chemin va croiser celui d'Herman, revenu à Isigny à la recherche de sa belle, ainsi que celui d'Alain pour le plus grand déplaisir de celui-ci.
Avec une certaine pudeur dans la narration, Jean-Noël Levavasseur narre deux histoires en une. Celle d'Herman vieillissant, entretenant son corps et découvrant qu'il y a une autre vie derrière le mur, désirant retrouver les origines d'un amour contrarié par la guerre. Pudeur sur la guerre, le débarquement, les agissements des soldats Allemands qui n'en pouvaient mais, mais aussi sur ces amours singulières fort décriées, vilipendées, honnies entre hommes et femmes de nationalité différente et adversaire. Pudeur aussi sur ce qui advint par la suite.
L'histoire d'Alain est plus proche de nous, et nul doute que le lecteur n'hésitera pas à mettre quelques noms sur ces vedettes d'un jour, célèbres le temps d'un disque ou deux, retombant rapidement dans l'anonymat mais gardant à l'esprit l'espoir de revenir un jour sur le devant de la scène.
Les personnages de Dragan, Petit Tonio ont déjà effectué des apparitions remarquées dans des nouvelles tandis que l'on retrouve le journaliste Léo Tanguy au détour des pages et d'un comptoir de café.
Jean-Noël LEVAVASSEUR : Herman dans les dunes. Collection Goater Noir N°14. Editions Goater. Parution le 20 avril 2016. 224 pages. 18,00€.
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