Le testament en noir et blanc de Jan Thirion.
Parti au Paradis des écrivains en mars de cette année, Jan Thirion n'aura pas eu le plaisir de découvrir les réactions de ses jeunes et moins jeunes lecteurs à propos de ce roman qui, on l'espère, restera du domaine de la parabole de la politique-fiction pour adolescents mais pas que.
La locution A lire d'urgence est devenue par trop galvaudée par des chroniqueurs qui ne peuvent étayer leur affirmation, par des journalistes qui ne se réfèrent qu'à la quatrième de couverture, par des écrivains payés pour voir leur nom apposé sur un bandeau, que je ne l'utilise jamais. Aussi je ne me renierai pas, mais je vous conseille toutefois fortement de lire ce roman avant les prochaines élections présidentielles car il s'agit d'un ouvrage édifiant.
Tyrone a treize ans, mais cela ne se voit pas. A la suite de la disparition de sa mère quand il était tout jeune, il a été électrochoqué et depuis il possède le physique d'un gamin de sept ans et est devenu sourd et muet. Pour tout le monde ou presque, sauf Biscoto son chien blanc à l'œil au bord noir, il n'entend plus et ne parle plus qu'avec la langue des signes.
Son père s'est remarié avec Chloé, et après un temps d'adaptation, Tyrone s'entend bien avec sa nouvelle maman. Chloé a amené dans ses bagages, outre Biscoto qui était tout jeune à l'époque, Edgar et Saskia, ses nouveaux frère et sœur plus âgés que lui. Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes pour Tyrone et la famille Bradoux qui habitent Lanormale-les-Ponts, une petite ville traversée par la rivière du même nom.
Tyrone, qui comme je l'ai dit a treize ans mais en parait sept, va à l'école du Moulin, dans la classe de cours préparatoire. Il sait lire et écrire, et aime raconter des histoires. Enfin il se les raconte à lui-même et les partage avec Biscoto.
Lors de la kermesse gratuite organisée par des membres des Lucioles, un nouveau rassemblement, tout est organisé en faveur des noirs aux points blancs. Par exemple, à la pêche aux canards, il faut sortir du bassin les canards qui ne sont pas noirs aux points blancs. Et tout à l'avenant.
Jusqu'au jour où, à la télévision, il regarde en compagnie de ses parents, des reportages sur les Lucioles. Dans une ville dont il n'a pas retenu le nom, des camionnettes noires avec des points blancs distribuent des denrées alimentaires, des vêtements et des objets destinés aux bébés. Des personnages affables, aimables, souriants, affublés de brassards noirs aux points blancs et habillés de la même façon, distribuent des friandises et des livres vantant les mérites des Lucioles. Dans un autre reportage, ce sont des SDF qui sont secourus par des individus affublés de vêtements similaires. Selon papa et maman il s'agit d'une propagande destinée à influencer les électeurs pour un prochain vote destiné à élire un nouveau président.
Si papa et maman émettent des réserves, Edgar et Saskia sont subjugués par les Lucioles et bientôt s'embrigadent dans leurs rangs. Le système de racolage a bien fonctionné et un nouveau président est élu, le grand chef des Lucioles. C'est le début du changement. Imperceptible au départ, cela s'amplifie, et très rapidement.
Dans le parc, les interdictions se multiplient. Cela pourrait sembler logique, relever de la courtoisie, du savoir-vivre en société, mais trop c'est trop. Un musicien qui veut jouer de l'accordéon, peut être pour récolter quelques piécettes, est tabassé par des Lucioles tandis que Tyrone est sommé de donner son nom et adresse car Biscoto est en liberté.
Sur le marché, la pâtissière ne vend plus ses bons gâteaux. D'office il faut acheter des cubes noirs aux points blancs, il n'y a pas le choix. Si, celui de ne rien acheter. La petite épicerie tenue par une personne d'origine étrangère est fermée. Papa ne peut plus s'approvisionner en produits exotiques. L'échoppe est transformée en Bureau de la Transparence du Quartier. Des Lucioles s'introduisent dans les maisons, les appartements, et fouillent à la recherche de livres étrangers pour les confisquer. Les ouvrages seront brûlés en place publique.
C'est comme une chape de plomb qui s'abat sur la ville, sur le pays. Et c'est de mal en pis. Ceux qui émargent au rassemblement des Lucioles briment avec sadisme les opposants.
Ne croyez pas que Jan Thirion, même si ce roman est destiné aux lecteurs de 10 à 110 ans, a écrit une fable, une fiction qui ne pourrait pas s'inscrire dans une réalité. Juste pour mémoire, on pourrait citer dans les années 1990 les municipalités d'Orange, de Vitrolles, de Marignane, de Toulon, dont les maires nouvellement élus sur des listes d'un parti extrémiste, ont expurgé les bibliothèques municipales d'ouvrages censés être non conformes aux bonnes mœurs ou propager des idées néfastes (dont les romans policiers de Didier Daeninckx).
Jan Thirion s'empare donc d'un sujet sensible, de la montée en puissance d'un parti dit populaire ou populiste, qui progressivement sous des sourires fallacieux, sous des bonhommies de façade mais des discours énergiques, sème des relents d'obscurantisme, de racisme, d'exclusion.
Tyrone narre cette aventures, un peu naïvement, n'oublions pas qu'il n'a que treize ans rectifiés sept, d'après ce qu'il voit, ce qu'il entend (oui), ce qu'il ressent. Il ne comprend pas tout, contrairement à ses parents qui dès le début se sont méfiés mais n'ont rien pu faire. Quand à son frère et sa sœur, ils ont absorbé la doctrine qui leur a été inculquée par des artifices propres à ce phénomène de promesses d'un monde meilleur.
Le lecteur adulte s'étonnera peut-être de la façon inhabituelle dont a usé Jan Thirion pour écrire ce roman. Des phrases courtes, des perceptions, des images, mais pas de profondeur psychologique réservée habituellement aux adultes. Ce roman est raconté par un enfant, destiné aux enfants et aux plus grands, et la portée d'une écriture simple est plus efficace qu'un discours alambiqué, torturé, pétri de bons sentiments mais illisible car incompréhensible par tous. Evidement certaines voix vont s'élever, niant une réalité prochaine, une vision d'un pays sous le joug d'un parti, embrigadées qu'elles sont dans une sorte de populisme égoïste aux idées perverses.
Seuls les obtus, les bornés, les inconscients, ne comprendront pas le message qu'a voulu faire passer Jan Thirion qui nous laisse en héritage un roman fort, puissant, tout en finesse et dont l'épilogue ne peut que rassurer les lecteurs avisés, alors que, tout au long du récit, ceux-ci auront pu s'émouvoir, s'indigner, se révolter, ressentir des pulsions de rejets par les actes décrits avec une certaine forme de candeur, d'ingénuité par une narration supposée juvénile.
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Jan THIRION : Les Lucioles. Editions Lajouanie. Parution le 22 avril 2016. 160 pages. 15,00€.
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